Tchad : combien de temps la population restera-t-elle otage du pire dictateur de la Françafrique ?
Communiqué du Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique,
Paris, 28 octobre 2013
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Applaudi à Bamako aux côtés de Hollande, Idriss Déby vient d’obtenir un siège de membre non permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU : le dictateur tchadien sort très renforcé de la guerre au Mali. La lutte contre le ‘djihadisme’ au Sahel est passée par l’alliance de l’armée française avec les troupes claniques d’un chef d’Etat considéré comme l’un des pires dictateurs d’Afrique. Idriss Déby en profite pour se présenter désormais comme rempart contre le terrorisme islamique ou comme sous-traitant potentiel d’opérations militaires ou de maintien de la paix.
L’argent du pétrole a permis le renforcement rapide de l’armée tchadienne depuis 2003, sans que la rente ne profite à la population, même si des infrastructures sortent de terre. Selon International Crisis Group en 2009 [1], « les ressources pétrolières sont devenues pour le pouvoir tchadien une source de renforcement militaire, de clientélisme et de cooptation politiques. Cette situation contribue à verrouiller davantage l’espace politique national et à maintenir le pays dans un blocage persistant qui radicalise des antagonismes entre le pouvoir et ses opposants. » Le pétro-Etat est 184e sur 186 au classement de l’indice de développement humain du PNUD [2]. Le gouvernement tchadien a annoncé le triplement de sa production pétrolière en 2015, ce qui le placerait au niveau du Congo-Brazzavile [3]. Récemment, il a décidé la création d’un fond d’investissement de 50Mds de dollars avec l’aide de Samuel Maréchal, ancien dirigeant du Front National [4]. Cette manne permet à Déby de financer des activités politiques en Afrique à la manière de Khadafi. Il intimide d’autres présidents, en particulier en Afrique de l’Ouest, et fragilise ainsi la démocratie, là où elle commence à s’installer.
Durant l’intervention au Mali, en mai 2013, Idriss Déby a pu écraser le peu d’opposition encore debout sans grande réaction internationale [5]. Cependant, la répression au Tchad en 2013 ou la présence des derniers enfants soldats tchadiens ne sont qu’une infime partie du bilan de 23 ans de règne : la liste des massacres perpétrés par les 10000 ‘soudards’ de la Garde Républicaine, des exécutions extra-judiciaires, des exécutions d’opposants, des villages brûlés, des prisonniers torturés ou exécutés, est interminable. Un inventaire des crimes est impossible à dresser car les organisations de droits humains n’ont la possibilité d’enquêter que très partiellement au Tchad. Déby a évidemment garanti l’impunité aux exécutants de ses ordres. Il a tout autant l’habitude d’emprisonner ou d’expulser des opposants que de corrompre des journalistes, des militants des droits humains, des politiciens, selon ses besoins, dans son pays et ailleurs.
La majorité des massacres a eu lieu dans les années 90 et sont liés à des guerres contre des rébellions, qui se sont créées en réaction aux massacres précédents, au caractère ethnique de l’armée, puis à l’accaparement des recettes pétrolières par la famille présidentielle et à l’impossibilité d’alternance politique. Une partie des crimes sont des crimes contre l’humanité imprescriptibles. La justice internationale s’est construite dans les années 2000, et Idriss Déby, très soutenu par Chirac jusqu’en 2007, s’est adapté pour éviter d’être poursuivi par la CPI comme l’a été le président soudanais El Béchir [6]. En 1990, la Commission d’enquête nationale avait établi à 40 000 le nombre de victimes du régime Habré. Dès 1993, Amnesty alertait sur la continuité des méthodes des deux régimes [7]. L’impunité de Déby rejoint celle de Habré d’autant plus que, comme Commandant en chef des Forces Armées du Nord, puis conseiller à la sécurité à la présidence jusqu’à sa défection en 1989, il a mené une partie des massacres attribués à Habré, dont ceux du ‘Septembre noir’ en 1984 dans le Sud, et ceux de la région de Guéra dans la répression du MOSANAT entre 1986 et 1988. Idriss Déby a déjà négocié son immunité au procès de Habré aux Chambres Africaines au Sénégal, où il est prévu qu’il intervienne comme témoin [8].
L’armée française a depuis 1990 été aux premières loges pour observer les crimes d’Idriss Déby et pour le protéger. En février 1998, à Sahr dans le Sud du Tchad, après l’enlèvement de 4 français par Mahamout Nahor, des massacres ont été commis sur ordre de Déby avec des soldats français à proximité. Concernant l’assassinat en février 2008 du leader de l’opposition démocratique Ibni Oumar Mahamat Saleh, l’enquête de la juge d’instruction française Emmanuelle Ducos permettra peut-être de connaître les témoignages des deux conseillers français présents et en particulier celui du colonel Gadoullet [9]. L’armée française a maintenu sa collaboration alors que les crimes s’accumulaient, cautionnant ainsi l’impunité, et contribuant ainsi à une banalisation des crimes contre l’humanité. Cette collaboration a aidé Déby à rester au pouvoir, jusqu’aux deux interventions françaises pour le sauver en 2006 et 2008. Par ailleurs, et de façon positive, pour pallier les défaillances de l’Etat tchadien, l’armée française joue un rôle humanitaire et social, grâce à l’hôpital militaire Epervier, ou en intervenant en cas d’incendies ou de catastrophes naturelles [10].
Idriss Déby n’a aucune légitimité démocratique. Il est arrivé par les armes. Il a été installé durablement en 1996 par les experts en fraude électorale français à l’époque où la Françafrique pouvait tout se permettre [11]. Il n’a eu ensuite qu’à profiter de l’expérience des dictateurs en scrutins frauduleux et à écraser toute opposition. La dernière mascarade, en 2011, cautionnée par l’Union Européenne suite au travail de l’expert des élections en dictature, Louis Michel, n’a apporté aucun progrès.
La démocratisation de l’Afrique centrale est actuellement impossible. Les destins du Tchad, de la Centrafrique, du Cameroun, du Congo Brazzaville et du Gabon sont liés. Les dictateurs sont globalement solidaires. Cette situation bloquée est aussi le résultat de l’historique de la politique française dans la région qui a favorisé son approvisionnement en pétrole. Actuellement, l’Union européenne qui souhaiterait commencer à définir sa politique de défense au Conseil européen de décembre, est entraînée par la politique française sous influence militaire dans des alliances avec les dictateurs de la Françafrique. La démocratisation est sacrifiée au profit du renforcement de la sécurité européenne et de son industrie d’armement. Le gouvernement français tente de (re)faire croire que les présidents peuvent construire « la paix et la stabilité » sans considération pour la nature des régimes. Les peuples, privés d’élections crédibles, sont toujours exclus du débat sur leur sécurité. Ainsi, Déby, qui a regagné une certaine ‘légitimité internationale’, se renforce militairement à l’extérieur et a réussi à s’imposer comme acteur incontournable en Centrafrique qu’il avait lui-même déstabilisée [12].
Le 29 octobre 2013, le Tchad subira l’Examen Périodique Universel de l’ONU à Genève [13]. Cet examen, non directement contraignant, permettra de juger de l’avancement de la construction de l’Etat de droit. Idriss Déby, mis en cause et susceptible d’avoir à rendre des comptes, ne fait évoluer son régime que très lentement. Les recommandations pour l’EPU formulées par Amnesty révèlent la nature du régime et l’horreur paralysante que vit la population depuis 23 ans [14]. Même si l’EPU ne vise pas directement à la justice et la vérité pour l’ensemble des crimes du régime tchadien, la mise en œuvre rapide de ses recommandations est essentielle.
Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique invite le gouvernement français à modifier impérativement sa politique au Tchad dans le sens :
d’un arrêt du soutien diplomatique et militaire à Idriss Déby,
d’un soutien actif aux démocrates tchadiens, et à la construction de l’Etat de droit selon les recommandations de l’Examen Périodique Universel
d’un retrait des troupes françaises du Tchad
à l’occasion du procès Habré, d’une transparence sur l’ensemble des crimes observés par des fonctionnaires français au Tchad entre 1982 et 2013, y compris sur les victimes des événements de février 2008 dont Ibni Oumar Mahamat Saleh.
Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique
17 Signataires : Forces Vives tchadiennes en exil, Rassemblement National Républicain (RNR, Tchad), Union des Populations du Cameroun (UPC), Comité d’Action pour la Conquête de la Démocratie en Centrafrique (CACDCA), Fédération des Congolais de la Diaspora (Congo Brazzaville), Mouvement pour le Renouveau Démocratique (MRD, Djibouti, coalition Union pour le Salut National (USN)), Alliance Républicaine pour le Développement (ARD, Djibouti, coalition Union pour le Salut National (USN)), Ca suffit comme cà ! (Gabon), Mouvement pour la Restauration Démocratique en Guinée Equatoriale (MRD), Forum Citoyenneté Monde arabe (FCMA), Amicale panafricaine, Sortir du Colonialisme, Afriques en lutte, Parti Communiste Français (PCF), Parti de Gauche, Fédération pour une Alternative Sociale et Ecologique (FASE), Europe Ecologie les Verts.
Notes
[1] 1. 26 août 2009, International Crisis Group : Tchad : sortir du piège pétrolier, http://www.crisisgroup.org/ /media/Files/africa/central-africa/chad/French%20translations/B065%20Chad%20Escaping%20from%20the%20Oil%20Trap%20French.pdf
[2] 2. 28 mars 2013, classement Indice de développement Humain 2012, http://hdrstats.undp.org/fr/pays/profils/TCD.html
[3] 3. 29 septembre 2013, Pétrole : le Tchad va tripler sa production, http://www.financialafrik.com/2013/09/29/petrole-le-tchad-va-tripler-sa-production-de-petrole
[4] 4. 2.10.13, M&A finance s’active au Tchad, http://www.africaintelligence.fr/LC-/holding-and-business/2013/10/02/m-afinance-s-active-au-tchad,107979217-BRE
[5] 5. 9.5.13, FIDH, LTDH, APTDH : vague de répression sur fond de tensions militaires, http://www.fidh.org/tchad-vague-de-repression-sur-fond-de-tensions-militaires-13248
[6] 6. 2 septembre 2008, ONU : “Human rights situations that requires the Council’s attention : Report of the Special Rapporteur on the situation of human rights in the Sudan : http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G08/153/54/PDF/G0815354.pdf?OpenElement
[7] 7. 21 avril 1993, Amnesty International demande l’ouverture d’une enquête exhaustive sur les massacres perpétrés par l’armée dans le Sud en 1993, http://www.amnesty.org/fr/library/asset/AFR20/016/1993/fr/1c186fb7-f90c-11dd-92e7-c59f81373cf2/afr200161993fr.pdf, Avril 1993, Le cauchemar continue, http://www.amnesty.org/fr/library/asset/AFR20/005/1993/fr/34bb3da2-ecd8-11dd-a08b-b3b1782331b8/afr200051993fr.html
[8] 8. 30.9.13, Jean Bernard Padaré : l’avocat qui construit scientifiquement la perte d’Idriss Deby ITNO, http://www.ndjamena-matin.com/article-tchad-jean-bernard-padare-l-avocat-qui-construit-scientifiquement-la-perte-d-idriss-deby-itno-120325040.html
[9] 9. Septembre 2009, Amnesty : "Disparitions forcées au Tchad" : http://www.amnesty.fr/sites/default/files/SF09MA084_tchad.pdf, + 5.3.13, Survie : Déby redevient fréquentable, l’impunité de ses crimes demeure, http://survie.org/billets-d-afrique/2013/221-fevrier-2013/article/deby-redevient-frequentable-l
[10] 10. 28 juillet 2011, Vers une redéfinition de la présence militaire française au Tchad ? : http://www.france24.com/fr/20110728-dispositif-epervier-dispositif-alain-juppe-tchad-presence-militaire-francaise-aqmi
[11] 11. Jerôme Grand d’Esnon et André Rouge, Verschave, Noir Chirac, 2002, p225 chap. Légitimer le frère Déby, bourreau des Tchadiens
[12] 12. Les 23 et 24 mars 2013, les forces spéciales tchadiennes ont discrètement combattu l’armée centrafricaine et les soldats d’Afrique du Sud de la FOMAC pour ouvrir une brèche à la Séléka, lui permettant d’entrer dans Bangui. 8.10.13, AFP : La Centrafrique, une affaire de sécurité nationale pour N’Djamena : http://liberation.fr/monde/2013/10/08/la-centrafrique-une-affaire-de-securite-nationale-pour-n-djamena_937823
[13] 13. 29 octobre 2013, Examen Périodique Universel du Tchad, ONU, Genève, http://www.upr-info.org/-Chad-.html
[14] 14. 31 juillet 2013, Suggestions de recommandations aux États qui seront soumis à l’Examen périodique universel (17e session 21 oct–1er nov), http://amnesty.org/en/library/asset/IOR41/012/2013/en/bb433783-ef38-4cdc-8d6a-474f74b057d6/ior410122013fr.html
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Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique – Paris
http://www.electionsafrique.org/
Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique se réunit chaque mois depuis 2009 à Paris. Il inscrit son travail dans le sens d’un soutien aux démocrates africains et dans le sens d’une réforme profonde de la politique française. Il a participé à de nombreux événements et manifestations, et a poursuivi depuis 2009 un travail sur les élections, les processus électoraux et les fraudes. Il constitue un espace de réflexion collective de plaidoyer et d’échanges entre partis politiques et associations, de France et d’Afrique. Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique s’est particulièrement investi sur certains évènements et crises, en mettant l’accent sur les processus électoraux :
Octobre 2013, Tchad, communiqué sur la politique française
Septembre 2013, Cameroun, communiqué sur les législatives
Juillet 2013, Politique de la France en Afrique, communiqué sur l’influence militaire
Mai 2013, Guinée Equatoriale, élections législatives, Communiqué sur pétrole et élections
Avril 2013, Togo : affaire des incendies, lettre à Laurent Fabius
Février 2013, Djibouti, Togo, Cameroun, Guinée, élections législatives : lettre ouverte à Assemblée Nationale
Février 2013, Djibouti, élections législatives : communiqué
Janvier 2013, Togo, élections législatives, lettre ouverte du collectif à l’Union européenne :
Juillet 2012, Congo Brazzaville, élections législatives, communiqué du collectif
Décembre 2011, Gabon, élections législatives : dossier d’information rédigé par Survie
Octobre 2011, Cameroun, élection présidentielle : dossier d’information, mobilisation et meeting
2010 : cinquante ans des indépendances : mobilisations dont une manifestation le 14 juillet 2010
Mars 2010, Togo, élection présidentielle : mobilisation, plaidoyer vers Union Européenne et communiqué
Juin 2009, Mauritanie, déclaration du collectif
Suite présentation : Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique – Paris