Qui est Michel Tomi, le « parrain des parrains » poursuivi par la justice ? Le Monde
Voilà longtemps que certains magistrats et policiers rêvent d'accrocher à leur tableau de chasse Michel Tomi, celui qu'ils considèrent comme le dernier parrain corse à l'ancienne. Au carrefour du monde politique, de l'entreprise, des voyous, des chefs d'Etat africains et des jeux, ce patriarche, né en 1947, qui se déplace en chaise roulante et n'en est pas moins vif d'esprit, le sait bien.
« Je suis sur écoute depuis des années alors que je n'ai rien à me reprocher et je défie quiconque de montrer que j'ai une seule affaire en France ou même enEurope », assure-t-il au Monde d'une voix calme. Il ne se connaît qu'un seul investissement par le biais d'une société civile immobilière à Aix-en-Provence(Bouches-du-Rhône) pour un studio et dément les projets qu'on lui prête en Autriche.
« Je suis davantage africain que corse ou français, ma logique a été payante, ne jamais faire d'affaires en Corse », note-t-il. Il a débuté comme croupier à Monaco avant d'intégrer, en 1968, l'un des cercles de jeux parisien contrôlé par les Francisci, les empereurs des jeux d'alors, qui lui mettent le pied à l'étrier. En 1974, il est au casino Ruhl, à Nice, où règne Jean-Dominique Fratoni, le « Napoléon des tapis verts » lié à la mafia, avant de tenter l'aventure à l'étranger.
De retour en France, il est interdit de gestion dans le casino dont son frère, Jean Tomi, est l'actionnaire principal à Bandol (Var). Un établissement fermé en 1988 après l'ouverture d'une enquête. Lors du procès, en 1996, il apparaît que de l'argent du casino était versé à des poids lourds du milieu marseillais.
FINANCES À L'ABRI EN AFRIQUE ET DANS LES PARADIS FISCAUX
Après cette affaire, Michel Tomi rebondit grâce à un homme qui lui ouvre les portes de l'Afrique : Robert Feliciaggi. Tomi apporte sa connaissance des jeux et une idée : implanter le PMU en Afrique francophone. L'Afrique subsaharienne leur ouvre les portes. Leur fortune est faite.
Ses finances, aujourd'hui illimitées, sont à l'abri en Afrique et dans les paradis fiscaux car il n'a plus aucun compte bancaire en France depuis l'affaire du casino d'Annemasse. Il a été condamné pour avoir financé, par le biais de sa fille, directrice du PMU au Gabon, la campagne du Rassemblement pour la France de Charles Pasqua pour les élections européennes de 1999 en contrepartie d'autorisations pour exploiter l'établissement de jeux de Haute-Savoie.
Michel Tomi vit, de fait, en Afrique, au Maroc, au Gabon et au Mali. Il vient à Parisrégulièrement et à Marseille. En 2007, la mise sur écoute de son téléphone dans l'enquête sur l'assassinat, en mars 2006, de son ami Robert Feliciaggi, avait levé une partie du voile sur ses activités. Dirigeant des principaux établissements de jeux en Afrique de l'Ouest, son groupe Kabi s'est étendu géographiquement et s'est enrichi d'autres activités comme l'hôtellerie, le BTP et l'immobilier.
Quand la justice lui prête alors la construction de 250 villas au Maroc, il dit n'avoirconnaissance que d'une dizaine de maisons. « Ces surveillances n'ont rien donné, mais Dieu merci, relève-t-il, quelque temps après la mort de Robert, on a compris que je n'y étais pour rien. Son fils travaille avec moi. »
RELATIONS PRIVILÉGIÉES AVEC LA FAMILLE D'OMAR BONGO
Depuis 2005, Michel Tomi est également à la tête, avec son fils, Jean-Baptiste, que l'on voit souvent à Dubaï, de la compagnie Afrijet Business Service, qui possède des Falcon. Avec un associé, il a mis la main sur Gabon Airlines. Les écoutes de 2007 soulignaient ses relations privilégiées avec la famille du président gabonais d'alors, Omar Bongo, et surtout son fils, Ali, à l'époque ministre de ladéfense. Ce dernier a succédé à son père, mort le 8 juin 2009.
Les Tomi avaient aussi noué des liens solides avec Frédéric Bongo, chef du renseignement. Les enquêteurs pointaient les services rendus à la famille Bongo : frais d'hospitalisation en France, mise à disposition d'avions, de bateaux et achats de véhicules de prestige en guise de présents. « Ils n'ont pas besoin de moi pour cela », corrige-t-il.
Mais l'ère gabonaise des Tomi est aujourd'hui terminée. Leur influence a reculé à mesure que celle du directeur de cabinet d'Ali Bongo, Maixent Accrombessi, grandissait. Les Tomi ont réduit leurs activités au Gabon pour s'investir au Mali où leur ami Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », a été élu président en 2013.
« RESTER À MA PLACE SANS INTERFÉRER »
Durant l'élection présidentielle, IBK a voyagé avec les avions d'Afrijet mais Michel Tomi dément avoir financé sa campagne. Selon un diplomate français, rencontré en juin 2013 à Bamako, « la force des Tomi, c'est qu'ils étaient proches d'IBK quand il n'était rien, ils ont du flair ». Aujourd'hui, alors qu'IBK installe encore sonpouvoir, il s'appuie sur cette confiance scellée avec les Tomi.
« J'ai un casino à Bamako depuis vingt ans et je n'en ai pas ouvert un deuxième parce que je sais où me situer, je connais beaucoup de chefs d'Etat africains mais ma relation avec eux est de rester à ma place sans interférer », dit Michel Tomi. Il admet simplement avoir recommandé la société française de sécurité Gallice, chargée de former la garde personnelle d'IBK. Frédéric Gallois, cofondateur de Gallice, confirme que Michel Tomi est intervenu en leur faveur mais précise que le vrai coup de main est venu d'Ali Bongo, que sa société protège également.
Sur ses liens avec une figure du grand banditisme insulaire, Richard Casanova, tué en 2008, Michel Tomi confirmait aux policiers, le 18 mai 2010, « une relation presque familiale » et il confiait sa proximité avec le beau-frère de Richard Casanova, Jean-Luc Germani, recherché pour assassinat et présenté comme le nouvel homme fort du milieu français.
Un petit voyou, premier repenti corse, Claude Chossat, avait révélé, en 2010, que le groupe criminel de la Brise de mer, dont M. Casanova était un pilier, avait blanchi « 4 millions d'euros » par l'intermédiaire de M. Tomi. Ce dernier dément. « Si nous étions amis avec Richard, je n'ai jamais fait d'affaires avec lui. »
Un an plus tôt, le 11 mars 2009, dans un restaurant situé près de l'office central de lutte contre le crime organisé, à Nanterre, une scène avait pourtant ajouté au trouble sur son statut de parrain. Entouré de gardes du corps, il rencontrait, ce jour-là, M. Germani et Stéphane Luciani, autre braqueur chevronné. Le milieu insulaire était alors à feu et à sang. Les policiers pensent que cette rencontre a permis d'y mettre fin. « C'est faux, se défend M. Tomi, ils sont venus me voir pourinstaller des machines à sous à Kinshasa. »
Dubitatifs, les enquêteurs commentaient ainsi, en 2010, son audition comme témoin : « Il décrivait, dans un mélange très surprenant de candeur, de prudence et de rouerie, le fonctionnement de type mafieux de certains personnages autrefois ou toujours influents dans le sud de la Corse. »