Blog Finance Mali : visite de banquiers, ONU, UA et UE à des anciens de Banque mondiale et BCEAO désormais au gouvernement
Une visite qui tombe à pic, en quelque sorte ?
Alors que deux journalistes de RFI viennent d’être assassinés au Mali, le président de la Banque africaine de développement (BAD), Donald Kaberuka, sera en tournée dans la région du Sahel du 4 au 7 novembre prochain. Et tout particulièrement au Mali, au Niger, au Burkina et au Tchad.
Un déplacement qui s’inscrit dans la cadre d’une mission conjointe avec les Nations Unies, la Banque mondiale, la Commission de l’Union africaine et la Commission de l’Union européenne. Banque mondiale dont sont issus deux membres éminents du gouvernement malien : le premier ministre et le ministre de l’Economie et des finances. Le Chef du gouvernement malien étant encore en poste récemment à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Objectif officiel de cette visite : « parvenir à une vision partagée des rôles des différents acteurs en matière de sécurité, de stabilité et de développement économique dans l’espace saharo-sahélien ». Vaste sujet s’il en est …
La BAD – active dans la région du Sahel depuis des décennies – souhaitant par ailleurs réaffirmer son engagement à accompagner les pays de la zone dans leurs efforts de développement ; et notamment à « faire face aux défis cruciaux en matière d’agriculture et de sécurité alimentaire, d’eau, d’intégration régionale et d’infrastructures ».
Echangeant le vendredi 1er novembre avec le Secrétaire Général des Nations Unies et le président de la Banque mondiale, Kaberuka s’est ainsi « réjoui de l’esprit de partenariat ainsi en place qui permettra d’aider les populations du Sahel à mieux faire face aux défis anciens et nouveaux auxquels elles sont confrontées ».
Une tournée que le président Kaberuka mènera conjointement avec le Secrétaire Général des Nations Unies, Bank Ki-moon, le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, la présidente de la Commission de l’Union Africaine, Nkosazana Dlamini Zuma et, le Commissaire européen au développement, Andris Piebalgs.
Le Mali sera la première étape de la tournée où se tiendra une réunion ministérielle régionale le 5 novembre prochain.
Une visite qui intervient alors que le 18 septembre dernier, Makhtar Diop, le vice-président de la région Afrique de la Banque mondiale, s’est rendu au Mali à « l’occasion » de l’investiture du nouveau président Ibrahim Boubacar Keita. Tout en « profitant » du déplacement pour signer un accord de crédit sans intérêt de 50 millions de dollars avec le gouvernement malien.
A cette occasion, Makhtar Diop a rencontré Bouaré Fily Sissoko, la nouvelle ministre de l’Économie et des Finances en vue de discuter de la façon dont la Banque mondiale pouvait soutenir les priorités de développement du Mali. Rappelons à toutes fins utiles que Fily Bouaré Sissoko est elle-même issue de la Banque mondiale, en poste récemment à la représentation de l’établissement financier à Bamako. Des retrouvailles donc en quelque sorte … voire un retour aux sources.
Après avoir remercié le Groupe de la Banque mondiale pour son soutien continu (de l’auto-congratulation ? ) la Ministre de l’Économie et des Finances a souligné à cette occasion que ce financement arrivait à point nommé pour le Mali.
Le crédit, financé par l’IDA (Association Internationale de Développement de la Banque mondiale), vise à soutenir des programmes entrant dans le cadre du Plan de Relance Durable du Mali. Le tout sous forme de mesures renforçant les programmes sociaux destinés aux populations dans le besoin, améliorant la gestion des finances publiques et la transparence budgétaire et restaurant la viabilité financière des investissements dans les secteurs de l’électricité et de l’irrigation.
C’est le 8 septembre dernier, que le nouveau Premier ministre malien Oumar Tatam Ly a formé son gouvernement. Fils d’un célèbre homme politique malien, décédé à ce jour, Ibrahima Ly, il occupait encore le poste de « conseiller spécial du gouverneur » – l’Ivoirien Thiémoko Meyliet Koné – de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), institut d’émission monétaire des huit pays de cette région ayant comme monnaie le franc CFA. Formé en France, il a travaillé notamment à la Banque mondiale à la fin de ses études. Puis a intégré la BCEAO en 1994, en devenant le directeur pour le Mali à la fin de l’année 2008.
A noter également que le portefeuille des Affaires étrangères revient à Zahaby Ould Sidy Mohamed, ancien chef rebelle du Front islamique arabe de l’Azawad qui a travaillé pendant des années pour les Nations unies, notamment au Sud-Soudan. Ancien adversaire du nouveau président, il est réputé proche de l’Algérie.
- La Banque mondiale : important financier du corridor sud de l’Afrique de Ouest, Bamako-Dakar
Simple hasard ? alors que le monde entier semble avoir les yeux rivés vers le Mali, rappelons que la Banque mondiale figure parmi les principales entités ayant financé la toute nouvelle route, le «corridor sud de l’Afrique de Ouest, Bamako-Dakar». Laquelle est destinée notamment à faciliter l’exportation des richesses minières de l’Afrique de l’Ouest. Richesses parmi lesquelles figurent l’uranium du Mali et du Sénégal et d’autres matières premières convoitées …
Fait notable : l’établissement mène actuellement une action en vue de promouvoir la réhabilitation, reconstruction et réparation des infrastructures endommagées par le conflit. Histoire de s’assurer que la voie royale édifiée par et pour les grands groupes internationaux en vue d’acheminer les richesses du sous-sol maliens puissent rapidement devenir opérationnelle ? Qui sait …
La Banque mondiale indique pour sa part être l’un des partenaires principaux du Mali, avec un engagement total de 732,75 millions de dollars en faveur des projets de développement. Son portefeuille actuel de 13 projets nationaux et sept projets régionaux couvre des activités dans les domaines du développement rural, les services de base, l’énergie, le transport, les réformes institutionnelles et la décentralisation.
Parmi ces projets figure donc le «corridor sud de l’Afrique de Ouest, Bamako-Dakar» : liaison routière entre Dakar et Bamako réalisée par la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement, l’agence de développement japonaise, l’USAID, la Chine, la Banque Africaine de Développement, la Banque Islamique de Développement, les gouvernements du Sénégal et du Mali en coopération avec l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine dans le cadre du Programme d’action communautaire pour les infrastructures et le transport. Tout de même … A noter que le corridor suit pendant des centaines de kilomètres le vieux tracé de la ligne des chemins de fer coloniaux, fermée récemment au public par la privatisation.
Une filiale de la société d’Etat des chemins de fer chinois – Covec-Mali – a réalisé le tronçon de route entre la frontière du Mali près de Kenieba et Bamako. Participe également au chantier l’entreprise de BTP Razel, laquelle appartient depuis 2009 au Groupe Fayat, premier groupe familial français, quatrième groupe du BTP dans l’hexagone, est actif dans plus de cent pays. Selon l’Ambassade de France au Mali, en mars 2012, on pouvait en effet estimer que la France se situe comme 3ème fournisseur du pays, avec une part de marché de l’ordre de 13%, derrière le Sénégal et la Chine, omniprésente dans le BTP.
La société de travaux publics Dai Nippon Construction a construit quant à elle les trois ponts nécessaires (Balé, Bafing et Falémé) sur cette route vers Bamako. Le financement ? des sommes offertes par le Japon, via des crédits non remboursables.
Ce qui faisait dire en résumé à la délégation du Forum Civique Européen lors de son voyage au Mali que se voyaient ainsi réuni « des fonds en provenance d’Etats les plus divers réunis pour la construction d’infrastructures qui favorisent, pour des multinationales, l’extraction bon marché des richesses minières de l’Afrique de l’Ouest pour les transformer loin de là » . Ajoutant qu’il était « même question d’un projet de construction d’un port maritime à environ 60 km au sud de Dakar ». Au début du mois de mars 2013 , Diène Farba Sarr, Directeur général de l’Agence nationale chargée de la promotion des investissements et des grands travaux (APIX) a indiqué pour sa part que le Sénégal allait poursuivre les grands chantiers laissés par l’ancien régime, en œuvrant surtout pour concrétiser de nouveaux projets, comme la Zone économique intégrée, le port minéralier de Bargny ou encore le développement des chemins de fer. Eléments confirmés sur le terrain à votre honorable serviteur.
En 2012, le site survie.org indiquait pour sa part que »le Mali est pieds et poings liés aux demandes des multinationales » , ajoutant que le ministère des Mines, créé sous Alpha Oumar Konaré en 1995, au moment de la libéralisation du code minier et des réglementations en matière d’investissement sous l’impulsion de la Banque Mondiale, en était « l’instrument docile« . Ajoutant : « en plus de la compromission des élites, le code minier malien ne prévoit aucune contrainte pour les compagnies minières en termes de responsabilité environnementale et sociale pendant la phase d’exploration et de prospection« . Une faiblesse législative rendant le sous-sol malien « extrêmement attractif » soulignait-il enfin. Désormais le Mali est en pleine redéfinition de son code minier.
Sources : Banque Mondiale, Dakaractu, Maliweb.net, Forum civique européen, Survie.org, Africaintelligence, APO (African Press Organization) pour la BAD, RFI, www.lemonde-duniya.net Elisabeth Studer – 3 novembre 2013 – www.leblogfinance.com