Provocation raciste et «guerre contre la terreur» Par Patrick Martin, 16 janvier 2015 WSWS
Tôt mercredi matin, le nouveau numéro de Charlie Hebdo était en vente à travers la France, avec un tirage passant des 60.000 habituels à 5 millions d'exemplaires. Le nouveau numéro, avec une caricature dégradante du Prophète Mahomet sur la une, ne représente pas un monument pour la «liberté de la presse», tel que décrit par les médias, mais plutôt une provocation soutenue par l'État.
Par le moyen de cette publication et ses échos à travers les médias, des millions de citoyens français sont bombardés par une campagne anti-musulmane qui, jusqu'à récemment, était le terrain du Front national néo-fasciste. Ces idées sont attisées délibérément afin de créer une base de soutien pour de nouvelles opérations militaires de l'impérialisme français.
La conduite de «la guerre contre la terreur» acquiert un caractère de plus en plus ouvertement raciste.
Le soin avec lequel la campagne est coordonnée est démontré par le fait que le gouvernement français a payé pour le tirage énormément agrandi, alors que des journaux majeurs de la bourgeoisie l'ont facilité: Le Monde a fourni des ordinateurs, Libération a ouvert ses bureaux aux membres survivants de la rédaction de Charlie Hebdo. Le Premier Ministre Manuel Valls est passé faire preuve de son soutien.
Le gouvernement français n'a pas perdu de temps à utiliser les attentats du 7 janvier pour promouvoir ses opérations militaires au Moyen Orient. Suite au vote de 488 contre 1 à l'Assemblée nationale pour étendre les frappes aériennes en Irak, le président français François Hollande, jusqu'à récemment l'élu le plus impopulaire de France, est apparu sur le pont du porte-avions Charles de Gaulle pour s'adresser à l'équipage en route vers le Moyen Orient. Citant les événements de la semaine passée ayant fait 20 morts à Paris, il a dit que la situation «justifie la présence de notre porte-avions».
Le porte-avions va se joindre à l'armée américaine dans le Golfe Persique, où les forces américaines font pleuvoir des bombes sur l'ouest de l'Iraq et l'est de la Syrie dans le cadre de la guerre qui vise jusqu'à présent le groupe État islamique, le régime de Bashar al-Assad étant le prochain sur la liste.
Rien que la journée de lundi, la coalition de puissances impérialistes et de monarchies du Golf menée par les États-Unis a effectué 18 frappes aériennes. Sans doute ces attaques tuent plus d'innocents chaque jour que le nombre de personnes mortes à Paris la semaine dernière, quoiqu'avec moins de couverture dans la presse occidentale.
Sur le chemin du Golfe Persique, le Charles de Gaulle longera la côte du Yemen, offrant au gouvernement Hollande la possibilité de lancer des frappes aériennes contre des cibles dans ce pays. Des dirigeants américains et français ont suggéré que Said Kaouchi a reçu au Yemen de l'entraînement militaire et des ordres d'Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA). Il y a eu des suggestions non confirmées dans les médias qu'une attaque massive contre le Yemen, soit par des avions de guerre français ou par des missiles de drone américains, ou les deux, est imminente.
L'attentat contre Charlie Hebdo est aussi utilisé pour intensifier l'autre élément de «la guerre contre la terreur», à savoir l'assaut contre les droits démocratiques à l'intérieur.
Le Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, commentant la mobilisation de 10.000 soldats français pour monter la garde devant les centres de transport, les écoles et d'autres supposées cibles d'attaques terroristes, a dit mardi: «C'est une opération militaire comme les opérations militaires que nous menons à l'étranger», dirigée contre «le même ennemi». Il a ajouté qu'aujourd'hui, l'élément nouveau et grave c'est qu' «il n'y a pas de rupture entre la menace extérieure et la menace intérieure».
Tout en revendiquant la défense de «la liberté de la parole» chez Charlie Hebdo, les autorités françaises ont ouvert des procédures judiciaires pour «apologie de terrorisme» – c'est-à-dire pour actes de parole, y compris des commentaires sur les réseaux sociaux. Quatre des personnes arrêtées sont des mineurs, et quelques-uns ont été condamnés sous des lois qui permettent la comparution immédiate.
Tout en bannissant toute expression publique de solidarité avec l'intégrisme islamique, le gouvernement étend ses pouvoirs de type État-policier, lesquels seront dirigés non seulement contre les islamistes radicaux, mais aussi contre toute opposition à la bourgeoisie française, surtout celle de la classe ouvrière.
Valls a promis que dans trois mois son gouvernement aura rédigé de nouvelles lois pour étendre les écoutes téléphoniques et la surveillance de l'Internet, et aussi des mesures pour restructurer l'Éducation nationale et changer la politique de logement du pays (dans le but de démanteler les communautés musulmanes dans les banlieues appauvries qui entourent les grandes villes).
Etant donné qu'environ cinq millions de Musulmans vivent en France – la plus importante population musulmane d'Europe de l'Ouest – ces mesures ne sont pas uniquement antidémocratiques, elles ont un caractère provocateur.
Les partisans de la propagande de la bourgeoisie française soutiennent que toute critique des ignobles provocations de Charlie Hebdo est une attaque contre «la liberté de la parole», et que la mobilisation des ressources de l'État pour promouvoir le magazine est en quelque sorte une défense des droits démocratiques.
C'est une chose de défendre le droit légal de publier un magazine grossier, raciste, droitier. Les marxistes s'opposent à l'interdiction même de publications carrément fascistes par l'État bourgeois, car toute loi utilisée contre l'extrême-droite sera utilisée d'une façon beaucoup plus violente contre la classe ouvrière et la gauche.
C'est autre chose de minimiser, et même de glorifier, les messages politiques répugnants de telles publications. Il n'y a pas de différence de principe entre des caricatures qui déforment et dégradent le Prophète Mahomet et les caricatures du Ku Klux Klan contre les noirs ou, en l'occurrence, les caricatures antisémites longtemps populaires dans le camp néo-fasciste et néo-nazi. Ceci est démontré par la logique de la politique française, vu que le Président Hollande combine la solidarité avec les caricatures antimusulmanes de Charlie Hebdo avec une invitation à Marine Le Pen, dirigeante du Front national fasciste, à une réunion au Palais de l'Elysée.
La pollution implacable de l'opinion publique et la déformation de la colère naturelle envers le massacre de Paris révèlent la faillite idéologique de la bourgeoisie française et de l'impérialisme en son ensemble. L'impérialisme américain a justifié ses guerres en Afghanistan et en Irak en agitant la chemise ensanglantée du 11-septembre, un prétexte qui est maintenant complètement épuisé.
Alors qu'ils complotent de nouvelles aventures militaires, qui prennent les dimensions d'une véritable nouvelle croisade, les classes dominantes en France et internationalement jouent la carte raciste. Inéluctablement, cependant, les contradictions de classe dans tous les grands pays capitalistes se feront sentir.
La classe ouvrière doit repousser les effets abrutissants du battage médiatique et engager la lutte pour ses intérêts de classe indépendants – la défense des emplois, du niveau de vie et des droits démocratiques, et la lutte contre la guerre impérialiste.