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CJR : Tribunal d’exception de Parlementaires pour plus d’impunité ?

par Sam La Touch 23 Mars 2014, 12:32 Cour de justice Parementaires Tribunal CinquièmeRépublique MAM Alliot-Marie

CJR : Tribunal d’exception de Parlementaires pour plus d’impunité ?

"Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution." Article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

La Cour de Justice de la République est une institution paradigmatique des particularités de notre démocratie en matière de séparation des pouvoirs. La constitution de la Vème République échappe à la typologie classique des régimes démocratiques dans le sens où elle ne prévoit pas de stricte séparation des pouvoirs. Le gouvernement nommé par le Président dispose de l’initiative législative et élu par suffrage universel direct (depuis le référendum 1962) détient le pouvoir exécutif avec un contrôle parlementaire relativement restreint au regard des démocraties parlementaires. On parle plus généralement de « séparation souple des pouvoirs ». Et de fait, le pouvoir exécutif va souvent au-delà de son rôle en s'assurant la mainmise sur les autres pouvoirs qu’ils soient judiciaire (nomination des juges) ou législatif (possibilité de légiférer).

Mais revenons-en au lien incestueux entre pouvoirs exécutif et judiciaire. En premier lieu le Parquet du Tribunal de Grande Instance dont le rôle n’a cessé de s’étendre ces dernières années est directement sous l’autorité hiérarchique du garde des Sceaux et donc du pouvoir exécutif mettant sérieusement à mal l’indépendance de la justice au regard de l’exécutif. Ainsi les procureurs dont les rôles sont exorbitants sont nommés directement par l’Elysée, Matignon complètement inféodée à l’Elysée n’est qu’une courroie de transmission. La CJR, fondée par une loi de révision constitutionnelle le 27 juillet 1993 (complétée par la loi organique du 23 novembre 1993) suite à l'affaire du sang contaminé et à la multiplication des affaires politico-financières à la fin du second mandat de François Mitterrand, n’est qu’une illustration de ce rapport incestueux. Cette juridiction est censée juger les infractions commises par les membres du Gouvernement pendant l'exercice de leurs fonctions. Elle est régie par les articles 68-1 à 68-3 de la loi de révision constitutionnelle qui définit son organisation :

Art. 68-1. – Les membres du gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Cour de justice de la République. La Cour de justice de la République est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent de la loi.

Art. 68-2.La Cour de justice de la République comprend quinze juges : douze parlementaires élus, en leur sein et en nombre égal, par l’Assemblée Nationale et par le Sénat après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées et trois magistrats du siège à la Cour de cassation, dont l’un préside la Cour de justice de la République. Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès d’une commission des requêtes. Cette commission ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au procureur général près la Cour de cassation aux fins de saisine de la Cour de justice de la République. Le procureur général près la Cour de cassation peut aussi saisir d’office la Cour de justice de la République sur avis conforme de la commission des requêtes. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article.

De par sa composition, elle est donc sujette à caution puisqu’elle est constituée quasi-uniquement d’élus parlementaires qui vont juger leur congénère à l’instar des tribunaux militaires réservés aux militaires et ne répond donc pas aux exigences, à la transparence et à «l’indépendance » d’une juridiction civile. Il s’agit donc d’un tribunal d’exception dans tous les sens du terme.

Deux situations récentes ayant été examinées devant cette juridiction méritent une attention toute particulière : Michèle Alliot-Marie en tant que ministre de la défense du gouvernement Chirac-Villepin et Christine Lagarde en tant que ministre de l’économie du gouvernement Sarkozy-Fillon. La première a été mise en cause pour « complicité d’assassinat » et de « faux-témoignage » lors du bombardement de Bouaké en Côte d’Ivoire en 2004, la seconde pour « détournement de fonds public » et « complicité de faux » dans l’affaire Tapie en 2007.

1. L’affaire du bombardement de Bouaké et MAM
Rappel des faits : Le 6 novembre 2004, le bombardement par deux avions Sukkhoi des forces loyalistes ivoiriennes d'un camp de l'armée française à Bouaké en Côte d’Ivoire avait entraîné la mort de neuf militaires français et un civil américain tandis que trente-huit soldats avaient été blessés. L’aviation française bombardait en représailles toute la flotte aéronavale de la Côte d’Ivoire qui était en train de reprendre le contrôle sur la zone rebelle. De violentes manifestations antifrançaises des "patriotes" partisans du président ivoirien, Laurent Gbagbo, ont ensuite éclaté. Leur répression par l'armée française a fait des dizaines de morts à Abidjan parmi les civils. Deux ans plus tard, une polémique avait éclaté quand il était apparu que huit Biélorusses, parmi lesquels deux pilotes, avaient été arrêtés et identifiés par les autorités togolaises quelques jours après le bombardement, puis mis à disposition des services français avant d'être libérés sur ordre de Paris. Le général Henri Poncet, qui commandait la force Licorne en Côte d'Ivoire, avait fait part à la justice de son incompréhension devant l'ordre qu'il avait reçu de son ministère de tutelle de les libérer sans les auditionner. Selon MAM, il n’y avait « pas de base juridique puisque pas de mandat d’arrêt international » pour arrêter les pilotes. De même, Robert Montoya, un ex-gendarme élyséen de Mitterrand, soupçonné d'avoir livré à la Côte d'Ivoire les deux avions ayant servi au bombardement et d'avoir exfiltré les mercenaires biélorusses ne sera pas entendu.
Pour Maître Balan, avocat de plusieurs familles de soldats français, MAM dès le début de l'affaire, a cherché à «saboter l'action de la justice afin d'éviter, à tout prix, que la vérité ne soit connue». Selon lui : «Des éléments du dossier laissent apparaître des pistes plus que troublantes. Par exemple, que le bombardement était voulu afin de créer une situation propice pour se débarrasser de Laurent Gbagbo.» Une plainte sera alors déposée contre MAM par les familles des victimes pour « complicité d’assassinats » et de « faux-témoignage » devant le Tribunal des Armées de Paris (TAP). Au bout de sept années de procédure, l’enquête n’aboutira pas et les familles se tourneront vers la CJR qui rendra son verdict en classant le dossier.
Selon Mediapart (Bouaké, la CJR classe une plainte contre MAM ), « la commission des requêtes de la CJR estime qu’il est impossible de poursuivre MAM pour « complicité d’assassinat », car en droit, il aurait fallu que les actes dénoncés soient « antérieurs ou concomitants au fait principal », et non pas postérieurs. Argument imparable. Pour ce qui est de l’accusation de « faux témoignage », la commission des requêtes se borne à déclarer que « les déclarations de Mme Alliot-Marie ne constituent pas une altération volontaire de la vérité portant sur les circonstances essentielles des faits d’assassinat dénoncés ». En conséquence de quoi, estime la commission des requêtes, « en cet état, les faits allégués n’apparaissent pas susceptibles de recevoir une qualification pénale ».

2. L'Affaire Tapie et Christine Lagarde
Rappel des faits : L'ancienne ministre française de l'Economie (2007-2011) et actuelle directrice du FMI avait choisi de solder par un arbitrage privé le litige opposant Bernard Tapie au Crédit Lyonnais concernant la revente en 1993 d'Adidas. A la suite de cet arbitrage, le Consortium de réalisation (CDR), structure créée pour gérer le passif du Crédit Lyonnais après sa quasi-faillite, avait été condamné par ce tribunal arbitral, en juillet 2008 à verser à Bernard Tapie 403 millions d'euros avec les intérêts. Mais au printemps 2011, le procureur général de la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, met en cause Mme Lagarde lors de la saisie de la CJR. Il est reproché à Christine Lagarde d’avoir recouru à un arbitrage privé concernant des deniers publics, d’avoir été parfaitement mise au courant de la partialité de certains juges du tribunal arbitral (on leur prête en effet des liens avec M. Tapie) et de plus d’avoir modifié le protocole initial pour y intégrer la notion de préjudice moral, ce qui avait permis à Tapie de toucher 45 millions d'euros à ce titre.
Devant la sévérité des accusations la CJR n’a pas mis en examen Lagarde mais l’a désigné comme témoin assisté (ce qui n'est pas à négliger non plus). Dans cette affaire, il semble que deux éléments aient plaidé pour Lagarde. D’une part qu’elle mette en cause directement le président Nicolas Sarkozy ce qui laisse entrevoir une responsabilité aux plus hautes marches du pouvoir et limite les possibilités de jugement de la CJR (l’enquête éventuelle sur la responsabilité du président reviendrait à la Haute Cour de justice) et puis surtout, selon Mediapart (Affaire Tapie : pourquoi Lagarde a échappé (de peu) à une mise en examen ) le ministre des finances Pierre Moscovici, aurait pris la défense de la patronne du FMI, ce qui aurait « lourdement pesé sur la réflexion des magistrats, qui n’ont pas osé prendre une décision de mise en examen pouvant avoir des répercussions planétaires et, éventuellement, entraîner une éviction de Christine Lagarde de ses fonctions à la tête de l’institution financière. ». Si tel était le cas, cela constituerait encore un flagrant délit de non séparation des pouvoirs et de subordination du pouvoir judiciaire par l’exécutif.

La CJR pose de nombreux problèmes au regard du principe de séparation des pouvoirs qui régit toute démocratie. La CJR fait partie de l’ordre judiciaire mais sa composition est constituée à 80% d’élus parlementaires qui ne sont pas des magistrats (sur 15 membres, 12 ne sont pas magistrats). Dès lors, on est en droit se poser de sérieuses questions quant à l'impartialité d'une juridiction où ce sont les élus qui jugent eux-mêmes leurs pairs sans avoir la moindre qualification juridique.

Selon le constitutionnaliste Guy Carcassonne : «Avoir des juges qui sont à la base des hommes politiques, ce n'est pas sain. Ça pénalise le politique et politise le pénal».

François Hollande, dans sa volonté d'instaurer une République «exem­plaire» s'était engagé pendant sa campagne à supprimer la CJR. Il préconisait que les ministres soient «soumis aux juridictions de droit commun». Y aura-t-il une évolution dans ce sens prochainement ou vaut-il mieux préserver les ministres de futures enquêtes embarrassantes sur de futures affaires sensibles ?

Article publié le 26 mai 2013

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