Habitué des plateaux télé, pour porter sa bonne parole sur le monde qui coïncide souvent avec la vision atlantiste et israélienne notamment sur l'Irak, la Libye, la Syrie et l'Ukraine, Bernard Henri Lévy s'est exprimé à nouveau sur la Libye dans l'émission de Ruquier : On N'est Pas Couché (ONPC) hier soir (6/09/2014) . A la question de Léa Salamé pour savoir si après le désastre libyen il pouvait faire un quelconque "méa culpa", celui-ci lui a déclaré au contraire qu'il était fier du rôle français en Libye.
A 1h36'30 :
Léa Salamé : "On n'a pas de méa culpa de Bernard Henri-Lévy sur la Libye ?"
BHL : "Enfin vous plaisantez, je suis au contraire extrêmement fier de ce que mon pays a fait en Libye. C'est à dire 1. d'avoir fait tomber un dictateur, 2. d'avoir empêché des rivières de sang et 3. d'avoir empêché ce qui se passe en Syrie aujourd'hui c'est à dire je vous le répète le chaos plus le djihadiste le plus radical".
1. Le "dictateur" en question avait fait de son pays, un pays laïque, le plus riche d'Afrique qui assurait la stabilité de toute la sous-région avec une classe moyenne développée contrairement à l'Afrique du sud. Avant l'intervention des États-Unis et le soutien de l'OTAN, la Libye avait le plus haut niveau de vie de tous les pays d'Afrique d'après l'indice de développement humain de l'ONU pour le classement 2010. Dans les années suivants le coup d'État, le pays a sombré dans le chaos, dans l'extrémisme et dans une violence rampante. La Libye est maintenant largement considérée comme un état failli (bien sûr ceux qui étaient assez naïf pour croire la propagande qui a précédé la guerre se mettent sur la défensive quand on leur rappelle ce fait). Ce pays à présent ruiné a donc plongé dans le chaos le plus total avec des forces djihadistes qui font régner la terreur en Libye et se sont étendus dans toute la sous-région du Mali jusqu'au Nigeria avec Boko Haram. L'oeuvre des forces atlantistes et de la France, puisque BHL attribue à cette dernière un rôle décisif, est d'avoir détruit l'unité d'un pays pour laisser place à des djihadistes qui ont été ensuite livrer bataille en Syrie avec l'aide de ces mêmes forces atlantistes si chers à BHL.
2. "D'avoir empêché des rivières de sang".
L'intervention de l'OTAN en Libye a été un carnage, Syrte a été dévastée par les bombardements et on compte des dizaines de milliers de morts en Libye suite à cette opération conjointe des forces de l'OTAN et des djihadistes libyens mêlés aux forces du CNT. Sans compter les milliers de noirs massacrés par les rebelles libyens dans un Etat où le racisme meurtrier connaît un essor monstrueux.On ne voit pas en quoi l'intervention française a empêché des "rivières de sang".
Non BHL lorsqu'il fait allusion au rôle français pour "avoir empêché des rivières de sang" fait allusion à la propagande du CNT Libyen qui annonçait que Kadhafi avait massacré les manifestants à Benghazi. En fait le chef de la fausse révolution libyenne a admis que Kadhafi n'a pas tué de manifestants : Mustafa Abdul Jalil, président du Conseil national de transition à Benghazi en 2011, a admis que "Kadhafi n'a pas ordonné la fusillade qui a été à l'origine de la fausse révolution en Libye. Maintenant, après la destruction de la Libye, Jalil avoue au monde sur Channel One que les manifestants qui ont été tués à Benghazi, et qui ont été le prétexte fourni à l'ONU et à l'OTAN pour attaquer la Libye, ont été tués par un groupe d'espions et de mercenaires qui n'étaient pas de Libye".
Quant au Dr Sliman Bouchuiguir, de la Ligue des Droits de l'Homme libyenne qui fut à l'origine du rapport de l'ONU pour l'intervention militaire en Libye, il a avoué n'avoir jamais eu aucune preuve sur les 6000 morts, 12000 blessés et les 700 viols attribués a Kadhafi qui furent à l'origine de l'intervention militaire de l'OTAN pour des "raisons humanitaires". ( Humanitarian Wars and Their NGO Foot-Soldiers). Il déclare que ces allégations proviennent des rebelles eux-mêmes, ce qui n'a jamais été évoqué devant l'ONU. Soixante-dix ONGs soutenus par le gouvernement états-unien (mais aussi français) dont la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) relayés par les communicants de l'OTAN ont soutenu la guerre contre le régime de Kadhafi qui in fine a conduit à la destruction de la Libye.(La "guerre humanitaire" des ONGs contre le peuple libyen ). BHL le sait parfaitement et a relayé lui aussi ces informations erronées auprès de l'opinion publique française comme d'autres "intellectuels" de service dans les pays atlantistes afin de conditionner les masses à cette énième version de la guerre "humanitaire".
Plus récemment, le contre-amiral US à la retraite Charles R. Kubic, de l'US Navy, a déclaré que Kadhafi, immédiatement après la campagne de bombardements de l'OTAN en mars 2011 était «prêt à démissionner». "Il était prêt à partir en exil et était prêt à mettre fin aux hostilités." Mais Hillary Clinton et Barack Obama lui ont opposé une fin de non recevoir. (Did U.S. choose war in Libya over Gadhafi abdication?).
Le discours de BHL a donc évolué, il ne s'agit plus de dire que Kadhafi avait massacré son peuple à Benghazi mais qu'il fallait intervenir pour empêcher un massacre à Benghazi alors que de toute évidence cela n'a jamais été l'intention de Kadhafi comme le reconnaissent à présent les chefs de l'ex-CNT libyen et de la Ligue des Droits de l'Homme.
3. Concernant le troisième point, BHL déclare que l'intervention française a empêché en Libye ce qui se passe en Syrie : "d'avoir empêché de qui se passe en Syrie aujourd'hui c'est à dire je vous le répète le chaos plus le djihadiste le plus radical".
Pourtant nous avons le chaos en Libye et le djihadisme le plus radical au point qu'actuellement à Tripoli l'aéroport et l'ambassade US sont sous le contrôle des djihadistes.Ce djihadisme s'est ensuite propagé au Mali et au Nigeria mais aussi en Syrie. BHL ne mentionne pas que bon nombre de djihadistes libyens et leur armements ont été transférés en Syrie. Le fait que la CIA ait travaillé activement pour aider les rebelles libyens à renverser Kadhafi n'a jamais été un secret, pas plus que les frappes aériennes qu'Obama a ordonné contre le gouvernement libyen. Cependant, peu a été dit sur l'identité ou les tendances idéologiques de ces rebelles libyens. Cela n'est guère étonnant, compte tenu du fait que le chef des rebelles libyens a admis plus tard que ses combattants incluaient des djihadistes liés à Al-Qaïda qui ont combattu contre les troupes alliées en Irak.
La politique française dans la droite ligne de celle de l'OTAN et des Etats-Unis a consisté à reproduire en Syrie ce qu'ils avaient fait en Libye en soutenant et armant les djihadistes qu'ils soutenaient en Libye. Si la Syrie n'a pas plongé dans le chaos total (contrairement à ce qui se passe en Libye) c'est parce que de nombreuses zones son encore sous contrôle du gouvernement syrien d'Assad car les forces atlantistes et israéliennes n'ont pas pu détruire Assad. On rappellera qu'Assad a lâché Kadhafi en permettant aux forces atlantistes de le localiser à Syrte. Mais lui, grâce aux Russes et à la Chine, n'a pas connu le déluge de feu qu'a subi Kadhafi après le feu vert du conseil de sécurité de l'ONU.
BHL comme tous ceux qu'on appelait les "nouveaux philosophes" apparaît de plus en plus comme un petit propagandiste au service du discours et de l'action atlantiste. Une philosophie anti-sartrienne par excellence. Certes, il prône un engagement politique et militant au service d'une idéogie mais alors que Sartre soutenait le mouvement anti-impérialiste lui se situe sans vergogne dans la mouvance impérialiste et colonialiste. Résolument du côté des puissants !
A voir également les échanges assez vifs entre Caron et BHL sur la Palestine