Libye et le "social-impérialisme": le bilan deux ans plus tard
Irib
par Nazanin Armanian
Deux ans après l’attaque confuse de l’OTAN contre l’Etat libyen qui a mis un terme à la vie de milliers de personnes (pour les libérer de Kadhafi !), qui a détruit une bonne partie du pays et a mis fin à la Libye en tant qu’Etat, on découvre enfin les contre-vérités débitées par les ennemis étrangers du pays. (1) Quelles étaient les vraies raisons derrière l’assassinat de Khadafi ? Quel rôle a-t-il joué Israel ? Et enfin, qu’est-il arrivé au pétrole libyen ?
Lénine qualifiait de sociaux-impérialistes les sociaux-démocrates allemands qui ont rejeté le Tsar de Russie tout en défendant la guerre de 1914. Mao a dénaturé le terme péjorativement pour se référer à l’Union soviétique et justifier de cette manière son alliance avec les Etats-Unis, l’impérialisme « décadent ». Aujourd’hui, ce terme traduit l’hypocrisie des « interventions/guerres humanitaires » et l’union impossible entre deux idées contraires.
Obama et Cameron, dans leur propagande de guerre, ont accusé Kadhafi de commettre un « génocide » (2) contre son peuple. Terme choisi minutieusement et qui a permis à l’OTAN d’intervenir en Libye en mettant en application la doctrine des œufs d’or de la Responsabilité de Protéger (R2P) de l’ONU (qui n’a pas été utilisée pour la population de Gaza ou du Bahreïn !).
Il importait peu que même Robert Gates, secrétaire à la Défense des Etats-Unis, ait confessé qu’ils n’avaient pas pu confirmer un tel acte. De plus ils ont exagérer la « mort de dizaines de milliers de civils », tandis qu’Amnesty International démentait des personnages tels que le procureur général de la Cour pénale internationale, Luis Moreno-Ocampo, qui prétendait que des femmes libyennes étaient violées par des soldats qui avaient pris soin de mettre du viagra dans leurs poches auparavant.
L’OTAN est donc partie sauver le peuple libyen, pendant que leurs bateaux laissaient mourir en haute mer ceux qui fuyaient la guerre, dénonçait The Guardian.
Le comble de l’hypocrisie a été d’accueillir l’ancien chef des services secrets de Kadhafi et Abdul Jalil, le ministre de la justice du régime, qui, au lieu d’être envoyés devant la Cour pénale internationale pour avoir été membre de la dictature, ont été invités à collaborer avec l’alliance militaire. Que le drapeau noir d’Al-Qaïda soit hissé sur le palais de justice de Benghazi après avoir assassiné Kadhafi et que Jalil soit désigné par l’Occident comme chef de l’Etat libyen durant la transition vers la « démocratie » ont été le summum de ce sans-gêne éhonté !
Les Etats-Unis, leurs alliés européens et Israël, en appliquant leur politique de « limite des dégâts » avaient déjà canalisé les révoltes spontanées en Egypte et en Tunisie, ils les avaient également contenues en Irak, au Yémen, en Arabie saoudite et au Bahreïn, et maintenant en Libye ils enlèvent la feuille de vigne, exhibant toute leur puissance.
Renverser un allié
La Libye, le pays du peuple millénaire Libou, habité par une centaine de tribus arabes et berbères, de religion musulmane sunnite, a tenté un tournent radical dans sa politique à la fin de la guerre froide. Mouammar Kadhafi, un dictateur et un fervent anticommuniste,a commencé à se rapprocher de l’Occident : en 2002, il a payé quelques 2.940 millions d’euros aux victimes de Lockerbie (tout en niant son implication dans l’attentat) et a accepté « la légalité internationale, bien qu’elle soit faussée et imposée par les Etats-Unis ».
Le nom de son pays faisait partie de la liste de l’Axe du mal et de l’attaque dévastatrice anglo-américaine envers l’Irak en 2003, jusqu’à la pédagogie de la terreur. Il a accepté de se désarmer – sous la pression d’Israël, pays détenteur d’armes nucléaires, biologiques et chimiques – pour finir par acheter des armes aux même pays qui le bombarderont quelques années plus tard son pays sans défense. [Il se passe la même chose avec la Syrie. Aucun dictateur n’est totalement dépourvu d’intelligence, sinon il ne serait pas dictateur.] Entre 2005 et 2009, l’Europe lui a vendu pour 834,54 millions d’euros d’armes. Il a collaboré avec la « guerre contre le terrorisme » de la CIA qui remplissait ses prisons avec des personnes n’ayant aucuns droits à se défendre. Les banques occidentales, qui déroulaient le tapis rouge lorsqu’ils le recevaient, faisaient leur beurre avec les dépôts libyens. Le comble, c’est que le leader de la République « socialiste » libyenne a financé le candidat d’extrême droite Nicolas Sarkozy.
C’est certain, nous nous trouvons là face à un personnage complexe comme on en trouve, malheureusement pour les analystes manichéens, en abondance dans le Sud. Des dictateurs autoritaires ou totalitaires et nationalistes que l’on rencontre en dehors de l’orbite des Etats-Unis, mais qui partagent leur couche avec d’autres impérialistes : le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la France.
Toutefois, les Etats-Unis ont décidé de le tuer (souvenez-vous du « Venividivinci » d’Hillary Clinton), car :
1. L’Occident était plus intimidé par un Kadhafi capable d’utiliser le « pouvoir doux » que par un Kadhafi « fou ».
2. Ils souhaitaient écraser le futur Printemps libyen, avant que la situation ne se complique, comme ça a été le cas en Egypte. En Libye, les Etats-Unis ne disposaient d’aucune influence sur l’armée et ne pouvaient donc pas recourir à un coup d’Etat.
3. Kadhafi n’était pas une marionnette. En outre, son caractère imprévisible provoquait l’insécurité quant à ses plans militaires et économiques en Afrique. Selon Marco Rubio, sénateur républicain aux USA, « l’intérêt national demande l’éviction de Kadhafi du pouvoir ».Il avait bloqué toutes les chances des Etats-Unis en Libye. Les sociétés Bechtel (géant de l’ingénierie) et Caterpillar (fabricant de matériel de construction) avaient été exclues en faveur de sociétés russes, chinoises et allemandes.En septembre 2011 déjà, l’ambassadeur des Etats-Unis, Gene Cretz, annonçait qu’une centaine de sociétés américaines avaient l’intention de profiter de la disparition de Kadhafi pour faire des affaires en Libye.De plus, le secrétaire à la Défense britannique, Philip Hammond, peu après l’assassinat du dirigeant africain, a invité les entrepreneurs à aller reconstruire ce que l’OTAN avait détruit ; on appelle cela du « capitalisme-vautour » ou la « destruction créative ». La société General Electric espère gagner jusqu’à 10 milliards de dollars en investissant dans le pays dévasté.
4. Kadhafi proclamait une Afrique dotée d’une identité politique intégrée et non divisée entre une Afrique « blanche méditerranéenne civilisée » et une Afrique « noire barbare ». Il défendait l’autosuffisance afin de se détacher des institutions financières occidentales.
5. Ils souhaitaient contenir la montée du pouvoir et de l’influence de Kadhafi sur le continent, car il gênait la libre circulation des capitaux occidentaux dans la région. Sous sa direction, la Libye possédait 150 milliards de dollars investis en Afrique.
6. Kadhafi était considéré par Washington comme l’obstacle principal à la dominance militaire des Etats-Unis en Afrique. 45 pays ont refusé d’accueillir le siège d’Africom. A présent, la Libye est l’une des candidates pour héberger le commando militaire des Etats-Unis.En outre, l’OTAN peut s’approprier le Moyen-Orient méditerranéen ; il ne reste qu’à éliminer le Syrien Bacharel-Assad pour « atlantiser » le bassin méditerranéen.
7. Kadhafi était devenu le principal allié des BRICS, de la Chine en particulier. Les contrats d’une septantaine d’entreprises chinoises, dont la valeur s’élevait à 18 milliards de dollars, ont été congelés après la guerre.
La Russie a également perdu environ 4 milliards de dollars en contrats d’armement. (3)
Le rôle particulier d’Israël
La première livraison que la future Nouvelle Libye avait reçue des Israélien était les bombes guidées, larguées depuis des avions de l’OTAN en 2011. Pendant que le Mossad et d’autres services alliés poursuivaient Mouammar Kadhafi l’anti-israélien, les rebelles négociaient l’échange d’ambassadeurs avec les Hébreux.
Tel Aviv, après avoir rayé l’Irak de ses rivaux – via l’intervention du grand frère, les Etats-Unis – et tandis qu’elle continuait à affaiblir l’Iran en canalisant la révolte populaire contre Hosni Moubarak en Egypte, a incité et participé activement à en finir avec la puissante Libye ainsi qu’avec son Guide. En 2007, Goldman Sachs, une des institutions financières du lobby juif, s’est emparé de la totalité des investissements de Kadhafi (1,5 milliards de dollars), qui n’avait pas l’intention de le leur pardonner.
Le rôle du lobby juif auprès de l’ONU et dans les médias (notamment Al Jazeera) a été déterminant dans la diabolisation du chef d’Etat libyen au regard de l’opinion publique.
Israël, poursuivant sa progression sur le continent africain, le divise selon la couleur de peau des habitants, les croyances religieuses et les groupes ethnolinguistiques et soutient l’ « Afrique noire » contre l’ « Afrique arabo-musulmane ». (4)
Le chauvinisme du régime israélien, dirigé par les Européens ashkénazes, a frappé dans les années 90 les Mizrahim, des juifs « impurs » du nord de l’Afrique et du Moyen-Orient : des centaines d’Ethiopiennes juives candidates à l’immigration ont été soumises à une stérilisation secrète et forcée avant d’être admises en Israël.
Aujourd’hui, après avoir perdu son solide partenaire Hosni Moubarak, Benyamin Netanyahou va essayer de faire de la « nouvelle » Libye un allié stratégique.
Qu’est-il arrivé au pétrole libyen ?
Propriétaire de la plus importante réserve d’hydrocarbure d’Afrique, de haute qualité qui plus est, la Libye a exporté en 2012 379,5 millions de barils de pétrole.
N’en déplaise aux Etats-Unis et à l’Union européenne, la Libye d’aujourd’hui envoie plus de pétrole à la Chine que sous l’ère Kadhafi : si en 2010 30% de son or noir était envoyé en Italie, 16% en France et 11% en Chine, un an après, la Chine avait pris la place de la France et achetait jusqu’à 100 000 barils par jour. ENI, la société de la ville aux sept collines, a été la grande gagnante. Les compagnies Shell et BP, curieux paradoxe, n’ont pas remporté l’appel d’offres pour exploiter le pétrole libyen.
La production de pétrole brut a chuté de 1,4 millions de barils par jour en 2010 à seulement 500 000 en raison de la fuite des techniciens des compagnies étrangères, du sabotage des oléoducs par des groupes d’opposition et de la vente du combustible sur le marché noir par les mafias armées. Même les 18 000 gardes engagés par le gouvernement n’ont pas réussi à assurer la sécurité du transport : nombre d’entre eux sont opposés aux dignitaires de Tripoli. Une situation qui a d’une part plongé dans le marasme une économie dépendante de la vente des hydrocarbures, mais qui d’autre part oblige des importateurs comme la Turquie à se tourner vers l’énergie nucléaire. Ankara est d’ailleurs en train de construire une centrale à Akköy, ville située dans une région sismique.
A la dérive
Détruire la Libye est une des prouesses de Barack Obama. Cet enfant traître de l’Afrique qui soutient les dictateurs du continent, qui a balkanisé le Soudan, déstabilisé la Somalie et a dévié le « printemps arabe » en appuyant les militaires ou le secteur plus réactionnaire des islamistes.
La vague de violence contre la population noire du pays, le personnel diplomatique et les organisations internationales ne s’arrête pas : elle a commencé par le massacre de milliers de citoyens noirs et/ou de défenseurs de Kadhafi, s’est poursuivie par l’assassinat de l’ambassadeur des Etats-Unis, l’attaque enversle consul italien, l’attentat à l’encontre des ambassades françaises, russes et des bâtiments de l’ONU, et s’est terminée par une guerre civile et la destruction du pays. Et ça pourrait encore être pire.
Nazanin Armanian
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Notes :
1 Voir Complot contre la Libye
2 Extermination systématique d’un groupe ethnique, racial ou religieux. A été commis notamment au Rwanda, au Congo et au Darfour
3 Se référer à Libia : un negocio de guerraredondo
4 Voir El bombardeo de SudanporIsrael
Traduction : Collectif Investig'Action