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Haïti : Des élections à saveur de cocaïne (2) (Alterpress.org)

par Leslie Péan 1 Février 2014, 03:14 USA Haïti Drogues

Haïti : Des élections à saveur de cocaïne (2) (Alterpress.org)
Haïti : Des élections à saveur de cocaïne (2)
Deuxième de trois parties
Leslie Péan
alterpresse.org

Lire aussi :
Partie I : Haïti. Des élections à saveur de cocaïne (Alterpress.org) 

Le président Martelly ne s’émeut pas des commentaires des observateurs indépendants sur son entourage sulfureux. Au contraire, le seul militantisme qu’il revendique, c’est l’appartenance à une génération qui se complait dans le paradis artificiel de la débauche. Le président Martelly ne s’offusque pas de se retrouver en si mauvaise compagnie comme cela a été le cas avec James Rosemond ou Rodolphe Jaar, entre autres, deux autres de ses meilleurs amis purgeant des peines de prison à vie aux Etats-Unis pour leurs activités de trafiquants de drogue [1].

Selon les avocats Newton St-Juste et André Michel, « L’empressement et l’acharnement avec lesquels le Ministre de la Justice a procédé à la libération de ces trafiquants confirment les déclarations tenues par l’ancien Sénateur du Sud Gabriel Fortuné sur les ondes de plusieurs stations du pays depuis le 14 septembre 2013 selon lesquelles le Major des Forces Armées d’Haïti, Jean Renel Sanon, a été révoqué de l’Armée pour trafic de drogue et celles tenues en date du 4 juillet 2013, par devant le Magistrat Instructeur Maximin Pierre, par le nommé Sherlson Sanon faisant allusion à son appartenance depuis près de quinze ans à un gang dirigé par Jean Renel Sanon et d’anciens et actuels Parlementaires, spécialisé dans le trafic de la drogue [2]. »

Dans ce climat général, certes, l’argent sale triomphe. Politiquement d’abord, comme on suspecte toute forme de financement électoral de complicité avec l’hydre de la drogue. Des élections à saveur de cocaïne deviennent la norme, surtout quand une campagne présidentielle [3] nécessite de chaque candidat un apport de fonds minimum de 6 millions de dollars US. En commençant par les frais d’inscription du candidat à la présidence qui sont de 500 000 gourdes (soit 12 500 US$ au taux de change de 40 gourdes pour 1 US$) exigés dans la loi électorale de 2013 (article 91) publiée dans le journal officiel Le Moniteur [4]. Quand on considère que 80% des Haïtiens vivent sous le seuil de pauvreté et que le revenu moyen par habitant est de 480 US$ par année, on comprend le caractère exorbitant de cette mesure fixant les frais d’inscription à un niveau si élevé.

Le refus du dialogue avec la magouille

Le même raisonnement s’applique aux sénateurs et députés qui doivent respectivement payer 100 000 gourdes et 50 000 gourdes pour s’inscrire comme candidats. Les contradictions de la démocratie opposant le concept du « pouvoir au plus grand nombre » à celui du « pouvoir aux plus capables » se révèlent insurmontables. Démarche qui dénie les lumières au plus grand nombre et qui bloque le développement économique et social. Popularité, démagogie et magouille triomphent pour les besoins du fonds de commerce, comme on l’a vu sous Soulouque, avec le fonds du savoir des frères Ardouin. Une tradition charriée durant tout le 19e siècle et le début du 20e siècle avec nombre de présidents de la République ne sachant ni lire ni écrire. Au point où certains voient dans l’obscurantisme un atout dans les luttes politiques. Au 20e siècle, François Duvalier a perpétué ce choix obscurantiste en transférant le pouvoir à un sous-doué de 19 ans. Faut-il s’étonner que le déclin Tèt Kale soit notre présent mais aussi notre avenir ?

Tout le mal haïtien vient là. Dans le troc de force du vrai pour le faux. Dans le fait que la direction de l’État ne demande aucune qualification pour la prendre en charge. Dans la banalité de la bêtise administrée aujourd’hui par Tèt Kale. Même de manière gentiment anodine avec une autre couleur que le rose. En mobilisant le pourpre de la propagande ecclésiale pour réchauffer les tièdes et prêcher les mal convaincus. Une couleur de comédie qui appelle au dialogue pour mieux rire de l’intelligence. Un dialogue accélérateur de délires, donc à suivre pour ses révélations sur l’ordre réel des choses. On pense au subjonctif archaïque de Molière disant « ce quoi qu’on die en dit beaucoup plus qu’il n’en dit » [5]. C’est archaïque de dialoguer avec des gens sans foi ni loi, mais c’est aussi subversif. Pour une jeunesse qui ne connaît pas sa propre histoire et que l’on amuse avec des personnages retors. Au nom de la démocratie. Refrain qui veut annihiler toute résistance aux obstacles de malheur plantés au cœur de la transparence.

Singulier petit pays, disait Louis Joseph Janvier, protestant contre les fraudes électorales organisées sous le gouvernement de l’analphabète Nord Alexis. Dans l’entendement de ce savant haitien, « le spectacle des élections municipales de Port-au-Prince, en janvier 1907, était absolument bestial et navrant » [6]. C’est d’ailleurs au cours de ce spectacle électoral bestial de 1907 que Sténio Vincent devint maire de la capitale. Les candidats « abolocho » aux intérêts mesquins ont sucé à la mamelle leurs mauvaises pratiques. Pour avoir dénoncé ces « parodies d’élection » communales, Louis Joseph Janvier fut arrêté et mis en prison à la veille des élections législatives de janvier 1908. Ainsi perdit-il la cocarde de député de la Capitale. Il a refusé le dialogue avec la magouille électorale qui a recouru aux soldats du « vingt cinquième régiment des Gonaïves, (du) Trentième régiment du Cap, (du) trente-troisième régiment des Coteaux qui ont voté par escouades » [7] au détriment des électeurs résidant à la capitale.

Louis Joseph Janvier se rendait compte que « les plus capables » tels que Frédéric Marcelin, ministre de l’Intérieur, se mettaient avec Nord Alexis, représentant du « plus grand nombre », pour protéger les intérêts des détenteurs d’espèces sonnantes et trébuchantes. Le pantouflage, c’est-à-dire le passage de l’homme d’affaires à l’homme d’État, et vice versa, est de rigueur avec les risques inhérents, comme ce fut le cas quand Céligny Ardouin fut tué par la soldatesque du bonhomme Coachi en 1849. La différence fondamentale d’un pays à un autre est la capacité des hommes d’affaires à mener le jeu en contrôlant, entre autres, l’émission monétaire comme l’ont fait les créateurs privés de la Réserve fédérale aux États-Unis.

Il ne s’agit pas de s’arrêter uniquement au coût élevé des élections présidentielles et législatives de novembre 2010, soit 31 millions US$, ce qui constitue en soi un scandale. Il importe de saisir comment la moindre campagne électorale conduite pendant un minimum de trois mois pour un poste de sénateur ou de député a un coût prohibitif pour les éventuels candidats. Ainsi s’expliquent les dénonciations proférées contre nombre de personnalités politiques élues avec le soutien financier de la mafia des trafiquants. La dernière en date du 16 janvier 2014 étant celle de l’avocat Newton Louis St Juste contre le député Jacques Stevenson Thimoléon, élu depuis président de la Chambre des Députés, relative « au financement de sa campagne électorale par les milieux de la drogue et l’usage de son statut et de son véhicule officiels pour faciliter le trafic illicite de stupéfiants. » Rien d’étonnant ! Si le crime organisé a pu infiltrer la haute finance internationale ou encore les institutions du renseignement telles que la CIA, il peut facilement enchainer Haïti au bout de sa malédiction. Le veau d’or triomphe. Comme le dit si bien Goethe dans son Faust : « Autour de son piédestal, Satan mène le bal ».

Budget minimum pour une campagne électorale au Sénat

1. Frais d’inscription : 2 272 US$
2. Posters en plastic, avec deux couleurs (10 000 posters pour un forfait 20 000 US$)
2. Panneaux publicitaires (3 panneaux à 5 000 US$/mois pour trois mois), soit 45 000 US$
3. Publicité dans les journaux locaux (10 jours à 1 000 US$ la page couleur, 20 jours à 450 US$ en noir et blanc), soit un total de 19 000 US$)
4. Diffusions de spots audio de 30 secondes (8 spots par jour pendant 90 jours à 100 US$ par diffusion, soit un total de 81 000 US$)
5. T-shirts (35 US$ la douzaine), pour 50 000 milles, soit 145 000 US$
7. Véhicules (au moins 5 véhicules à 40 000 chaque, soit 200 000 US$)
8. Carburants (50 US$ par jour par véhicule pour 90 jours pour 5 véhicules, soit 22 500 US$)
9. Nourriture (50 personnes pour 90 jours à 10 US$ par jour, soit 45 000 US$
10. Observateurs (100 observateurs à 30 US$ par personne, soit 3 000 US$)

La facture des 582 772 US$ estimée est approximative car n’incluant pas les coûts des téléphones, ordinateurs, télécopieurs et photocopieurs ainsi que le recours à des consultants en communication et relations publiques afin de mobiliser les réseaux sociaux dans les « grandes campagnes ». Également nous n’avons pas inclus les frais de photographie, les locations de salles pour conférences de presse et les dépenses pour tenues vestimentaires et les voyages en diaspora. Cette facture indique qu’il faut un trésorier de campagne capable de faire une bonne gestion des 20 millions de gourdes (500 000 US$) admis comme plafond pour une campagne sénatoriale selon l’article 135.1 de la loi électorale.

Avec de telles dépenses, un demi-million US$, il est impossible pour le citoyen vivant de revenus transparents de rêver représenter sa circonscription comme parlementaire. C’est à ce carrefour que les attendent les cartels de la drogue les bras chargés de gros billets verts. Le ver est donc dans le fruit et ceux et celles qui prennent le risque deviennent les prisonniers consentants des narcotrafiquants. Les subventions prévues dans la loi électorale de 2013 pour le financement public des campagnes électorales aux articles 125 à 129 sont totalement fictives. Ce n’est pas avec le mécanisme de la dérobade que la société haïtienne trouvera une juste solution à ce drame quasiment insurmontable. Elle a déjà fait l’expérience d’un chanteur qui n’est pas allé par quatre chemins pour s’armer des plus puissants hauts-parleurs sur son char de carnaval pour battre et éliminer ses concurrents. Il devait transposer ses performances de vedette musicale en politique avec une machination qui lui a donné le contrôle de l’appareil d’État. Le résultat macabre est là avec cette construction artificielle et sans consistance qui tourne à vide au détriment d’Haïti. Les esprits sont doublement ébranlés. D’abord par la déculturation consciente, puis par la déstabilisation de toute éthique publique. Enfin par l’abrutissement provoqué par les élucubrations du chanteur-président qui déséduque au quotidien en ridiculisant toute référence à la logique et à la rationalité.

L’élection de Martelly en 2010 doit être placée dans le contexte global de ce que Peter Dale Scott nomme la narconomie. Ce dernier montre que la banque HSBC a été condamnée à payer une amende de 1.9 milliard US$, après avoir blanchi 7 milliards US$ pour les narcotrafiquants mexicains au cours des années 2000-2009. « De lourdes amendes, dit-il, qui sont habituellement bien moins importantes que les profits générés par le blanchiment d’argent [8]. » Au fait ce montant énorme ne représente que cinq semaines de revenus pour la banque HSBC. Le recyclage de l’argent sale est au cœur de la politique aujourd’hui. Dans tout processus de production, il y a des déchets que l’on jette. Il se trouve que dans certaines sociétés, les déchets soient devenus tellement importants que l’obligation de les recycler s’impose. On parle alors de « trop gros pour faire faillite » (too big to fail). Un mauvais chantage pour ne pas aborder les réformes fondamentales. La différence en Haïti est que la faillite de la société ne s’organise pas avec les « trop gros » mais plutôt avec les « plus médiocres » sous le prétexte qu’il n’existe pas de qualification précise pour être président autre que la popularité et que surtout « l’intelligence ne doit pas réussir ». On se rappelle que Le journal La Tribune populaire dans son édition du 27 juin 1902, avait écrit : « M. Firmin est à ce point instruit qu’il ne doit pas être président d’Haïti, notre pays étant trop peu avancé pour être gouverné par un tel homme [9]. »

(à suivre)

Leslie Péan

Économiste, écrivain

[1] « James Henchman ou Jimmy Rosemond encore un autre ami de Michel Martelly impliqué dans le trafic de drogue emprisonné à vie », Tout Haïti, 27 octobre 2013. Lire aussi Mosi Secret, « Hip-Hop Figure Gets Life Sentence for Drug Ring »,New York Times, October 25, 2013. Lire enfin « Rodolphe Jaar, ami et partenaire d’affaire de Michel Martelly arrêté pour trafic de cocaïne en République Dominicaine », Tout Haïti, 26 avril 2013.

[2] Plainte déposée au Parquet de Port-au-Prince contre Jean Renel Sanon, Prosper Avril, Evinx Daniel, Woodly Ethéard alias Sonson, Gary Desrosiers, P-au-P, 23 septembre 2013.

[3] « Haïti – Élections : La course à la présidentielle la plus chère de l’histoire d’Haïti », Haïti Libre, 12/09/2010.

[4] « Loi électorale 2013 », Le Moniteur, no. 229, 10 décembre 2013.

[5] Molière, Les femmes savantes, Acte 3, (1672), Paris, Larousse, 1962.

[6] Louis Joseph Janvier, Elections législatives de 1908, P-au-P, Imprimerie Chauvet, 1908, p. 21.

[7] Ibid, p. 13.

[8] Maxime Chaix, « Les drogues et la machine de guerre des Etats-Unis », Réseau Voltaire, 18 juillet 2013.

[9] La Tribune populaire, P-au-P, Imprimerie de l’Abeille, 27 juin 1902.

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