Le 13 septembre 1958, les barbares de l'armée française sous la férule du gouvernement français, et de leurs supplétifs locaux, assassinaient le résistant Ruben Um Nyobe après une traque de plus d'une année dans le maquis camerounais. Um Nyobe est l'une des figures emblématiques de la lutte pour l'indépendance du Cameroun, comme Félix-Roland Moumié, lui aussi assassiné par les autorités françaises (à Genève)
Instituteur, syndicaliste, tribun, homme politique et panafricaniste avant l'heure, Ruben Um Nyobe fut le porte-parole des masses camerounaises et porta les revendications d´indépendance jusqu´à l´ONU. Il fut propulsé à la tête du parti de l'Union du Peuple Camerounais (UPC) au mois de novembre 1948. Il s'y caractérisera par son franc-parler et ses nombreux écrits. Il s'opposera au pouvoir colonial français et réclamera selon ses termes ' une indépendance totale et immédiate'.
Leader charismatique, Ruben Um Nyobe fut repéré très tôt par les services de sécurité et de renseignement qui écrive à son sujet dans une fiche dressée sur lui en 1947 :
"Intelligent, il cherche à acquérir par lui-même une culture supérieure...Depuis les dix-huit derniers mois, il a consacré toute son activité à créer de nombreux syndicats réunis en Union régionale, dont il est le secrétaire général...Est l’un des membres les plus actifs du mouvement démocratique camerounais, bien que ne paraissant pas lui-même...Elément dangereux. Sort très peu, mène une vie retirée, ayant un noyau d’amis très restreint".
"L'Elément dangereux" milite de plus en plus auprès de l'ONU pour l'indépendance totale de son pays, à la tête de l'UPC il entraîne l'adhésion de plus en plus nombreux du peuple camerounais, ce qui est ressenti de plus en plus comme une menace par l'Etat colonial français.
Il interviendra à 3 reprises à l'ONU en 1952, 1954 et 1956. Il revendique l’application de la Charte des Nations Unies sur le Régime international de tutelle. Car pour lui, le véritable décollage économique du Cameroun passe par la rupture avec le pacte colonial. Il continuera une inlassable œuvre d’éducation politique des masses, de correspondances internes et externes au parti qu’il dirigeait, privilégiant la conquête pacifique du pouvoir par des élections démocratiques, les vertus du dialogue et du combat politique.
En 1955 le gouverneur colonial Roland Pré inaugure un cycle de répression des insoumis d’une brutalité sans limite. Il accentue la politique répressive et sanglante de la France générant des manifestations suivies des pires violences de l’autorité coloniale. Les dirigeants de l’UPC entrent en clandestinité, Félix Moumié, Ernest Ouandié et Abel Kingué regagnent le Cameroun sous tutelle britannique d’où ils seront déportés à Khartoum au Soudan, Um Nyobe se replie quand à lui dans son village à Bumnyébel. C’est la période dite du Maquis, de nombreux paysans entrent en clandestinité, le travail politique d’explication, de formation et de pédagogie de Um Nyobe continue cependant (Afrikarabia).
Le 13 septembre 1958, Ruben Um Nyobe est tué près de son village natal de Boumnyebel. L'ordre de le liquider aurait, selon Pierre Péan, été donné par Maurice Delauney (Pierre Péan, l'Homme de l'ombre, Fayard, 1990, p. 283-284). Ruben Um Nyobe fut abattu par l'armée française dans la forêt où il se cachait, après que les troupes coloniales françaises l'eurent localisé, grâce à des indiscrétions de quelques « ralliés ». Après de longs mois de traque infernale et fort meurtrière contre tous ses partisans, tous tués ou capturés les uns après les autres, son campement fut localisé début septembre 1958 par le capitaine Agostini, officier des renseignements et par M. Conan, inspecteur de la sûreté. Um Nyobe fut tué de plusieurs balles, tombant sur le bord d'un tronc d'arbre qu'il s'efforçait d'enjamber ; c'était près de son village natal, Boumnyebel, dans le département du Nyong-et-Kéllé dans une zone occupée par l'ethnie Bassa dont il était par ailleurs natif ((Wikipédia). Après l'avoir tué, les militaires traînèrent son cadavre dans la boue, jusqu'au village Liyong. Cela le défigura, sa peau, sa tête et son visage étant profondément déchirés. En travestissant à ce point sa dépouille, la force coloniale voulut « détruire l'individualité de son corps et le ramener à la masse informe et méconnaissable », affirme J.-A. Mbembe ( La naissance du maquis au Sud Cameroun, 1920-1960 : histoire des usages de la raison en colonie, Karthala, Paris, 1996). C'est dans le même esprit, poursuit-il, qu'« on ne lui accorda qu'une tombe anonyme ». Aucune épitaphe, aucun signalement particulier n'y furent inscrits. Le corps de Ruben Um Nyobe fut coulé dans un bloc de béton par les autorités coloniales ( Achille Mbembe, La naissance du maquis au Sud Cameroun, 1920-1960 : histoire des usages de la raison en colonie, Karthala, Paris, 1996).
Quelques jours seulement après la mort de Mpodol (le sauveur) et alors que la Constitution de Ve République vient d’être adoptée, la France annonce aux Camerounais, maintenant que « l’hypothèque Um Nyobe » est levée, qu’elle accordera l’indépendance à leur pays le 1er janvier 1960. La métropole confiera cette « indépendance » à ceux qui l’avaient le moins demandé – lesquels combattront pendant des années, avec acharnement, et toujours avec l’aide de la France, tous ceux qui resteront fidèles, les armes à la main ou par d’autres moyens, au message d’Um Nyobe (Monde diplomatique).
Sous la férule française de Messmer, De Gaulle et Foccart, durant la Vème République, l'armée française et ses tirailleurs vont alors entamer un cycle de représailles d'une violence inouïe dans les zones restées fidèles aux idéaux d'indépendance totale pronés par Um Nyobe. Quelques temps plus tard le Dr Félix Moumié, nouveau chef de l'UPC, sera empoisonné à Genève par les services français. Au Cameroun, la France utilisera les méthodes nazis et de guerre révolutionnaire pour mettre au pas toute la région Bassa et Bamilékés : massacres de masse à caractère génocidaire, camps de concentration, tortures, liquidation des villages dans les maquis et napalm. La Ve République du général de Gaulle va donc poursuivre une politique de répression sanglante après l'"indépendance" confiée au candidat choisi par Paris, le président Ahmadou Ahidjo. En accentuant encore la guerre à l'ouest du pays à l'aide de bombardements intensifs, qui mirent à feu et à sang toute la région (Le Monde La guerre coloniale du Cameroun a bien eu lieu). Une guerre coloniale française qui fera des centaines de milliers de morts de 1958 à 1971 et qui est restée encore occultée en France.
"Si, encore aujourd'hui, le gouvernement français ment aussi effrontément, c'est parce que ce passé reste d'une actualité brûlante. M. Biya, formé à l'Ecole nationale de la France d'outre-mer au moment où la répression battait son plein au Cameroun, avant d'entrer au cabinet d'Ahidjo, de devenir son secrétaire général puis son premier ministre, est toujours au pouvoir aujourd'hui. Soutenu à bout de bras par la France malgré une répression aussi sournoise que permanente des mouvements populaires, il a autoritairement modifié la Constitution camerounaise en 2008 pour briguer un nouveau septennat. Au même moment, alors que la jeunesse camerounaise se soulevait contre ce coup d'Etat constitutionnel et contre la misère entretenue par le régime, son armée et sa police noyaient la révolte dans le sang, faisant plus d'une centaine de morts. Sans aucune réaction ou presque de la communauté internationale." (Le Monde 4 otobre 2011 La guerre coloniale du Cameroun a bien eu lieu )
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