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Centrafrique : ce que les médias français ne vous diront pas

par Sam La Touch 6 Août 2014, 05:52 Articles de Sam La Touch Centrafrique France Françafrique Médias français Tchad Racialisme néocolonialisme

Centrafrique : ce que les médias français ne vous diront pas

La situation en Centrafrique est cahotique même si des négociations porteuses d'espoir ont débuté entre les parties en conflit en RCA mais la couverture médiatique française du conflit, qui ravage ce pays depuis un an et demi, est des plus discutable. Si l'on en croit les médias mainstream et même de nombreux médias qui se prétendent "libres", la situation actuelle résulterait avant tout des conflits entre les milices rivales mais nulle mention n'est faite du rôle délétère des autorités françaises dans son "ancienne" colonie. Tout au plus, il apparaît dans la majorité des articles publiés dans les médias français sur le sujet, que le gouvernement français téléguidé par l'Etat-major aurait fait une erreur d'évaluation en envoyant un nombre trop faible de soldats (1200-1600) pour rétablir la paix dans un pays grand comme une fois et demi la France au risque de dégrader encore plus la situation. Ces analyses pour la plupart excluent toute approche diachronique tenant compte du rôle français dans le conflit actuel en RCA. De sorte que la lecture synchronique de la situation, dans le hic et nunc, sur un modèle typiquement africaniste, ne peut fournir aux citoyens lambda qu'une grille de lecture racialiste.


La situation pouvant se résumer à cette version simpliste : un conflit éclate entre une milice rebelle hétéroclite (Séléka) et le pouvoir en place de Bozizé. Cette milice a renversé le pouvoir autocratique en place par un coup d'Etat. Parvenu au pouvoir, en mars 2013, la Séléka a perpétré des massacres visant la population civile à majorité chrétienne. Les forces armées françaises sont intervenues pour faire cesser les conflits perpétrés par la milice de la Séléka et s'interposer entre milices de la Séléka et anti-balakas (soutenus par les partisans de l'ancien président). Cette lecture laisse à penser qu'il s'agit d'une affaire purement centrafricaine entre rebelles et loyalistes dans un pays africain où la force française aurait tant bien que mal tenté d'apporter une sorte de pacification à l'escalade meurtrière qui frappe le Centrafrique. Cette approche simpliste et africaniste ne semble absolument pas tenir compte du contexte géopolitique néocolonial qui l'a vu naître.

Or le Centrafrique n'est pas n'importe quel pays, il s'agit d'une "ancienne" colonie française où la France a des intérêts économiques, militaires et géopolitiques considérables. En occultant l'implication française tant dans sa dimension historique et économique, la plupart des médias français opèrent une double forclusion qui fournit implicitement une lecture racialiste du conflit. Mais si nous réintégrons une analyse historique et géopolitico-économique de la situation en s'attardant sur le rôle de "l'ancienne" puissance coloniale, on découvrira l'ampleur des responsabilités françaises dans le cauchemar dans lequel le Centrafrique est plongé. Ce scotome françafricain frappant les médias français qu'il soit mainstream ou "libre" tient sans doute à de nombreux facteurs qui révèlent sans doute toute les particularités du magistère médiatique français à l'égard de la politique africaine de la France. Ce processus d'autocritique si faiblement développé à l'égard de l'exécutif et de la politique étrangère de son propre pays tient sans doute pour partie au régime français de "monarchie républicaine" où l'exécutif a été sanctuarisé par la Constitution du Général en 1958 dans le contexte des "évènements d'Algérie". Cette aporie médiatique en ce qui concerne la politique africaine a plus à voir avec le régime politique dans lequel la presse se meut qu'à ses caractéristiques intrinsèques. Pour pousser l'exemple à son paroxysme, on pourrait dire qu'il est nettement plus aisé de faire un travail journalistique décent dans une démocratie que sous un régime totalitaire. Si les critiques des médias US, britanniques ou allemands (notamment la presse "libre" et même de la presse mainstream) sont beaucoup plus virulentes et fréquentes à l'égard des décisions de l'exécutif de leurs gouvernements respectifs (nous nous en faisons d'ailleurs régulièrement l'écho sur ce blog avec de nombreux articles anglo-saxons traduits en langue française) - décisions qui se discutent effectivement au Parlement - en France elles ne sont encore qu'à l'état de reliquat particulièrement en ce qui concerne les domaines réservés à l'Etat-major et à ses affidés de l'Elysée. Le régime de la Vème République est un frein puissant au journalisme d'investigation sur un sujet où souvent l'omerta a régné notamment en ce qui concerne la Françafrique (qui n'existerait plus actuellement selon bon nombre de médias français collaborationnistes qui semblent minimiser voir occulter un phénomène d'une grande criminalité).
Outre cette surdétermination politique oppressante, on se doit aussi de tenir compte de la situation particulière de la presse française. En effet celle-ci est passée au fil du temps sous la tutelle de multinationales constitutives du lobby militaro-industrio-financier qui opère dans les "anciennes" colonies d'Afrique (Total, Areva, Bouygues, Dassault, Lagardère, Bolloré, Orange,...). Elle subit qui plus est une autre forme de dépendance. Une double dépendance même : étatique et idéologique. Etatique, car fait particulier dans un pays démocratique, la grande majorité de la presse française est subventionnée par l'Etat questionnant encore une fois son indépendance. Idéologique parce que les représentations du magistère intellectuel sont connotées par le courant nationalo-souverainiste qui prend souvent des accents rouge-brun dans les médias dits "libres" ou de "gauche" soulignant aussi les représentations profondément (néo)colonialistes de la société française.

Mais revenons au Centrafrique et aux informations que vous ne retrouverez pas (ou si peu) dans les médias français.

1. Les médias français ne vous diront pas que la majorité des kleptocrates installés à la tête de ce pays - souvent qualifié de "porte-avions" français en raison de la présence de sa base militaire et aérienne séculaire - l'ont été par l'armée ou/et les services français depuis l'ère des "indépendances" de Bokassa à Samba-Panza en passant par Bozizé et plus récemment Djotodia. Ils ne vous diront pas que Paris s'est toujours arrangé pour assujettir son ancienne colonie et la maintenir dans une situation de totale dépendance économique, militaire et politique envers "l'ex"-métropole ayant ainsi contribué à sa paupérisation chronique.

2. Ils ne vous diront pas que le dictateur Bozizé a été installé et renforcé en 2006-2007 avec l'aide de l'armée française et de ses mirages pour conquérir l'ensemble du pays.

3. La quasi-totalité de la presse française ne vous dira pas non plus que le dictateur Bozizé n'avait plus le soutien de l'actuel gouvernement français en raison du contrat qu'il avait signé avec la Chine lui attribuant l'acquisition du bloc pétrolier A. Pas plus qu'ils ne vous diront que le dictateur Djotodia arrivé au pouvoir en mars 2013 s'est empressé d'annuler ce contrat et d'assurer qu'il continuerait à traiter avec "l'ancienne" puissance coloniale (Pro-French Central African Republic coup leaders scrap Chinese oil deals ; France, Japan form alliance targeting Chinese influence in Africa). En toile de fond de l'engagement tchadien, la France manoeuvre dans les coulisses (en lien étroit avec les USA), sur fond de partage du pétrole centrafricain à la frontière avec le Tchad (US, France deploy troops to Central African Republic). Il y a aussi d'autres intérêts miniers notamment diamantifères et en uranium tels que signalés par le journal l'Humanité dès le début 2013 et qui ont été source par le passé de tension entre la France et Bozizé notamment autour du projet d'Uramin et d'Areva.

The Guardian de Londres a rapporté que "La coalition de combattants rebelles de la Séléka, a commencé à saisir les villes des zones minières dans le pays riche en diamants le mois dernier (janvier 2013), et a déclaré qu'il n'attaquera pas la capitale Bangui et devrait entamer des négociations avec le gouvernement à Libreville, la capitale du Gabon voisin dés la semaine prochaine." - WSWS a rapporté que le président Bozizé a insinué que la révolte contre lui avait quelque chose à voir "avec l'octroi des contrats d'exploration pétrolière plus tôt cette année qu'il a accordé à des sociétés chinoises et sud-africaines" - Quant au rôle de l'Occident dans cette affaire, l'Humanité (Paris) a noté dans un article publié mardi et traduit ci-dessous dans son intégralité, "il est certain que Paris ne perd pas de vue les intérêts français centraux en RCA. Cette République est une caricature d'une économie d'extraction typique des anciennes-colonies d'Afrique. Le géant français de l'énergie Areva se développe dans Bakouma, à 900 kilomètres (560 miles) au nord-est de Bangui, un projet d'exploitation d'uranium. Le gisement a été découvert dans les années 1960 .. . par le Commissariat à l'énergie atomique". (NEWS: US, French troops heading to Central African Republic as rebels advance on capital).

4. La majorité des médias français ne vous dira pas que le dictateur Idriss Déby qui a armé la Séléka est un dictateur qui a été maintenu au pouvoir en 2008 grâce à l'intervention militaire française. De sorte que lorsque les médias pointent du doigt la responsabilité de premier ordre du "despote" Déby, ils oublient de dire que Déby n'est bien souvent que le pantin tchadien des intérêts de l'Etat français dans la sous-région. Ils ne vous diront donc pas qu'il a été installé à la tête du Tchad grâce au soutien des services et de l'armée française en 1990. L'autocrate Déby vient d'ailleurs d'accéder à la demande française de créer la plus grande base militaire française en Afrique à Ndjamena dans le cadre de la mission "Barkhane" qui prétend lutter contre le terrorisme dans la région saharienne et sub-saharienne. Ils ne vous diront donc pas que Déby est un pantin françafricain qui exécute les volontés de l'Etat-major français et de l'Elysée en Afrique : au Mali et au Tchad et ailleurs posant plus généralement la question des responsabilités françaises directes et indirectes dans la crise actuelle en Centrafrique.

5. Ces médias ne vous diront pas que "le chef de guerre", François Hollande (tel qu'il fut nommé par l'AFP), a refusé de faire intervenir l'armée française lors de la montée en puissance de la Séléka début 2013 malgré des accords de coopération militaire entre la France et la RCA et surtout comment il a refusé de faire intervenir l'armée française pour défendre les accords de paix centrafricain signés en janvier 2013 à Libreville entre la Séléka et l'autocrate Bozizé condamnant de facto le gouvernement intérimaire qui était né de cet accord.
"D'une manière générale si nous sommes présent ce n'est pas pour protéger un régime mais pour protéger nos ressortissants et nos intérêts" (François Hollande, en mars 2013,"La France n'interviendra pas, mars 2013)

6. Ils ne vous diront pas non plus que des mercenaires français issus de l'armée française, ainsi que des officines de sécurité français sont venus sécuriser le pouvoir du nouveau kleptocrate Djotodia soutenu par l'axe franco-tchadien (avec en arrière plan les USA qui disposaient aussi de soldats sur le terrain). Pas plus qu'il ne sera question des nombreux réseaux françafricains qui sont venus graviter autour de ce nouveau tyran imposé par un coup d'Etat dans la plus pure tradition françafricaine. Il n'y a donc quasiment rien eu, dans la plupart des médias (hormis dans quelques médias spécialisés), sur l'arrivée ou le renforcement des réseaux françafricains Miterrrand, Guéant, Attias, Fabius...autour du dictateur Djotodia en RCA. [(Centrafrique : retour sur la non intervention française (BdA) ; Eburnanews Les révélations d’un officier centrafricain sur le putsch contre Bozizé: Des soldats français y étaient avec les rebelles de la Séléka; LDC Les Français sécurisent Djotodia].

7. La majorité des médias français ne vous dira pas que la France, en décembre 2013, a initialement désarmé exclusivement les Sélékas lors de l'intervention militaire Sangaris favorisant ainsi les représailles sanglantes par les anti-balakas à l'encontre de lapopulation civile d'origine musulmane et participant ainsi de par son attitude partiale (avec un virage à 180 degrés par rapport à sa politique étrangère antérieure caractérisée par son soutien envers la Séléka en mars 2013) au chaos centrafricain.

8. Ces médias ne vous diront pas non plus que Djotodia et Déby qui ont participé directement au carnage centrafricain - Djotodia parce qu'il était à la tête de la Séléka ; Déby parce que nombre de ses soldats constituaient le gros des troupes de la Séléka avec l'aval français - sont protégés par le gouvernement français et ne font l'objet pour le moment d'aucunes poursuites internationales pour leurs crimes en Centrafrique. Au contraire, le dictateur Idriss Déby a été célébré par le "chef de guerre" François Hollande et son M.A.E comme il se doit. Preuve s'il en était de leurs complicités, pour ne pas dire de leurs collaborations actives.

9. Ils n'évoqueront pas non plus les liens entre les composantes islamistes de la Séléka et leurs homologues de Boko Haram ainsi que les nombreux islamistes qui ont opéré en Libye sous guidage des services français et britanniques lors de la destruction de la Libye par les forces atantistes.

Tous ses éléments occultés mériteraient pourtant d'être intégrés dans les analyses médiatiques concernant le contexte géopolitique qui a vu naître la crise centrafricaine afin d'aider à la désaliénation du citoyen lambda sur la politique africaine de la France. Une quasi-absence de débats au Parlement, des médias dépendants de l'Etat et des lobbies militaro-industrio-financiers françafricains, (sans compter un certain nombre journalistes français non négligeables qui ont trouvé une source annexe de revenus substantiels en allant trouver de la "fraîche" auprès des dictateurs installés par la France en Afrique dans son pré-carré), une situation désastreuse de la presse en matière d'investigation sur la politique africaine de la France, une idéologie néocolonialiste profondément enracinée dans l'histoire nationale, autant d'éléments qui vont à l'encontre de la philosophie des Lumières dont se targue la France. Une philosophie qui apparaît de plus en plus comme une gigantesque duperie anesthésiante des consciences collectives sur les crimes et les politiques prédatrices commises en Afrique au nom des concitoyens. Un "abyme" français où les "ténèbres" ne sont pas forcément là où on l'aurait pensé si l'on veut bien se donner la peine d'ouvrir les yeux.

Nous sommes donc en mesure d'éclairer la version africaniste simpliste - relayée dans les médias français - à partir des éléments occultés par les communicants de l'Elysée et de l'Etat-major :
Le dictateur Bozizé installé par la France en Centrafrique est tombé en désuétude pour des raisons de divergences économiques majeures avec Paris (Uranium, Diamants, Pétrole). La France plutôt que de soutenir le gouvernement intérimaire issu des accords de transition de Libreville, en janvier 2013, a lâché son dictateur pour défendre "ses intérêt"s. Elle a donné le feu vert aux tirailleurs tchadiens pour intervenir au sein de la Séléka et défaire le pouvoir en place. Le "chef de guerre" de l'Elysée a laissé les manettes au Général Puga (libre comme l'air et sans contrôle parlementaire) et il a été convenu que l'armée française ne s'opposerait pas à ce coup d'Etat mené par des islamistes aux accointances lointaines avec les islamistes libyens (soutenus par les services français contre le régime de Kadhafi) et de Boko Haram. Lors de l'arrivée à Bangui du nouveau dictateur Djotodia issu de la Séléka, la France a sécurisé son pouvoir en renforçant ses troupes, en envoyant des mercenaires et ses officines de sécurité à ses côtés. Les réseaux Mitterrand, Fabius, Attias, Guéant... se sont redéployés autour de cette nouvelle manne financière et d'un dictateur plus favorable aux intérêts français. Djotodia a fait part clairement de son souhait d'annuler les contrats pétroliers (portant sur le bloc A à la frontière avec le Tchad) signés entre le Centrafrique et la Chine. Les massacres commis par les Séléka se sont amplifiés dans tout le Centrafrique car cette milice s'appuie sur une base ethnico-religieuse minoritaire et se heurtait aux partisans de l'ancien dictateur, les anti-Balakas. Devant la multiplication des massacres par les Sélékas sur les populations civiles, la communauté internationale et l'ONU ont pointé du doigt leurs responsabilités et leur soutien Tchadien mettant implicitement en cause la France pour complicité de crimes contre l'Humanité. Dans ce contexte, "le chef de guerre" et son Etat-Major (Le général Puga) ont décidé d'intervenir militairement en Centrafrique, en décembre 2013, avec un bon millier de soldats dans un pays grand comme une fois et demi la France. L'intervention des militaires français a consisté essentiellement au début à désarmer les Sélékas (et parfois à soutenir en sous-main les anti-Balakas) intensifiant règlements de compte et massacres de grande ampleur contre la communauté musulmane accusée d'être sympathisante des Sélékas. Des régions entières se sont vidées de leur population musulmane, il n'y a quasiment plus de musulmans dans Bangui. Le pays est partagé en deux : le sud chrétien et le nord musulman et il est au bord de la division. La France a défait le dictateur Djotodia grâce à son armée et aux pressions politiques et diplomatiques puis a installé avec les faveurs de l'ELysée et du M.A.E Fabius, Catherine Samba-Panza au pouvoir. Toutefois l'ex-dictateur Djotodia, est protégé actuellement de toute poursuite devant la justice internationale grâce à sa protection française. Il en va de même concernant le dictateur françafricain, Idriss Déby, grandement impliqué dans ce drame puisque qu'une partie des troupes de la Séléka était composée initialement de soldats tchadiens avec un équipement neuf. Actuellement, ce dictateur qui rend des services aux forces fançaises en Afrique (Mali, Centrafrique) a été adoubé par François Hollande, son ministre de la Défense, son M.A.E et tout son Etat-Major. Il est redevenu, malgré les graves crimes contre l'Humanité qui lui sont reprochés, le chouchou de l'appareil "socialiste" d'Etat et de l'Etat-major en Afrique.

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