Uramin, les coquilles d’Areva Par Xavier Monnier Bakchich.info
Le rachat par Areva de la société minière canadienne Uramin en 2007 est décidément une bien mauvaise affaire. De nombreuses anomalies ont accompagné cette opération qui a généré près de deux milliards d'euros de perte à l'Etat français. L'affaire fait aujourd'hui l'objet d'une enquête préliminaire par le parquet financier de Paris.
Pour agrémenter ses vacances estivales, le juge Van Ruymbeke, qui selon les indiscrétions judiciaires a récupéré l'enquête sur le rachat d'Uramin par Areva, pourra jouer au jeu des 7 erreurs sur la plage. Avec un enjeu qui flirte avec les deux milliards de dollars, soit près d'1,8 milliards d'euros d'argent public.
De 200 millions à 2,5 milliards de dollars
Cette coquette somme correspond à la flambée du prix de la petite junior minière, estimée à 470 millions de dollars fin 2006, au temps où Areva a commencé à l'approcher, pour l'avaler en juin 2007 contre 2,5 milliards de dollars. L'énorme morceau n'a jamais vraiment été digéré par l'ogre nucléaire français qui a annoncé fin 2011 avoir déprécié dans ses comptes la quasi intégralité de la valeur d'Uramin. Gisements d'uranium difficilement exploitables en Centrafrique, peu prometteurs en Afrique du Sud et en Namibie, le tout accompagné par le plongeon du cours du Yellow cake sous des seuils historiques après la catastrophe de Fukushima : l'achat d'Uramin a constitué LA mauvaise affaire de la décennie de présidence d'Anne Lauvergeon à la tête d'Areva.
Pourtant ses propres services ont émis quelques doutes au moment d'examiner le potentiel de la société canadienne, immatriculée dans le paradis fiscal des Îles vierges britanniques et cotée sur deux marchés sulfureux : «les bourses minières de Toronto (TSX) et de Londres (AIM), ce sont des eaux de pirates et de corsaires», sourit un banquier d'affaires, spécialisé dans l'introduction en ces troubles flots.
En octobre 2006, selon une note de préparation à un entretien avec Sam Jonah, président d'Uramin, Atomic Anne est prévenue en ces termes : «Sur la base des éléments dont nous avons pu disposer à ce jour, il ressort qu'il y a un potentiel certain mais qu'il reste des incertitudes fortes autant sur le volume des ressources que sur leur accès (titres en demande, parfois disputés). Le projet actuellement le plus solide est celui de Trekkopje, en Namibie (45,000 tU annoncée, à vérifier; mise en production possible à l'horizon 2010), le gisement de Rystkuil en Afrique du Sud offre des perspectives si la sécurisation des titres - qui reste à faire - est réalisée, le moins intéressant est celui de Bakouma (Centre Afrique).»
Prudentes et désireuses de limiter les risques, les équipes d'Areva préconisent ainsi de prendre une large participation (entre 65 et 80 % des parts) contre une offre oscillant entre 170 millions et 210 millions de dollars...
L'homme d'affaires ghanéen, au mieux avec les franges de l'ANC alors fidèle au président sud africain Mbeki, choisit de temporiser en repoussant les avances d'Atomic Anne. Un vrai coup de flair. Quelques mois plus tard, le cours d'Uramin, de l'AIM de Londres au TSX de Toronto, s'est envolé. Et l'offre d'Areva de crever les plafonds en mai 2007, en plein scrutin présidentiel français. Un timing étrange de la part d'une entreprise publique pour faire une acquisition aussi stratégique.
L'APE manque de diligence
Au moment de rédiger les due diligences techniques, les services d'Areva pointent le 16 mai quelques bémols quant à l'achat. Uramin «manque d'expérience dans le domaine de l'uranium» peut on lire dans ce document de synthèse, destiné à être transmis à l'Agence des Participations de l'Etat (APE), sans laquelle la vente ne peut se faire. «La planification des projets paraît optimiste notamment sur Bakouma et dans une moindre mesure sur Ryst Kuil», tempèrent les experts du géant nucléaire français, qui listent les points faibles et mal résolus d'Uramin.
Dans le détail, demeure sur le gisement namibien de Trekkopje une «incertitude sur le taux de récupération» comme des doutes sur la «validités des estimations» de sa teneur en uranium. Le site de Ryst Kuil est sujet aux mêmes interrogations : «méthode d'extraction minière non encore validée: on ne dispose que d'une étude conceptuelle.», se plaignent les spécialistes. Quant à Bakouma (Centrafrique) : «On est au début de l'étude de faisabilité; seule une étude conceptuelle sur la méthode minière est disponible, il y a donc peu de données fiables.» Par exemple pour le «traitement du minerai : le procédé décrit par l'étude de faisabilité est complexe». Pire, concernant«l'exploitation minière», est à prévoir un fort «impact environnemental et sociétal de la gestion de l'eau du site avec un canal de dérivation et le dénoyage des fosses. L'eau de dénoyage peut nécessiter un traitement. Une étude est en cours». Et ce sans compter «l'Absence d'infrastructures et contexte politique du pays.» De la lecture de ces chikayas, l'Agence de Participation de l'Etat semble étonnamment avoir été grâciée. Le document de due diligence technique reçu par l'APE a été expurgé de nombreux doutes émis sur la qualité de l'acquisition Uramin. Et l'Etat de soutenir une opération qui lui aura coûté près de deux milliards d'euros, en pure perte.
Les différences entre les deux versions de ces documents avaient déjà agacé les auteurs d'un rapport parlementaire au printemps 2012. Elles sont apparues si flagrantes à la Cour des Comptes que celle-ci s'en est émue auprès du parquet national financier. Lequel a ouvert une enquête préliminaire précisément pour «faux, usage de faux», «diffusion d'informations mensongères et trompeuses» et «présentation ou publication de comptes inexacts ou infidèles. À charge pour la justice de déterminer qui est responsable de ces coquilles à deux milliards d'euros.