Gbagbo est aux prises avec ce qu’on appelle un «syndrome de stress post-traumatique», héritage des conditions vicieuses de son incarcération à Korhogo.
Un syndrome qui touche aussi les prisonniers du tristement célèbre camp de Guantanamo. Pour mieux récupérer, il doit être remis à l’affection de ses proches, d’autant plus qu’il a l’intention d’aller «jusqu’au bout».
Traité de manière particulièrement cruelle et dégradante durant son séjour au Golf Hôtel et à Korhogo, le président Laurent Gbagbo en est tombé sérieusement malade. Cette réalité, la Cour pénale internationale (CPI) l’a désormais admise. Et la dernière décision de la Chambre préliminaire I sur son «maintien en détention» permet de s’en rendre compte très clairement. Indice important, pour la première fois, la CPI désigne clairement dans un document public la maladie dont souffre le célèbre prisonnier de Scheveningen, et qui a souvent été abordée dans des échanges à huis clos : le stress post-traumatique.
Contrairement à certaines analyses de presse, la juridiction ne demande pas à ses avocats de «prouver» la précarité de son état de santé, mais elle demande à ses avocats et au greffe de lui donner des informations sur les dispositions qui sont prises pour, justement, venir à bout des «soucis persistants» à ce sujet. S’il était encore question de déterminer la réalité de ce dont il souffre, une expertise médicale aurait été demandée, mais il n’en est pas question. Parce que les expertises médicales ont déjà statué…
Qu’est-ce que le stress post-traumatique? «C’est un trouble anxieux se caractérisant principalement par le développement de symptômes spécifiques faisant suite à l'exposition à un événement particulièrement stressant ou à un événement traumatique extrême qui a impliqué la mort, une menace de mort, des blessures graves et/ou une menace à l’intégrité physique de la personne et/ou à celle d’autrui», écrit l’Institut universitaire de santé mentale de Montréal. Seuls des experts (médecins, psychiatres, psychologues), à la suite d’entretiens cliniques, peuvent diagnostiquer le stress post-traumatique – et dans le cas de Gbagbo, ils sont formels, selon toute évidence.
«Double peine»
Ce syndrome n’est venu de nulle part. Il est la conséquence directe des conditions inhumaines d’incarcération que Gbagbo a subies de la part d’Alassane Ouattara et de ses sbires. Il est ainsi bon de noter que les anciens pensionnaires de la prison américaine de Guantanamo souffrent, pour un grand nombre d’entre eux, de ce fameux syndrome du stress post-traumatique.
Dans une interview accordée à la documentariste italienne Nicoletta Fagiolo, dans le cadre du projet «Laurent Gbagbo, le droit à la différence», dont Le Nouveau Courrier a eu la primeur, Guy Labertit, l’ami de toujours, lève un coin de voile sur cette période traumatisante. «La première fois que je l’ai vu le 19 janvier 2012, j’ai trouvé un homme qui était encore marqué par les sept à huit mois qu’il avait passés à Korhogo dans des conditions assez désastreuses. Il m’a dit lui-même qu’il n’était pas sorti en dehors de la visite de Desmond Tutu, Mary Robinson et Kofi Annan – qui s’était d’ailleurs permis de dire qu’il était bien traité, ce qui est d’ailleurs tout à fait scandaleux au regard de ce qu’il a vécu. Le président Gbagbo avait aussi été plus que bousculé au moment de son arrestation et à l’hôtel du Golf, contrairement à ce qui a été dit. Il avait encore des séquelles, il ne pouvait toujours pas fermer sa main droite.» Ces dernières séquelles n’ont, au demeurant, pas complètement disparu, malgré de nombreuse séances de kinésithérapie.
Gbagbo n’est pas dans un quartier VIP
La question morale qui se pose dans ce contexte est la suivante : est-il normal de faire subir à un homme qui a été torturé et dont les tortionnaires sont les meilleurs amis impunis de la CPI, une sorte de «double peine», alors même que ses accusateurs peinent à convaincre les juges du sérieux de leurs accusations ? En effet, Gbagbo a été traumatisé par un enfermement inhumain, durant lequel il n’a pas vu la lumière du soleil. C’est cet enfermement qui a profondément agi sur son corps et sur son esprit. Il va de soi qu’il est difficile pour lui de «récupérer» de ses souffrances dans un contexte d’enfermement plus light, mais qui demeure un emprisonnement rude.
Contrairement aux mythologies communément répandues, Gbagbo ne se trouve pas dans un «quartier VIP» mais dans une prison ordinaire, où les vexations ne sont pas absentes. Ainsi, explique Guy Labertit dans son entretien avec Nicoletta Fagiolo, la CPI a souvent imposé des périodes «sans visites» et l’a souvent privé du droit de recevoir des livres de la part de ses amis et soutiens. Il va de soi que Gbagbo, qui n’est plus tout jeune, et qui a l’intention d’aller «jusqu’au bout» de la procédure en cours, récupèrera mieux de ses souffrances dans un environnement où il pourra profiter de la chaleur de ses proches conjuguée à l’accompagnement d’un spécialiste compétent.
Philippe Brou