Uramin-Areva, le bal des témoins Par Xavier Monnier Bakchich Exécuteur de l'achat d'Uramin par Areva pour 2,5 milliards de dollars en 2007, le belge Daniel Wouters a été entendu comme témoin par la brigade financière le 1er juillet. La France n'est pas toujours terre d'accueil pour les ressortissants belges. Parti d'Areva dans les bagages d'Anne Lauvergeon en 2011, cible de deux rapports d'intelligence économique d'enquêteurs privés en 2010 et 2011, débouté de sa plainte en violation de la vie privée contre l'un des deux auteurs, Mario Brero, le 20 juin dernier, Daniel Wouters a été perquisitionné le 3 juin. Avant d'être auditionné le 1er juillet dans les locaux de la brigade financière parisienne. Pour répondre, encore, aux mêmes soupçons qui pèsent sur son rôle lors du rachat d'Uramin par Areva en 2007, contre 2,5 milliards de dollars. La plus grande opération d'achat jamais réalisée par le géant du nucléaire français. Son plus grand échec à ce jour également. La valorisation de la petite junior canadienne immatriculée aux Iles Vierges Britanniques flirte désormais avec zéro dans les comptes de l'entreprise publique. Une perte sèche de 2 milliards, sans compter les investissement sur les gisements africains, notamment en Namibie et en Centrafrique, pour lesquels Uramin avait les droits d'exploitation. Un crash à 2,5 milliards d'euros Baisse du cours de l'Uranium, catastrophe de Fukushima, mauvaise estimations des ressources de la start-up, de bels et bons arguments ont été avancés pour expliquer le crash par la direction d'alors d'Areva, Anne Lauvergeon en tête. Le raisonnement a contenté les rapporteurs de l'Assemblée nationale, René Ricol, chargé en 2010 d'un audit sur la question. Il n'a pas convaincu la cour des comptes, à l'origine d'un signalement au parquet national financier qui a ouvert une enquête préliminaire pour «présentation ou publication de comptes inexacts ou infidèles», «diffusion d'informations fausses ou trompeuses», «faux et usage de faux». Depuis, les limiers de la financière remontent la piste du processus d'achat et de décision qui a amené à la catastrophe, identifier les acteurs, préciser leurs rôles et leurs éventuelles malversations. Inévitablement leur route devait croiser celle de Daniel Wouters, ancien de la banque Fortis, connaissance du roi des mines congolaises Georges Forrest et grand exécuteur de l'achat d'Uramin, ainsi que l'atteste l'offre d'achat au comptant du Toronto Stock Exchange (TSX), la bourse de Toronto où Uramin était côtée. «Au cours d’une réunion qui a lieu à Londres, au Royaume-Uni, le 4 juin 2007 entre Daniel Wouters, vice-président, Business Units –Mines, d’AREVA NC, Stephen Dattels, président adjoint exécutif du conseil et administrateur, Ian Stalker, chef de la direction et administrateur, et Neil Herbert, chef des finances et administrateur de la Société, ainsi que leurs conseillers respectifs, l’initiateur a déclaré son intérêt de principe à amorcer des négociations en vue de présenter une offre d’achat de la Société. À la suite de cette réunion, les négociations entre les parties se sont poursuivies. Entre le 8 et le 10 juin 2007, les parties ont convenu verbalement des conditions d’une offre, y compris le fait qu’elle serait en numéraire, mais n’ont pas discuté du prix d’offre. Le 14 juin 2007, les parties ont convenu verbalement des conditions quant au prix d’une acquisition proposée et le conseil, en se fondant en particulier sur l’avis de BMO Nesbitt Burns Inc., a approuvé les conditions quant au prix d’une offre d’achat proposée présentée par AREVA NC ou l’une de ses filiales en propriété exclusive et a autorisé la direction à finaliser les modalités d’une convention de soutien. Dans ce cadre, la Société et l’initiateur ont finalement conclu, le 15 juin 2007, une convention de soutien». Le grand mystère de l'embauche de Wouters De source judiciaire, Wouters n'a pas contesté avoir été à la manoeuvre. Mais l'homme d'affaires a prestement rappelé qu'il était «mandaté par sa hiérarchie et sous le contrôle des juristes d'Areva». Qui ont validé le prix d'achat. Une façon de remettre chacun face aux responsabilités du crash. Surtout Wouters s'est évertué à décrire son parcours professionnel qui ne manque pas d'éveiller le soupçon. Durant son audition Wouters a bien confirmé que son CV avait été transmis à Olivier Fric, l'époux d'Anne Lauvergeon. «Mais il a insisté sur le fait qu'entre son dépôt de candidature et son embauche s'est déroulé presqu'un semestre et que ce n'est pas lui qui a transmis le CV. Il affirme qu'il n'avait jamais vu Fric avant de travailler à Areva.». Une relation commune, selon les informations de Bakchich, s'en est chargé. Le cheminement ne pourrait être qu'anecdotique sans l'affaire Uramin. Après son départ d'Areva, le ressortissant du plat pays a en effet intégré une structure montée par les anciens fondateurs d'Uramin. Ces derniers, dans le livre qui narre leurs exploits «A Team Enriched» que Bakchich a parcouru, lui décernent un étrange brevet. «L'un des secrets les mieux gardés d'Areva est la personne qui a engagé Daniel Wouters», écrivent les enrichis d'Uramin. Une question dont la réponse pourrait être bientôt clarifiée. Oliver Fric, et son épouse Anne Lauvergeon s'attendent à une convocation prochaine. «Avec sérénité, assure leur conseil Me Versini-Campinchi. Une enquête se réalise à charge et à décharge. Une fois celle là bouclée, on se rendra enfin compte que le dossier Uramin Areva n'a rien de pénalement répréhensible.» Un optimisme qui contraste un peu avec le calendrier des enquêteurs. Pour leur première audition, les limiers avaient convoqué Vincent Crouzet, consultant spécialiste de l'Afrique centrale et auteur du roman Radioactif. «Une affaire Uramin pour les nuls» a-t-il décrit à Bakchich, ou la plus grande opération de retro-commission réalisée depuis l'affaire des Frégates de Taïwan. Un signe que les enquêteurs ne négligent aucune piste.