SwissLeaks : le scandale HSBC livre ses secrets au niveau planétaire 10 février 2015 | Par Agathe Duparc et Dan Israel Mediapart
Dérobés à Genève en 2008 par Hervé Falciani, les fichiers HSBC Private Bank commencent à vraiment parler. L'opération SwissLeaks, lancée par Le Monde et d'autres médias internationaux, montre les liens de la banque avec la grande criminalité organisée. Le discours des autorités helvétiques sur la grande efficacité de l’outil législatif anti-blanchiment mis en place à la fin des années 1990 est en ruines.
C'est le plus grand déballage bancaire de l’histoire : les données de 106 458 clients ou intermédiaires liés à 59 802 relations bancaires chez HSBC Private Bank entre 2006 et 2007, pour un total de 180 milliards de dollars, sont tombées entre les mains d'un pool de journalistes. Cette masse considérable de documents permet pour la première fois de passer au crible le fonctionnement, les magouilles et les secrets de l’une des plus grandes banques de la planète. Cette fois-ci à l’international, puisque jusqu’ici l’essentiel des révélations avaient été faites sur le volet français du scandale HSBC et sur les listes de contribuables français indélicats dérobées en 2008 par l’informaticien Hervé Falciani à l’origine de la gigantesque fuite. Une affaire qui a valu à la banque d'être mise en examen à Paris en novembre dernier.
L’opération SwissLeaks, publiée notamment dans Le Monde et Le Temps, L’Hebdo, The Gardian, The Irish Times, Le Soir ou encore dans l'émission américaine “60 minutes” de CBS, a mobilisé les journalistes de 45 rédactions dans le mode entier, avec l'appui du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).
Cette enquête planétaire enfonce encore le clou sur les pratiques déjà largement documentées de cette machine à frauder le fisc qu’était HSBC Private Bank, la filiale genevoise de ce géant de la finance basé à Londres (lire par exemple nos enquêtes ici et ici). Mais bien plus, elle permet une plongée inédite dans des contrées inexplorées, en révélant comment la banque genevoise accueillait l’argent de narcotrafiquants, de présumés financiers du terrorisme, de trafiquants de diamants, de grands délinquants économiques, et de proches de potentats. Au mépris total des pseudo-procédures de contrôle interne (compliance) et de l’arsenal anti-blanchiment mis en place en Suisse depuis la fin des années 1990.
Ces dernières années, alors que le G20 et l’OCDE menaient une offensive contre les paradis fiscaux, l’accent a été mis sur les fraudeurs, individus ou multinationales. SwissLeaks vient rappeler que la grande criminalité, dont le chiffre d’affaires se compte en dizaine de milliards de dollars, utilise les mêmes circuits bancaires, les mêmes montages off-shore et sociétés-écrans.
Au chapitre des trafiquants de drogue, le Matin Dimanche a pu retrouver le nom d’Arturo del Tiempo « condamné à 7 ans et demi de prison pour avoir fait passer 1 212 kilos de cocaïne en Espagne ». « Les comptes de la société qui avait affrété ce transport étaient chez HSBC. En 2005, Arturo del Tiempo avait effectué plusieurs retraits en cash sans éveiller de soupçons de la banque : 55 000 euros le 25 mai, 50 000 dollars le 9 juin et 60 000 euros le 28 décembre, peut-on lire dans sa fiche personnelle du système informatique », écrit le journal suisse.
Le milliardaire mexicain Carlos Hank Rhon, frère de l’ex-maire de Tijuana, ville frontalière des États-Unis ravagée par la guerre entre les narco cartels, faisait aussi partie des clients de la banque genevoise, alors qu'il est identifié par les autorités américaines comme un baron de la drogue. En 2012, HSBC a été condamné aux États-Unis à une amende de 1,9 milliard de dollars, notamment pour de « graves carences » en matière de diligence. Entre 2007 et 2008, sa filiale mexicaine avait transféré 7 milliards de dollars vers les États-Unis, des fonds appartenant en partie à des cartels mexicains de la drogue.
Dans les données HSBC, les trafiquants de diamants ne sont pas non plus en reste. Parmi les clients : le Libanais Emmanuel Shallop, « condamné pour avoir trafiqué et revendu pour 49 millions de dollars des diamants du sang pour des dirigeants du Front révolutionnaire uni en Sierra Leone ». Il disposait en 2006 de 2,9 millions de dollars chez HSBC. En 2001, il avait été mis en cause dans un rapport public du Conseil de sécurité de l’ONU. Le quotidien Irish Times publie quant à lui une enquête sur Erez Daleyot, un magnat du diamant israélo-belge qui disposait de plus de 38 millions de dollars sur des comptes ouverts au nom de sociétés enregistrées aux îles Vierges britanniques. Il est aujourd’hui visé par une enquête belge pour blanchiment d’argent et évasion fiscale. L’examen des listes HSBC a permis d’identifier quelque 2 000 professionnels du diamant qui ont des partenaires ou une réputation troubles ou sont sous enquête. Les journalistes de SwissLeaks racontent comment la banque a longtemps servi de coffre-fort aux diamantaires anversois. Avant de les expulser sans ménagement en 2013, quand le fisc et la justice belge ont lancé des enquêtes.
« En 2009, peu après avoir obtenu les données d’Hervé Falciani, les autorités françaises ont cherché à savoir combien il y avait de comptes liés à des criminels présumés chez HSBC Private Bank à Genève. Rien que sur les 2 956 noms de Français dans les fichiers, 120 correspondances avaient été trouvées avec les différentes bases de données de la police nationale et d’Europol », écrit le Matin Dimanche.
La banque genevoise n’a pas non plus fait preuve de prudence sur le volet du financement du terrorisme. Elle a accueilli sans sourciller de riches Saoudiens soupçonnés aux États-Unis d’avoir financé Ben Laden – le fameux réseau financier présumé du terrorisme « Golden Chain ». L’un deux disposait en 2006 de 70 millions de dollars sur son compte...