Les éléphants africains menacés de disparition par la Chine
Par Richard Labévière Mondafrique
La croissance chinoise dévore les éléphants africains.Pour les classes moyennes à Pékin, l’affichage d’objet en ivoire constitue le signe absolu de la réussite. A Pékin, cette mode a fait grimper le prix de l’ivoire jusqu’à 500 dollars (387 euros) le kilo. En 2013, 195 Chinois ont été arrêtés entre le Kenya et le Nigéria pour contrebande d’ivoire. « Aujourd’hui, la Chine est devenu l’épicentre de la demande », explique un haut fonctionnaire des Nations unies, « sans cette pression énorme, les flux de braconnage et de contrebande pourraient être, sinon taris, en tout cas contrôlés ».
L’an dernier, le record d’ivoire illégal saisi dans le monde a été battu avec quelques 38,8 tonnes ; ce qui représente les défenses de plus de 4000 éléphants abattus. « De fait, nous assistons aujourd’hui à ce qui peut être considéré comme le plus grand massacre d’éléphants de l’histoire », ajoute le représentant de l’ONU, « la plupart des saisies illicites des trois dernières années provenant essentiellement du Kenya et de Tanzanie, plaques tournantes des filières à destination du marché chinois ». A ce constat chiffré et cette géopolitique parfaitement identifiée, s’ajoutent nombre de récits montrant l’implication d’acteurs étatiques et celle d’autres organisations criminelles…
Une balle dans la tète
L’un des gardiens du Parc national de la Garamba en RDC n’en revient toujours pas. Il y a trois mois environ, en rentrant d’une patrouille de routine, il fait une macabre découverte : vingt-deux éléphants morts, regroupés dans la savane, dont la majorité tuée d’une balle au sommet de la tête. Aucune trace de véhicule, aucun indice indiquant que les braconniers ont traqué leurs proies à partir du sol. Les défenses avaient été coupées sans qu’on ne touche à la chair des animaux. Quelques jours plus tard, les gardes du parc national repèrent un hélicoptère militaire ougandais survolant la réserve à très basse altitude. Il opère un brusque demi-tour après avoir été détecté.
Vérification faite : aucun plan de vol n’a été déposé auprès des autorités locales. Une enquête est ouverte et établit rapidement que c’est bien l’appareil de l’armée ougandaise qui a tué les 22 éléphants à partir d’un hélicoptère avant de s’évaporer dans les nuages, emportant plus d’un million de dollars de butin. « Les tueurs ont même massacré les bébé comme s’il voulaient effacer toute trace de vie, après leur méfait », expliquent les rangers ». Les braconniers abattent ainsi des dizaines de milliers de bêtes chaque année, plus qu’au cours des deux dernières décennies et le commerce clandestin de l’ivoire est en passe de se « militariser ».
Destination Pékin
Cette évolution inquiète Interpol et le Département d’Etat américain qui finance et entraine plusieurs armées africaines suspectées d’être impliquées dans ce business. Plusieurs enquêtes ciblent les forces armées de l’Ouganda et du Soudan du Sud, confirmant que 80% des flux illicites prennent la destination de la Chine. Pour le reste, les investigations font apparaître que la traque aux éléphants sert aussi à alimenter les caisses de plusieurs mouvements armés dont celles des Janjawids du Darfour[1] qui entretiendraient des liens suivis avec des syndicats du crime organisé assurant des filières entre l’Afrique subsaharienne et la Chine.
Différentes factions du Soudan du Sud sont également impliquées et s’accrochent souvent avec les rangers des parcs de la région qui sont désormais équipés de fusils d’assaut, de mitrailleuses et de lance-roquettes. La LRA[2] apparaît aussi sur les écrans radar des enquêteurs, de même que les Shebab somaliens. Désormais privés des ressources de la piraterie maritimes démantelée par Atalanta[3], les islamistes somaliens assurent désormais une grande partie de leur financement grâce au trafic de l’ivoire. Dernièrement, plusieurs chefs ont encouragés les habitants des villages situés sur la frontière entre la Somalie et le Kenya à leur livrer des défenses. Celles-ci sont ensuite acheminées à destination du port de Kismayo, plaque tournante de nombreux trafics de drogue, d’armes et d’êtres humains, véritable poumon de l’économie parallèle que contrôlent les Shebab.
Il y a encore quelques années, le Parc de la Garamba comptait plus de 20 000 éléphants. L’an dernier, ils n’étaient plus que 2 800. « C’est comme pour la drogue », explique Luis Arranz, le patron du parc, « si la demande continue à augmenter, il sera de plus en plus difficile de lutter contre le trafic et, à terme, le massacre risque de faire disparaître définitivement les éléphants d’Afrique ».
[1] Janjawid : terme générique désignant les miliciens du Darfour, au Soudan. Selon la définition des Nations unies, les Janjawids sont des activistes se revendiquant comme arabes, bien qu’étant souvent d’origine Baggara. Depuis 2003, ils sont parmi les acteurs principaux du conflit sanglant au Darfour, qui oppose la population arabisée du Soudan aux musulmans, chrétiens et animistes non-arabes de la région.
[2] L'Armée de résistance du Seigneur (LRA pour Lord's Resistance Army) est un mouvement en rébellion contre le gouvernement de l'Ouganda, créé en 1988, deux ans après le déclenchement de la Guerre civile ougandaise.
[3] La mission Atalanta est une opération militaire et diplomatique mise en œuvre par l'Union européenne, dans le cadre de la force navale européenne (EUNAVFOR), pour lutter contre l'insécurité dans le golfe d'Aden et l'océan Indien, une zone maritime ciblée par des pirates qui lancent leurs attaques depuis les côtes somaliennes.