Essais nucléaires français en Algérie: Plus de 21% des femmes atteintes de cancer Par Ravah Ighil El Watan
Treize tirs nucléaires furent effectués, dont 12 ont échoué, parmi lesquels l’essai baptisé du nom de Béryl, le 1er mai 1962.
Les explosions nucléaires, la catastrophe de Béryl et le droit international humanitaire» est l’intitulé du séminaire organisé, avant-hier, par l’association Taourirt des victimes de la tragédie nucléaire de la France, dans l’Ahaggar. Organisée avec le concours du centre universitaire et la direction des œuvres universitaires de la wilaya, la rencontre, à laquelle ont pris part des chercheurs, des experts en nucléaire, des juristes et des représentants de l’Association des victimes de Reggane (Adrar), était une occasion pour sonner, pour la énième fois, le tocsin face au désastre survenu sur les monts de Tan Affla et Tan Ataram dans la région d’In Ekker, à 180 km au nord de Tamanrasset, où furent effectués 13 tirs nucléaires, dont 12 ont échoué, parmi lesquels l’essai baptisé du nom de Béryl, le 1er mai 1962. Mais aussi pour accabler la France pour avoir utilisé des Algériens comme cobayes pour mener à terme ses expériences en les faisant passer pour des mannequins.
150 Algériens utilisés comme cobayes
«Pas moins de 150 prisonniers algériens, conduits de l’établissement pénitentiaire de Sidi Bel Abbès à In Ekker par un militaire allemand qui travaillait pour la France en qualité de chauffeur», dénonce maître Benbraham Fatma-Zohra, avocate à la cour d’Alger. Et de poursuivre : «Le dossier est entre les mains de personnes honnêtes qui ne se laisseront jamais duper par la France. Mieux, le dossier mis sur la table du Parlement français en janvier dernier est à jour. Il est temps de passer à la vitesse supérieure et de montrer au monde entier que le service rendu à la France a été récompensé par la mort et le génocide.
L’Etat algérien doit s’immiscer pour mieux avancer dans cette affaire.» Et d’insister sur la levée du sceau du secret-défense sur toutes les archives se rapportant aux explosions et expérimentations nucléaires françaises dans le Sahara algérien, afin qu’«elles servent de documents de référence aux chercheurs et experts en la matière, et surtout pour connaître le nombre exact d’Algériens impliqués dans le programme nucléaire de la France ainsi que la population sédentaire et nomade concernée par les conséquences sanitaires des explosions».
Ces archives permettront également de localiser les lieux des essais, le matériel contaminé et les endroits d’entreposage des déchets radioactifs enfouis ou laissés sur place après le départ de la France, en 1967, conformément aux Accords d’Evian. Me Benbraham a appelé l’assistance, composée essentiellement d’historiens et d’étudiants, à s’organiser et à se mettre à la recherche des précieux documents et témoignages des victimes encore en vie, en plus de toute attestation servant de pièce à conviction afin d’étoffer le dossier. Benseddik Boudjemaâ, que la France exploitait pour une minable rémunération dans la construction des galeries d’explosion, était dans la salle. Il a fourni une pièce précieuse à maître Benbraham et lui a promis d’en envoyer d’autres qu’il a toujours en sa possession.
L’association Taourirt, 52 ans après cette tragédie que la France ne veut toujours pas réparer, dresse un réquisitoire contre un crime inouï dans l’histoire de l’humanité et en appelle à l’ONU pour rétablir les victimes dans leur droit à l’indemnisation morale et matérielle. La loi promulguée en janvier 2010, dite Morin, où il est clairement fait abstraction de victimes algériennes et des dégâts importants occasionnés à l’environnement, ne répond aucunement aux aspirations des concernés, puisqu’«elle occulte un principe aussi fondamental que la présomption d’origine et limite le seuil d’exposition et le nombre de pathologies radio-induites.
Cette loi scélérate instaure faussement la caution de la science pour masquer son objectif portant limitation des indemnisations pour des raisons purement budgétaires. Il faut retenir que les explosions nucléaires sur une population pacifique demeurent un parfait crime contre l’humanité et restera de ce fait imprescriptible donc voué à contraindre leurs auteurs à reconnaître d’abord puis à réparer les dommages constatés, car l’histoire rattrape toujours les hommes et les Etat malgré leur négationnisme», ajoute encore Mme Benbraham.
Pour sa part, Bendaoud Abdelkader, professeur de droit à l’université d’Oran a, tout en regrettant l’absence des autorités locales à cette rencontre, plaidé pour la mise en place d’un plan d’urgence impliquant les ministères de la Justice et des Affaires religieuses et des Wakfs afin de subventionner les associations et organisations activant dans ce cadre. Comme il a préconisé d’en appeler au Comité international de la Croix-Rouge, «plus efficace» que l’ONU, avec pour but d’accélérer les procédures liées à ce dossier. La plaidoirie de
M. Bendaoud portait aussi sur la nécessité «de mettre en place une bonne assise juridique dotée d’une base de données dans le cadre de la commission internationale humanitaire. Toutefois, la mise en place d’une stratégie territoriale visant à rentabiliser les méthodes de supervision est plus qu’impérative pour la sauvegarde de la mémoire et une indemnisation durable. Il est donc utile de prévoir des rencontres et coopérations de recherche sur, entre autres thématiques, Béryl, les dommages et les solutions».
Dans son intervention, Mansouri Amar, docteur en physique à l’université d’Alger, a fait voyager l’assistance dans l’histoire du nucléaire de par le monde avant de terminer par des prises de vue aussi percutantes que choquantes, réalisées dans des sites impropres à toute forme de vie à cause de la menace radioactive, à l’exemple de Hammoudia (40 km de Reggane) polluée pour 244 000 ans, soit 10 fois la période du plutonium utilisé lors des essais d’In Ekker. Abdul Kadhum Al Aboudi, expert en nucléaire, a, quant à lui, évoqué les dernières révélations des médias français pour évaluer les risques radioactifs auxquels est exposé le Sahara algérien.
Le conférencier – originaire d’Irak mais épris du Sahara algérien où il a réalisé plusieurs œuvres scientifiques au point d’émettre le désir d’y être inhumé – a invité les associations de victimes à se constituer en collectif national afin de parvenir à tracer une feuille de route permettant de dépoussiérer ce dossier et d’exhumer nos martyrs du cimetière de l’oubli. En conclusion, les participants ont recommandé de nettoyer et de réhabiliter les sites des essais. Ils ont mis l’accent sur le suivi médical des victimes des rayonnements ionisants via la construction par la France de structures sanitaires spécialisées à même de prendre en charge les pathologies radio-induites chez les personnes impliquées directement et leur descendance, et ce, depuis le stade de diagnostic.
Selon une étude réalisée récemment par des experts, 21,28% des femmes de cette région sont atteintes de cancer du sein et 10,13% de cancer de la thyroïde. Pour cette raison, ils ont insisté pour la mise en place d’un système de surveillance des sites, à l’instar de ce qui s’est fait en Polynésie française, et exigé de la France la formation de spécialistes algériens en décontamination et l’indemnisation des victimes suivant «le principe du parallélisme des formes». L’introduction de cette calamité dans le programme de l’éducation nationale a été soulignée par le président de l’Association des victimes de Reggane, El Hamel Omar, qui a félicité son homologue de Taourirt pour cette première initiative et le défi relevé contre la France, le déni de l’histoire et… les autorités locales.
Ravah Ighil
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