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Le Tchad pris dans le « piège » de la crise centrafricaine (Le Monde)

par Le Monde 25 Mars 2014, 10:02 Centrafrique Tchad Séléka

Le Tchad pris dans le « piège » de la crise centrafricaine (Le Monde)
Le Tchad pris dans le « piège » de la crise centrafricaine
Le Monde 24/03/14
c.bozonnet@lemonde.fr 

 

C'était en janvier 2013 et ils avaient fière allure : perchés sur des pick-up flambant neufs, quelque 2 000 soldats tchadiens faisaient route vers le nord du Mali pour en découdre avec les groupes djihadistes menaçant Bamako. Un an plus tard, ces images de la puissance militaire ont laissé place à d'autres : celles d'une armée tchadienne contrainte d'escorter vers le Tchad des milliers de musulmans terrorisés, fuyant la Centrafrique.

Après son épopée victorieuse au Mali aux côtés de l'armée française, qui avait fait de lui un acteur central de la lutte contre le terrorisme au Sahel, Idriss Déby est à nouveau au coeur d'un conflit majeur du continent africain. En Centrafrique, le Tchad s'est imposé comme l'une des clés militaires et politiques du conflit. Mais, pour son président, arrivé au pouvoir en 1990 avec l'aide de Paris et qui dirige son pays d'une main de fer, la crise centrafricaine prend de plus en plus des allures de piège.

Depuis une décennie, M. Déby est un faiseur de rois en Centrafrique (RCA). François Bozizé, président de 2003 à 2013, puis Michel Djotodia, chef de la Séléka, ont été soutenus puis lâchés par le Tchad. Cette fois, l'affaire a mal tourné. Les exactions des rebelles de la Séléka (musulmans), qui ont pris le contrôle de Bangui en mars 2013, ont semé un chaos tel que leur maintien au pouvoir n'a plus été possible. Convoqué à Ndjamena, la capitale du Tchad, le 9 janvier, M. Djotodia s'est fait débarquer, avec le soutien de la France.

Loin de se calmer, l'incendie a redoublé, attisé par les violentes représailles des milices chrétiennes anti-balaka, obligeant aujourd'hui M. Déby à faire appel à l'ONU, qui prendra le relais de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca). Désireux de conserver ses marges de manoeuvre, le Tchad s'était toujours opposé à cette option, mais la dégradation de la situation en RCA ne lui a guère laissé le choix. Mi-février, à la sortie de l'Elysée, M. Déby s'est déclaré favorable à l'envoi de casques bleus.

Pis, le conflit empiète sur son territoire. En l'espace de deux mois, 80 000 réfugiés, Centrafricains ou Tchadiens d'origine, ont afflué au Tchad. Une grande partie d'entre eux s'entassent dans des centres de transit à Ndjamena et dans le Sud. Une fois réglée la crise humanitaire provoquée par cet afflux, le Tchad devra, s'ils ne rentrent pas en RCA, intégrer ces réfugiés, dont beaucoup n'ont plus aucune attache sur place, alors qu'il est l'un des pays les plus pauvres du monde.

A Ndjamena, la société civile et les opposants au régime pointent la responsabilité de leur pays dans la crise centrafricaine et s'inquiètent de ses répercussions. « En mars 2013, le Tchad aurait pu arrêter les rebelles de la Séléka, mais il n'a rien fait pour les empêcher d'agir, raconte un représentant de la société civile. Aujourd'hui, le pays doit gérer des dizaines de milliers de réfugiés. Cette arrivée de civils ne déstabilisera pas forcément le pays, mais qu'en sera-t-il des milliers d'hommes en armes de la Séléka ? »

CYCLE ÉLECTORAL

Chassés de Bangui et des villes de l'ouest de la Centrafrique par les anti-balaka, les ex-rebelles de la Séléka se sont repliés dans le nord-est du pays : une zone frontalière du Tchad (et du Soudan), difficile d'accès, qui a, dans le passé, souvent servi de base arrière à des mouvements rebelles, y compris tchadiens. « Ces combattants sont potentiellement à la merci d'un nouvel entrepreneur politique qui leur offrirait de l'argent et des armes pour lancer un nouveau mouvement armé », explique un observateur étranger. « Un homme comme Nourredine Adam n'a pas apprécié d'être écarté, et il sait parfaitement où trouver des financements », avance une source diplomatique.

De nombreux observateurs soulignent le risque d'infiltration par des groupes islamistes. La secte nigériane Boko Haram est ainsi bien implantée dans le nord du Cameroun, frontalier de la RCA. Une source de préoccupation sécuritaire supplémentaire pour Idriss Déby, qui doit déjà gérer la menace islamiste ou rebelle à ses frontières avec la Libye, le Nigeria et le Soudan.

La principale difficulté immédiate pour M. Déby pourrait venir de son entourage. « Il n'y aura pas de “printemps” tchadien. Par contre, le président risque de devoir rendre des comptes à des gens de son clan pour sa politique en Centrafrique », souligne le chercheur Roland Marchal, en référence aux notables et officiers tchadiens qui faisaient de juteuses affaires à Bangui.

Aussi contrariants soient-ils, les revers de M. Déby en Centrafrique n'ont pas remis en question sa toute-puissance politique au Tchad. « Les députés n'ont pas pris une seule fois la parole pour critiquer sa politique en RCA », se désespère un représentant de la société civile. Le régime poursuit, avec succès, sa politique faite de répression et de cooptation à l'égard de l'opposition. Il y a un an, il avait dénoncé une tentative de déstabilisation et arrêté plusieurs députés, sans susciter de critiques internationales.

Alors que cette année le Tchad est censé entrer dans un cycle électoral (élections régionales en 2014, législatives en 2015 et présidentielle en 2016), les partisans d'une alternance savent que la communauté internationale en général et la France en particulier risquent d'être réticentes à faire pression sur leur allié régional en faveur de scrutins transparents. Le Tchad occupera une place majeure dans le nouveau dispositif militaire français au Sahel.

c.bozonnet@lemonde.fr
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