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Défier le dollar : le plan de la Chine et de la Russie du Petroyuan à l'or (Strategic Culture Foundation)

par Federico Pieraccini 7 Octobre 2017, 15:43 Dollar Dédollarisation Yuan Or Chine Russie Venezuela Iran USA Pétrodollar Arabie Saoudite Géopolitique Economie Impérialisme Lutte Articles de Sam La Touch

Défier le dollar : le plan de la Chine et de la Russie du Petroyuan à l'or
Article originel : Challenging the Dollar: China and Russia's Plan from Petroyuan to Gold
Par Federico Pieraccini*
Strategic Culture Foundation, 6.10.17

Traduction SLT, 7.10.17

© Sputnik Mihail Kutusov

© Sputnik Mihail Kutusov

 Comme décrit dans mon article précédent, la puissance militaire étatsunienne est en déclin et les effets sont palpables. Dans un monde plein de conflits provoqués par Washington, les changements économiques et financiers qui se produisent sont pour de nombreux pays un développement attendu et bienvenu depuis longtemps.

Si nous devions identifier ce qui alimente uniquement l'impérialisme étatsunien et ses aspirations à l'hégémonie mondiale, le rôle du dollar étatsunien serait en première place. Il est donc nécessaire d'explorer la profondeur des effets du dollar sur l'économie mondiale pour comprendre les développements géopolitiques qui en ont résulté au cours des dernières décennies.

La raison pour laquelle le dollar joue un rôle si important dans l'économie mondiale est due aux trois grands facteurs suivants : le pétrodollar, le dollar comme monnaie de réserve mondiale et la décision de Nixon en 1971 de ne plus rendre le dollar convertible en or. Comme il est facile de le deviner, le pétrodollar a fortement influencé la composition du panier de Droit de tiragesSpécial (DTS), faisant du dollar la monnaie de réserve mondiale, ce qui a de graves implications pour l'économie mondiale en raison de la décision de Nixon d'éliminer la convertibilité du dollar en or. La plupart des problèmes pour le reste du monde sont nés d'une combinaison de ces trois facteurs.

 Dollar pétrodollar-or

Le plus grand changement géo-économique des cinquante dernières années a sans doute été mis en œuvre en 1973 avec l'accord entre l'OPEP, l'Arabie saoudite et les États-Unis pour vendre du pétrole exclusivement en dollars.

Plus précisément, Nixon a pris des dispositions avec le roi saoudien Faisal pour que les Saoudiens n'acceptent que des dollars comme paiement pour le pétrole et les investissements connexes, recyclant des milliards de dollars excédentaires en bons du Trésor étatsuniens et autres ressources financières en dollars. En échange, l'Arabie saoudite et d'autres pays de l'OPEP ont été placés sous la protection militaire étatsunienne. Elle rappelle un accord de type mafieux : les Saoudiens sont obligés de faire des affaires en dollars étatsuniens selon des modalités fixées par les Etats-Unis sans grand argument et en échange ils bénéficient d'une protection généreuse.

Le deuxième facteur, peut-être encore plus important pour l'économie mondiale, est que le dollar est devenu la monnaie de réserve mondiale et qu'il continue de jouer un rôle prédominant dans le panier des réserves de change internationales du FMI depuis 1981. Le rôle du dollar, lié évidemment au commerce pétrodollar, a presque toujours conservé une part de plus de 40% du panier des droits de tirage spéciaux (DTS), tandis que l'euro a conservé une part stable de 29-37% depuis 2001. Pour comprendre l'évolution économique en cours, il suffit d'observer que le yuan est désormais définitivement inclus dans le DTS, avec une part initiale de 10% immédiatement supérieure au yen (8,3%) et à la livre sterling (8,09%) mais significativement inférieure au dollar (41%) et à l'euro (31%). Lentement mais de manière significative, la monnaie yuan est de plus en plus utilisée dans le commerce mondial.

La raison pour laquelle les États-Unis ont pu alimenter cette demande mondiale de dollars est liée à la nécessité pour d'autres pays de posséder des dollars pour pouvoir acheter du pétrole et d'autres biens. Par exemple, si une entreprise bolivienne exporte des bananes vers la Norvège, le mode de paiement exige l'utilisation de dollars. La Norvège doit donc posséder la monnaie étatsunienne pour payer et recevoir les marchandises achetées. De même, les dollars reçus par la Bolivie serviront à acheter d'autres produits de première nécessité comme le pétrole du Venezuela. Cela peut sembler incroyable, mais pratiquement tous les pays jusqu'à il y a quelques années utilisaient le dollar étatsunien pour commercer entre eux, même les pays qui étaient anti-étatsuniens et contre les politiques impérialistes étatsuniens.

 

Cette utilisation continue du dollar a eu des effets dévastateurs sur la planète. Tout d'abord, l'utilisation intensive de la monnaie étatsunienne, couplée aux décisions de Nixon, a créé une norme économique basée sur le dollar qui a rapidement remplacé les métaux précieux comme l'or, qui avait été la norme pour l'économie mondiale pendant des années. Cela a entraîné une instabilité majeure et des systèmes économiques qui ont, au cours des années suivantes, créé des politiques financières désastreuses, comme en 2000 et 2008, par exemple. La principale source de fiabilité économique a été transférée de l'or vers le dollar, en particulier vers les bons du Trésor étatsuniens. Cette réorientation majeure a permis à la Réserve fédérale d'imprimer des dollars pratiquement sans limite (comme on l' a vu ces dernières années avec des taux d'intérêt pour les emprunts auprès de la FED de l'ordre de 0%), tout en sachant que la demande de dollars ne cesserait jamais, ce qui a aussi permis de maintenir en vie d'énormes secteurs d'entreprises privées et publiques (comme l'industrie de fracturation hydraulique). Cela a ouvert la voie à un système économique mondial fondé sur des instruments financiers comme les produits dérivés et d'autres titres plutôt que sur des biens réels et tangibles comme l'or. En agissant ainsi pour son propre bénéfice, les États-Unis ont créé les conditions d'une nouvelle bulle financière qui pourrait même faire tomber l'économie mondiale lorsqu'elle explosera.

Les États-Unis se sont retrouvés dans la position enviable de pouvoir imprimer des bouts de papier (simplement des reconnaissances de dette : IOU) sans aucun support en or et les échanger ensuite contre des marchandises réelles. Cet arrangement économique a permis à Washington d'obtenir un avantage stratégique inégalé sur ses adversaires géopolitiques (l'URSS d'abord, puis la Russie et la Chine), à savoir une capacité de dépense en dollars pratiquement illimitée, alors même qu'elle accumule une dette publique astronomique (environ 21 milliards de dollars). Le facteur déstabilisant pour l'économie mondiale a été la capacité de Washington à accumuler d'énormes quantités de dette publique sans avoir à s'inquiéter des conséquences ou même d'une éventuelle méfiance que les marchés internationaux pourraient avoir à l'égard du dollar. Les pays avaient simplement besoin de dollars pour le commerce et achetaient des trésors étatsuniens pour diversifier leurs avoirs financiers.

L'utilisation continue du dollar comme moyen de paiement pour presque tout, conjuguée à la capacité quasi infinie de la FED d'imprimer de la monnaie et du Trésor d'émettre des obligations, a fait du dollar le principal refuge sûr pour les organisations, les pays et les individus, légitimant ainsi ce système financier pervers qui affecte la paix mondiale depuis des décennies.

 

Dollars et guerre: vers la fin ?

Les problèmes pour les États-Unis ont commencé à la fin des années 1990, à un moment d'expansion de l'empire étatsunien après la chute de l'Union soviétique. L'objectif géopolitique déclaré était la réalisation de l'hégémonie mondiale. Avec une capacité de dépense illimitée et une idéologie basée sur l'exceptionnalisme étatsunien, cette tentative semblait être à la portée des décideurs politiques du Pentagone et de Wall Street. L'un des éléments clés de l'hégémonie mondiale a consisté à empêcher la Chine, la Russie et l'Iran de créer une zone d'intégration eurasienne. Pendant de nombreuses années, et pour diverses raisons, ces trois pays ont continué de réaliser des échanges commerciaux à grande échelle en dollars étatsuniens, s'inclinant devant les impératifs économiques d'un système financier frauduleux créé au profit des États-Unis. La Chine devait continuer à jouer son rôle d'usine mondiale, ayant toujours accepté les paiements en dollars et acheté des centaines de milliards de bons du Trésor étatsuniens. Avec Poutine, la Russie a commencé presque immédiatement à se dévaloriser, en remboursant la dette extérieure en dollars, en essayant de décharger cette pression économique. La Russie est aujourd'hui l'un des pays du monde où la dette publique et privée libellée en dollars est la moins élevée, et l'interdiction récente de l'utilisation du dollar étatsunien dans les ports maritimes russes en est le dernier exemple. Pour l'Iran, le problème a toujours été représenté par des sanctions, créant de grandes incitations à contourner le dollar et à trouver d'autres moyens de paiement.

Le facteur décisif qui a changé la perception des pays comme la Chine et la Russie a été la crise financière de 2008, ainsi que l'agression croissante des Etats-Unis depuis les événements en Yougoslavie en 1999. La guerre en Irak, ainsi que d'autres facteurs, ont empêché Saddam Hussein d'entamer un commerce du pétrole en euro, ce qui a menacé l'hégémonie financière du dollar au Moyen-Orient. La guerre et la présence continue des Etats-Unis en Afghanistan soulignent l'intention de Washington de continuer à encercler la Chine, la Russie et l'Iran afin d'empêcher toute intégration eurasiatique. Naturellement, plus le dollar était utilisé dans le monde, plus Washington avait le pouvoir de dépenser dans l'armée. Pour les Etats-Unis, payer une facture de 6 milliards de dollars (c'est le coût des guerres en Irak et en Afghanistan) a été sans effort, ce qui constitue un avantage inégalé par rapport à des pays comme la Chine et la Russie, dont les dépenses militaires sont respectivement d'un cinquième et d'un dizième respectivement.

 

 Les tentatives répétées et infructueuses de conquête, de subversion et de contrôle de pays tels que l'Afghanistan, la Géorgie, l'Irak, la Libye, la Syrie, le Donbass, la Corée du Nord, l'Egypte, la Tunisie, le Yémen et le Venezuela ont eu des effets significatifs sur la perception de la puissance militaire étatsunienne. Sur le plan militaire, Washington a subi de nombreuses défaites tactiques et stratégiques, la péninsule de Crimée revenant en Russie sans coup de feu et l'Occident ne pouvant réagir. Au Donbass, la résistance a infligé des pertes énormes à l'armée ukrainienne soutenue par l'OTAN. En Afrique du Nord, l'Egypte est maintenant sous le contrôle de l'armée, suite à une tentative de transformer le pays en un État sous le contrôle des Frères musulmans . La Libye, après avoir été détruite, est maintenant divisée en trois entités, et comme l'Egypte semble regarder avec un regard favorable vers Moscou et Pékin. Au Moyen-Orient, la Syrie, la Turquie, l'Iran et l'Irak coopèrent de plus en plus pour stabiliser les conflits régionaux, où ils sont soutenus au besoin par la puissance militaire russe et la puissance économique chinoise. Et bien sûr, la RPDC (République populaire de Corée du Nord) continue d'ignorer les menaces militaires étatsuniennes et a pleinement développé sa dissuasion conventionnelle et nucléaire, rendant ces menaces étatsuniennes nulles et non avenues.

Les révolutions de couleur, la guerre hybride, le terrorisme économique et les tentatives de déstabilisation de ces pays ont eu des effets dévastateurs sur la crédibilité et l'efficacité militaires de Washington. Les États-Unis sont considérés par de nombreux pays comme un appareil de guerre massif qui lutte pour obtenir ce qu'il veut, qui se bat pour atteindre des objectifs communs cohérents, et qui n'a même pas la capacité de contrôler des pays comme l'Irak et l'Afghanistan malgré sa supériorité militaire écrasante.

 

 Personne ne vous craint !

Jusqu' à il y a quelques décennies, toute idée d'éloignement du pétrodollar était perçue comme une menace directe pour l'hégémonie étatsunienne, nécessitant une réponse militaire. En 2017, compte tenu de la baisse de la crédibilité des États-Unis à la suite du déclenchement de guerres contre les petits pays (laissant de côté des pays comme la Russie, la Chine et l'Iran qui ont des capacités militaires comme celles auxquelles les États-Unis n'ont pas fait face depuis plus de soixante-dix ans), une récession généralisée du système fondé sur le dollar se produit dans de nombreux pays.

Ces dernières années, il est devenu clair pour de nombreux pays qui s'opposent à Washington que la seule façon de contenir adéquatement les retombées de l'effondrement de l'empire étatsunien est d'abandonner progressivement le dollar. Cela permet de limiter la capacité de Washington à dépenser des ressources militaires en créant les outils alternatifs nécessaires dans les domaines financier et économique qui élimineront la domination de Washington. C'est essentiel dans la stratégie russo-sino-iranienne visant à unifier l'Eurasie et à rendre ainsi les États-Unis hors de propos.

La dé-dollarisation de Pékin, Moscou et Téhéran est devenue une priorité stratégique. L'élimination de la capacité de dépense illimitée de la FED et de l'économie étatsunienne signifie limiter l'expansion impérialiste étatsunienne et diminuer la déstabilisation mondiale. Sans la puissance militaire étatsunienne habituelle pour renforcer et imposer l'utilisation du dollar étatsunien, la Chine, la Russie et l'Iran ont ouvert la voie à des changements importants dans l'ordre mondial.

Les Etats-Unis se sont lancés dans la course en accélérant ce processus par leur retrait de l'Iran du système SWIFT (ce qui ouvre la voie à l'alternative chinoise, connue sous le nom de CIPS) et en imposant des sanctions à des pays comme la Russie, l'Iran et le Venezuela. Cela a également accéléré l'extraction minière et l'acquisition d'or physique en Chine et en Russie, ce qui contraste directement avec la situation aux États-Unis, les rumeurs selon lesquelles la FED ne posséderait plus d'or. Ce n'est un secret pour personne que Pékin et Moscou visent une monnaie adossée à l'or si (ou quand) le dollar devrait s'effondrer. Cela a poussé les pays inébranlables à commencer à opérer dans un environnement non lié au dollar et par le biais de systèmes financiers alternatifs.

Un exemple parfait de la manière dont cela s'est réalisé peut être vu avec l'Arabie Saoudite, qui a représenté le cœur du pétrodollar.

 

 Dé-dollariser

Pékin a commencé à exercer une forte pression sur Riyad pour qu'il accepte les paiements en yuan pour le pétrole au lieu du dollar, comme le font d'autres pays comme la Fédération de Russie. Pour Riyad, c'est une question presque existentielle. Riyad est dans une situation délicate, car il s'agit de maintenir le dollar étatsunien lié au pétrole, même si son principal allié, les Etats-Unis, a poursuivi au Moyen-Orient une stratégie contradictoire, comme le montre l'accord de Plan d'action global conjoint (Joint Comprehensive Plan of Action: JCPOA). L'Iran, principal ennemi régional de l'Arabie Saoudite, a pu faire lever les sanctions (surtout des pays européens) grâce au JCPOA. En outre, l'Iran a pu remporter une victoire historique auprès de ses alliés syriens, en acquérant un rôle prééminent dans la région et en aspirant à devenir une puissance régionale. Riyad est obligé d'obéir aux Etats-Unis, allié qui ne se soucie pas de son sort dans la région (l'Iran est de plus en plus influent en Irak, en Syrie et au Liban) et est même en concurrence sur le marché du pétrole. Pour aggraver les choses pour Washington, la Chine est le plus gros client de Riyad; et compte tenu des accords avec le Nigeria et la Russie, Pékin peut arrêter d'acheter du pétrole en Arabie Saoudite si Riyad continue d'insister pour ne recevoir le paiement qu'en dollars. Cela nuirait gravement au pétrodollar, un système pervers qui endommagerait surtout la Chine et la Russie.

Pour la Chine, l'Iran et la Russie, ainsi que pour d'autres pays, la dévalorisation du dollar est devenue une question urgente. Le nombre de pays qui commencent à percevoir les avantages d'un système décentralisé, par opposition au système du dollar étatsunien, est en augmentation. L'Iran et l'Inde, mais aussi l'Iran et la Russie, ont souvent échangé des hydrocarbures en échange de produits primaires, contournant ainsi les sanctions étatsuniennes. De même, la puissance économique de la Chine lui a permis d'ouvrir une ligne de crédit de 10 milliards d'euros à l'Iran pour contourner les sanctions récentes. Même la RPDC semble utiliser des devises cryptographiques comme le bitcoin pour acheter du pétrole à la Chine et contourner les sanctions étatsuniennes. Le Venezuela (avec les plus grandes réserves de pétrole du monde) vient de commencer une démarche historique pour renoncer complètement à la vente de pétrole en dollars, et a annoncé qu'il commencera à recevoir de l'argent dans un panier de devises sans dollars étatsuniens. (Cela ne veut pas dire que le changement le plus important des 40 dernières années a eu lieu. Pékin achètera du gaz et du pétrole à la Russie en payant en yuan, Moscou pouvant convertir le yuan en or immédiatement grâce à la bourse internationale de l'énergie de Shanghai). Ce mécanisme gaz-yuan-or signale un changement économique révolutionnaire par l'abandon progressif du dollar dans le commerce.

Dans le prochain et dernier article, nous nous concentrerons sur les succès remportés par la Russie, l'Iran et la Chine dans la mise en place d'un ordre mondial multipolaire dans le but de contenir pacifiquement les retombées de l'effondrement de l'empire étatsunien, et sur la façon dont cet ordre mondial alternatif ouvre un nouveau paysage géopolitique pour les alliés des Etats-Unis et d'autres pays.

*Federico Pieraccini est un rédacteur indépendant spécialisé dans les affaires internationales, les conflits, la politique et les stratégies.

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