Il existe un hiatus entre les analyses historiques de la politique coloniale française et celles concernant la politique sous le gouvernement de Vichy sous occupation coloniale allemande. Pourtant comme le révèle l'historien Olivier Le Cour Grandmaison, durant la seconde guerre mondiale, les collabos au pouvoir sous le Maréchal Pétain ont appliqué en France des politiques utilisées dans les colonies. Il y a une continuité entre le discours colonial et le discours sous le gouvernement de collaboration pétainiste : le discours sur la race, l'extension du code de l'indigénat à la Métropole, l'extension de l'internement administratif aux ennemis de l'intérieur, le recours à la torture et les massacres de masse en fonction de l'ethnie.
L’internement administratif est « exemplaire, écrit Le Cour Grandmaison, "de ce processus qui a vu une mesure d’exception, employée contre les "indigènes", devenir la règle dans l’empire et se banaliser avant d’être intégrée à la législation opposable aux Français résidant en métropole. C’était à la veille de la Seconde Guerre mondiale, puis sous le régime de Vichy ; les réfugiés républicains espagnols, les communistes français, puis, après l’adoption de la loi du 3 septembre 1940, les "traîtres à la patrie" et les juifs étrangers en vertu d’une législation adoptée le 4 octobre de la même année, furent victimes de ces mesures ".
La violence avec laquelle ont été traités les "indigènes" dans les colonies est exemplaire des pratiques qui seront ensuite réalisées par le régime collaborationniste du Maréchal Pétain sous le régime de Vichy sur les peuples d'Europe mais plus généralement par les régimes fascistes contre leur propre population dans l'Allemagne nazie ou dans l'Espagne Franquiste.
Olivier Le Cour Grandmaison, dans son livre "Coloniser - Exterminer" démontre que les principes de la guerre totale mis en oeuvre une première fois lors des guerres coloniales, ont par la suite trouvé d’autres temps et terrains de réalisation. Par exemple : en juin 1848, les forces de l’ordre ont appliqué contre la population française les "moyens algériens", selon l’expression d’Engels, qui avaient fait le "succès" de certains officiers supérieurs en Algérie. Mais on pourrait évoquer l'expérience des troupes coloniales allemandes sous le kaiser Guillaume II qui ont expérimenté le recours à la solution finale sur le peuple Herero au début du XXème siècle, l'établissement de camp de concentration et d'expérience médicale sur les Namibiens.
Tout aussi paradigmatique, sont les expériences des troupes coloniales de Franco qui utiliseront les mêmes stratégies de guerre totale et de terreur en Espagne pour venir à bout des Républicains et installer la dictature du Caudillo.
Malheureusement cette continuité en terme d'actualité néocoloniale du passé colonial reste volontairement impensée et occultée aux yeux de l'opinion publique. Le magistère politico-intellectuel, aligné sur les lignes établies par le lobby militaro-industriel qui enrichit la Nation, participe à la fabrique du consentement du citoyen en occultant la barbarie néocoloniale actuelle tout en en condamnant ces méthodes sur son propre peuple. Une conception sélective des droits de l'homme qui se retrouve implicitement avalisé par un racialisme de légitimation puisant ses origines dans la pensée coloniale. L'adage de Jules Ferry portant sur la légitimation de la colonisation (et in fine de sa barbarie) par la nécessité de civiliser les peuples inférieurs a été repris par les pro de l'ingérence des guerres humanitaires en Libye, en Syrie et au Mali. Cette idéologie a toujours été soutenue par l'impérial-socialisme fondé sur une conception racialiste et sélective des droits de l'homme et marquant un rapport très particulier avec l'Autre lointain.
Mais quelle différence, est on en droit de se demander, entre les hommes politiques qui ont collaboré avec le régime de Vichy sous occupation coloniale allemande et ceux qui ont soutenu les entreprises d'extermination coloniale de masse en Algérie sous Bugeaud mais aussi lors des massacres de Sétif, ou au Cameroun sous le Général de Gaulle contre les populations indépendantistes ? Usuellement le point de rupture réside dans la collaboration française à la solution finale nazie sur des populations européennes. Mais en dehors de ce point de fracture ethnique, la continuité des pratiques coloniales barbares ne posent pas de problèmes d'éthique au sein de la République française. Le soutien français aux génocidaires rwandais sous un gouvernement de cohabitation Mitterrand-Balladur ne semble qu'être qu'un point de détail historique peu abordé par le magistère politico-intellectuel français.
Les hommes politiques de la Vème République qui collaborent activement avec les dictateurs françafricains que l'armée française a porté au pouvoir sont-ils des collabos ? La réponse est plus qu'affirmative à partir du moment où ces dictateurs ont été portés au pouvoir par l'armée française et les autorités françaises : dynastie des Eyadéma au Togo, des Bongo au Gabon, des dictateurs Sassou Nguesso au Congo, Déby au Tchad... Les deux derniers mis en cause dans des crimes de masse et des crimes contre l'humanité, reçoivent la mansuétude française et sont régulièrement accueillis à l'Elysée en guise de reconnaissance.
Dernier acte de collaboration en date, la visite du Premier ministre français, Manuel Valls, et de son ministre de la Défense, Le Drian, dans la dictature tchadienne pour féliciter les troupes militaires françaises qui occupent ce pays et qui ont permis au dictateur Idriss Déby de se maintenir en place en 2008 face à une rébellion permettant au passage au dictateur d'assassiner l'opposant démocratique le plus célèbre du pays : Ibni oumar mahamat saleh.
Il ne s'agit plus d'acte de collaboration mais de soutien actif au totalitarisme sous bannière françafricaine. Manuel Valls, dont la famille maternelle helvétique tire une partie de sa richesse de l'exploitation coloniale des richesses minières de Sierra Leone, n'a pu s'empêcher de rendre un hommage appuyé à l'une des pires dictatures françafricaines en déclarant au Niger:
"C'est aussi l'occasion de saluer deux pays, le Tchad hier et le Niger aujourd'hui, qui ont été engagés dès le début avec des soldats qui ont été au côté de la France au Mali" (AFP)
Pour ces gens là qui ont baigné enfant dans la logique coloniale, les droits de l'homme dans ces pays ne semblent pas être leur principal souci aux antipodes de la déclaration universelle des droits de l'homme doublement prôné par l'esprit des Lumières et la révolution française. La politique étrangère française durant la Vème République dans son pré-carré africain, comme la politique intérieure sous le régime de Vichy, est fondée sur un projet basé sur l'envers des droits de l'homme. La déclaration universelle ne semble s'appliquer dans leur esprit qu'aux peuples caucasiens, et encore. Cet ensemble de pratique est fabriqué spécifiquement pour les néocolonies françaises, en contradiction profonde avec les principes fondamentaux du droit français hérités de la Révolution et les règles les plus élémentaires du respect de la personne. Il ne s'agit pas, in fine, de collaboration mais bien plus de responsabilité directe dans la mise en place dans le pré-carré français de marionnettes formées et soutenues par la France ou de "gouverneurs à peau noire" (Déby au Tchad, Compaoré au Burkina Faso, Sassou Nguesso au Congo, Bongo au Gabon, Eyadéma au Togo, Omar Guelleh à Djibouti,...) pour mettre en coupe réglée, sous des régimes de terreurs et dictatoriaux néocoloniaux, les richesses de ces pays pour l'intérêt des multinationales françaises et plus généralement atlantistes.
Il en va de même pour François Hollande qui sous la pression du lobby militaro-industriel au pouvoir s'est mué en "chef de guerre" au Mali et en Centrafrique. Lui qui avait un père d'extrême droite militant pour l'Algérie française et pour l'organisation terroriste coloniale de l'OAS ne doit sans doute pas être trop dépaysé lorsqu'il reçoit à l'Elysée les dictateurs installés par Paris dans son pré-carré africain.