De quoi le Djihad est-il le nom ? Par Odile Tobner Billets d'Afrique
L’Ennemi nouveau a un nom, le Djihad, fourre-tout médiatique subsumant les conflits les plus divers, guerres civiles, résistances nationales, attentats ou coups de folie individuels. Le Djihad est une nébuleuse dont la circonférence est partout et le centre nulle part. Alors que chacun de ces conflits se nourrit d’antagonismes locaux entre des forces économiques et sociales spécifiques, le bombardement médiatique qui accompagne immanquablement chaque nouveau déploiement de l’impérialisme les objective en un projet global.
C’est que le Djihad est d’abord un concept fonctionnel, qui permet à la croisade occidentale de porter la guerre partout, en Libye, au Mali, en Centrafrique, en Somalie, en Syrie, en Irak. Quelques décapitations soigneusement mises en scène, et voilà les opinions occidentales soutenant des bombardements qui font des milliers de victimes innocentes. À Dieu de reconnaître les siens dans cette masse suspecte, coupable de prétendre vivre sur des territoires d’où l’Occident tire le nutriment de sa puissance sous forme de pétrole, d’uranium et autres irremplaçables aliments. Pour un pays africain, posséder des ressources, avérées ou potentielles, est le plus sûr moyen de se retrouver en proie au Djihad.
Le Djihad est le nom d’une recolonisation directe de ces pays par le biais de l’implosion des États post-coloniaux. Désormais l’impérialisme ne se contente plus de contrôler des États-sujets nés de la décolonisation, le peu de souveraineté qu’ils conservent semblant encore un obstacle excessif à son insatiable besoin de domination. A la faveur de troubles ethniques ou religieux nourris en sous-main voire suscités – le cas de l’Irak est éclatant à cet égard –, il s’agit de reprendre pied militairement dans ces territoires et de redessiner au bénéfice des puissances occidentales des frontières pourtant intangibles selon le droit international. La Libye, détruite par des bombardements libérateurs, n’est plus qu’un conglomérat de chefferies, qu’on bombardera à leur tour au nom du Djihad.
Au prétexte du Djihad, des conseillers militaires anglais et américains ont pris en main la défense du Nigeria. Au prétexte du Djihad, la France pérennise sa présence militaire en Françafrique via le dispositif Barkhane, qui couvre cinq pays du Sahel : Mauritanie, Burkina Faso, Mali, Niger, Tchad ; au prétexte du Djihad elle nourrit le chaos centrafricain et guette les défaillances de l’État au nord du Cameroun. Ces pays sont d’autant plus vulnérables que leurs classes dirigeantes compradores n’ont songé, en fait de construction nationale, qu’à se remplir les poches. Le Djihad leur rappelle utilement à qui elles doivent leur existence et qui est seul en mesure d’endiguer le raz de marée des miséreux qui menace de les submerger. Les voilà guéries de leur prétention à la souveraineté, implorant humblement le retour du sabre colonial.
Le Djihad infuse le vieux cadre françafricain, que d’aucuns disaient périmé voire défunt, du sang neuf, au propre comme au figuré, d’un ennemi polymorphe. Selon la vision prophétique d’Orwell : « Il ne s’agit pas de savoir si la guerre est réelle ou non. La victoire n’est pas possible. Il ne s’agit pas de gagner la guerre mais de la prolonger indéfiniment. Son objectif n’est pas de vaincre, mais de garder la structure sociale intacte. ». Tel est le vrai Djihad, la véritable guerre globale, menée au nom du Veau d’or, le dieu le plus sanguinaire que l’homme ait jamais inventé.