Le traité transatlantique est un affront à la démocratie (The Guardian) par George Monbiot
Bruxelles a gardé un accord secret qui laisserait les entreprises voraces passer au dessus de nos lois, de nos droits et de notre souveraineté nationale.
Vous souvenez vous du référendum à propos duquel nous devions créer un marché unique avec les États-Unis ? Vous savez, celui accordé aux grandes entreprises d’avoir le pouvoir d’écraser nos lois ? Non, ça ne me dit rien. Constatez, l’autre jour j’ai perdu 10 minutes à chercher ma montre avant de réaliser que je la portais. Oubliant que le référendum est un autre signe de vieillissement. Parce qu’il a dû en être un, n’est-ce pas ? Après le long débat sur la question de rester ou pas dans l’Union Européenne, le gouvernement ne cèderait pas notre souveraineté dans l’ombre sans nous consulter… Le ferait-il ?
L’objectif du traité transatlantique est de faire sauter les différences réglementaires entre les États-Unis et les nations européennes. J’ai mentionné ça il y a deux semaines. Mais j’ai laissé de côté le plus gros problème : la facilité remarquable que cela accorderait aux grandes entreprises de poursuivre en justice sans scrupules les gouvernements qui essayent de défendre leurs citoyens. Cela permettrait à leur cabinets d’avocats d’agir secrètement contre la volonté du parlement et de détruire nos lois protectrices. Pourtant les défenseurs de notre souveraineté ne disent rien.
Le mécanisme par lequel tout ça a pu se produire est connu comme étant le règlement des conflits d’investissement d’État. Ça a déjà été utilisé dans de nombreuses parties du monde pour détruire les règlements de défense du peuple et de la planète.
Le gouvernement australien, après de longs débats à l’intérieur et à l’extérieur du parlement, décida que les cigarettes devraient être vendues dans des paquets ordinaires, seulement marqués par une sensibilisation de choc concernant la santé. La décision a été ratifiée par la Cour suprême australienne. Mais en utilisant un accord de libre-échange qui lie l’Australie et Hong Kong, l’entreprise de tabac Philip Morris a demandé à un tribunal offshore de se faire remettre une vaste somme pour compenser la perte de ce qu’elle appelle la propriété intellectuelle.
Pendant sa crise financière, et en réponse à la colère populaire, l’Argentine imposa un gel des prix de l’énergie et de l’eau (ça vous parait familier ?). Elle a été poursuivie en justice par des entreprises internationales de services publics dont les grosses enveloppes ont incité le gouvernement à agir en conséquence. Pour ça et d’autres crimes similaires, elle a été forcée de payer plus d’un milliard de dollars en compensation. Au Salvador, les communautés locales ont frappé un grand coup pour persuader le gouvernement de refuser l’accord, pour une vaste mine d’or, qui menaçait de contaminer leurs réserves d’eau. Une victoire pour la démocratie ? Peut-être pas pour longtemps. L’entreprise canadienne qui a cherché à creuser dans la mine est actuellement en procès avec le Salvador pour 315 millions de dollars – pour la perte de ses futurs bénéfices.
Au Canada, les tribunaux ont révoqué deux brevets possédés par la firme pharmaceutique américaine Eli Lilly, au motif que la compagnie n’avait pas produit assez de preuves sur les prétendus effets bénéfiques. Eli Lilly est actuellement en procès avec le gouvernement canadien pour 500 millions de dollars, demandant à ce que les lois sur les brevets changent.
Ces entreprises utilisent les règlements de conflits d’investissement d’État intégrés dans les traités signés par les pays qu’elles poursuivent. Ces règles sont violées par des commissions qui n’ont aucune des garanties qu’on attend d’elles dans nos propres tribunaux. Les auditions sont tenues secrètes. Les juges sont des avocats d’entreprise, la plupart travaillent pour ces compagnies. Les citoyens et communautés affectés par leurs décisions n’ont pas de statut juridique. Ils n’ont aucun droit d’appel sur le fond de l’affaire. Ainsi, elles peuvent renverser la souveraineté des parlements et les règlements des cours suprêmes.
Vous ne le croyez pas ? Voici ce que dit un de ces juges de ces tribunaux à propos de son travail : « Quand je me réveille dans la nuit et que je pense à l’arbitrage, je m’étonne toujours que les États souverains aient donné leur accord pour l’arbitrage relatif à l’investissement.Trois particuliers sont chargés avec le pouvoir de revoir , sans aucune restriction ni procédure d’appel, toutes les actions du gouvernement, les décisions des tribunaux, et toutes les lois et règlements émanant du Parlement. »
Les citoyens n’ont aucun droit de refus. Nous ne pouvons pas utiliser ces tribunaux pour demander une meilleure protection contre l’avarice des entreprises. Comme dit le Centre de la Démocratie, ceci est « un système de justice privé pour les entreprises mondiales ».
Même si ces poursuites n’ont pas abouties, elles peuvent exercer un pouvoir d’intimidation sur la législation. Un agent du gouvernement canadien en parlant du traité de libre-échange nord américain, remarqua : « J’ai vu des lettres provenant de New York et des instances juridiques de Washington, adressées au gouvernement canadien à chaque proposition de loi sur l’environnement dans les cinq dernières années. Elles concernaient le droit de brevet sur les produits chimiques pour le nettoyage, les médicaments et les pesticides. Pratiquement toutes les nouvelles initiatives ont été visées et la plupart n’a pas vue la lumière du jour ». La démocratie est impossible dans ces circonstances.
Ceci est le système dans lequel nous serons si le traité transatlantique passe. Les États-Unis et la commission européenne, les deux qui ont été capturés par les corporations qu’ils sont supposés réguler sont sous pression pour inclure dans le traité ce fameux règlement de conflit d’investissement.
La Commission justifie cette politique en déclarant que les juridictions nationales n’ont pas offert de protection suffisante aux entreprises au motif qu’elles « pourraient être biaisées ou qu’elle manquent d’indépendance ». De quelles juridictions parle-t-elle ? Des étasuniennes ? De ses États membres ? Ce n’est pas dit. En fait, elle n’arrive pas à produire un exemple concret démontrant la nécessité d’un nouveau système extra-judiciaire. C’est précisément parce que nos tribunaux ne sont pas biaisés et ne manquent pas d’indépendance que les grandes entreprises veulent les contourner. La Commission européenne cherche à remplacer ouvertement les tribunaux souverains par un système fermé et corrompu, coincé entre les conflits d’intérêt et les pouvoirs arbitraires.
Les règles d’investissement d’État pourraient être utilisées pour écraser toute tentative de sauver le service de santé national du contrôle des entreprises, de ré-règlementer les banques, de limiter l’avidité des sociétés énergétiques, de re-nationaliser les chemins de fer, de laisser les énergies fossiles là où elles sont. Ces règles empêche les alternatives démocratiques. Elles font obstacle aux politiques de gauche.
C’est pourquoi il n’y a eu aucune tentative par le gouvernement britannique de nous informer de ce véritable assaut dirigé contre la démocratie, sans nous consulter. Et c’est pourquoi les conservateurs qui ragent dans leur coins sont silencieux. Réveillez-vous, nous sommes en train de nous faire arnaquer !
George Monbiot
Traduction : Laurent D (News360x)