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Ghislaine Dupont : Expulsée « proprement » de la RDC, tuée « froidement » au Mali…
Bukavuonline
par Hugues Mambo
Comme une trainée de poudre, la nouvelle des deux envoyés spéciaux de la RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, d’abord enlevés puis tués froidement par les rebelles à Kidal, au Mali, ce 2 novembre 2013, s’en est allée de par le monde. Jusqu’à la seconde où nous couchons ces lignes, les circonstances de ce meurtre sont peu connues. Depuis, les diverses réactions et sentiments mélangés tombent sur la table de la rédaction de la RFI : colère, indignation, révolte, grognes, hommages, tous à la fois. A lire tous les commentaires, on sent que ces deux envoyés spéciaux n’étaient pas nés de la dernière pluie. On dit d’eux qu’ils étaient des journalistes « aguerris ».
L’une deux envoyés spéciaux assassinés est plus connue au Congo plus que l’autre : Ghislaine Dupont, c’est son nom. Ces lignes lui sont dédiées pour avoir travaillée, pour le compte de la RFI, au Congo, pendant toute une décennie.
Ghislaine Dupont (a votre gauche) et Claude Verlon
Ghislaine Dupont (a votre gauche) et Claude Verlon
Seulement voilà : Enquêter et faire des reportages sur la RDCongo n’est pas une mince affaire quand on sait que ce grand pays au cœur de l’Afrique traverse une turbulence de plus d’une décennie avec des guerres à répétition à l’Est, ajouter à cela tout le problème de la gouvernance qui le ronge. Dans pareille ambiance, il faut savoir jouer à l’équilibriste entre le « gouvernement » et les « rebelles », faute de quoi, on est déclassé. Cette journaliste de renom finira son parcours en Rdc par un « divorce », il y a de cela 7 ans, voici comment : 2006, c’était l’année des élections présidentielles. Une première depuis plusieurs décennies. C’était un événement à couvrir à tout prix. De partout, les journalistes affluaient à Kinshasa pour avoir les accréditations. On se bousculait aux portillons du Ministère de l’Information. Connaissant comment les choses fonctionnent au Congo, Ghislaine est arrivée à Kinshasa plus tôt, en Avril. Et comme les autres journalistes, elle avait commencé à couvrir la campagne électorale en fin juin. Quelques jours après, précisément le 3 juillet 2006, elle s’est vue convoquée aux locaux de la direction générale des renseignements et des services spéciaux. C’est là qu’elle sera mise au courant de la décision de son expulsion de la RDCongo. A l’absence du responsable de ces services, c’est un des adjoints, le major Van, qui a pris soin de lui communiquer cette « décision », en présence de consul de l’Ambassade de France à Kinshasa et des autres journalistes. Alors que Ghislaine croyait être à l’abri parce que détentrice d’un visa en qualité de journaliste et d’une accréditation auprès de la Mission des Nations Unies au Congo, une déclaration du major à suffit pour lui prouver le contraire : »Vous n’étiez pas en règle pour faire votre travail. Vous n’aviez pas d’accréditation ». En fait, il faut dire que la journaliste avait réalisé quelques reportages diffusés sur RFI sans avoir reçu l’autorisation du ministère de l’Information en RDC. Mais, elle n’était pas la seule.
Pour être encore un peu plus clair, le major Van a rajouté : « Nous avons voulu le faire proprement, compte tenu des bonnes relations que nous entretenons avec l’ambassade de France ». Le major a refusé carrément de répondre à toute autre question venant de Ghislaine et des autres. Une grande question la poursuivait cependant: « Pourquoi seulement Ghislaine Dupont et pas d’autres ? ». Le major renvoi la question à Ghislaine : « »Pourquoi seulement elle et pas d’autres ? C’est ça la question, elle doit savoir pourquoi ». Ni la « protestation » de la direction de la RFI, ni la « profonde déception » des Reporters sans frontières, n’ont réussies à changer cette décision. C’est comme cela que Ghislaine Dupont sera escortée manu militari jusqu’à l’aéroport de Nd’jili, puis embarquée dans l’avion à destination de Bruxelles, sans être notifiée des motifs de son expulsion. Mais on sait aujourd’hui que le ministère congolais de l’information avait taxé Ghislaine Dupont de « partiale » dans le traitement de ses informations. On se rappelle même que le Ministre de l’information de cette époque avait comparé la RFI à la Radio Télévision Libre des Mille collines, cette station des génocidaires des hutus rwandais.
Mais Ghislaine, ne s’est pas avouée vaincue. De loin, depuis Paris où elle était, elle continuait, via ses informateurs sur place, à enquêter sur la situation du Congo. Et cela lui coûté cher : elle recevra une sanction de la part de la haute hiérarchie de la RFI. Elle a fini par être mise à l’écart, écartée du dossier de la RDC. Et pour cause : En juillet 2009, les autorités de Kinshasa avaient décidé de « couper » les six émetteurs de RFI après une série d’informations diffusées qui portaient la signature de Ghislaine sur la RDC, notamment sur les cas des exactions et des viols commis par les soldats de l’armée congolaise ; et aussi sur le projet de la réforme constitutionnelle qui pourrait permettre à Kabila de se maintenir au pourvoir. Pour le gouvernement de Kinshasa, c’est de la pure « désinformation » et une « campagne de déstabilisation du Congo ». C’est après la mise à l’écart de Ghislaine du « dossier de la RDC » que le signal a été rétabli. C’était une forte pression de Kinshasa sur la RFI quand on sait que ce pays est l’un des plus grands pays francophones au monde. Couper le signal, signifie diminuer sensiblement l’audience de la « Radio Mondiale ». Actuellement, on sent que la relation entre la RFI et le gouvernement de Kinshasa est au beau fixe car la convention a été revisitée : La RFI a été autorisée à réémettre au Congo à deux conditions : « un traitement équilibré des informations sur le RDC » et la « prise en compte des intérêts nationaux de la RDC ». Et pour cela, il fallu qu’une journaliste française du nom de Ghislaine Dupont soit passée par là…
Tout compte fait, l’illustre disparue a été une question en RDC. Si pour les uns Ghislaine aimait le Congo, pour les autres, par contre, elle était l’ennemie du Congo. Mais elle, elle savait ce qu’elle voulait : controversée, expulsée, menacée de mort et finalement assassinée, Ghislaine est restée sur sa ligne de conduite et sur ses convictions, excluant toute complaisance dans son travail. Quand on est journaliste, c’est difficile de plaire à tout le monde. Comme c’est difficile de garder le juste milieu. Ghislaine est restée égale à elle-même : une brave journaliste. Comme un bon soldat, elle est tombée sur le champ de bataille, arme à la main. La rédaction de Bukavuonline.com présente ses sincères condoléances à la direction de la RFI pour la perte incommensurable de cette journaliste « aguerrie ».
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