Quand Bill Gates finance des « super bananes » OGM Par Sophie Chapelle Bastamag
Fin de la success story pour la banane génétiquement modifiée riche en vitamine A ? Depuis 2005, une équipe de scientifiques australiens de la Queensland University of Technology s’attelle à développer des bananes OGM à forte teneur en vitamine A. La recherche est financée à hauteur de 15 millions d’euros par la fondation Bill Gates, l’homme le plus riche du monde en 2014. « Nous cherchons à augmenter le niveau de pro-vitamine A (...) afin d’améliorer significativement l’état de santé des consommateurs de bananes africains », explique en juin 2014 le professeur James Dale [1].
Cette carence entraîne chaque année la mort de plus de deux millions de personnes, principalement des enfants [2]. L’objectif annoncé est de promouvoir les bénéfices nutritionnels de cette banane dans les pays tropicaux en commençant par l’Ouganda, l’Inde, le Kenya, la Tanzanie et le Rwanda. Les deux premiers pays visés étant aussi les plus gros producteurs de bananes au monde, l’affaire pourrait se révéler juteuse.
Une variété de banane biopiratée
Si les bananes ougandaises sont pauvres en bêta-carotène, des variétés en Papouasie Nouvelle Guinée, à 13 000 kilomètres, en contiennent beaucoup. C’est notamment le cas de l’Asupina, une variété contenant 25 fois plus de provitamines A que la banane Cavendish, variété la plus commercialisée au monde. Pour créer la banane OGM, l’équipe de chercheurs australiens a donc inséré un gène d’Asupina dans le génome des bananes des hauts plateaux ougandais [3]. La banane génétiquement modifiée riche en vitamine A ne relève t-elle pas, dès lors, d’un cas clair de biopiraterie ? (lire tous nos articles)
« L’Asupina originale, collectée il y a 25 ans en Papouasie Nouvelle-Guinée, et détenue depuis par le Département de l’Agriculture de l’État du Queensland, est en fait propriété légitime d’une nation et des communautés qui l’ont développée », estime la revue britannique The Ecologist. Dans le cadre d’un programme dénommé « consommons local », l’ONG Island Food Community of Pohnpei a publié un poster montrant des photographies de 15 variétés de bananes à chair jaune riches en carotène et rappelant les bénéfices nutritionnels liés à leur consommation. L’une des variétés, la « Karat », est si populaire qu’elle est devenue l’emblème national des États Fédérés de Micronésie et figure sur les timbres postaux. Si la fondation Gates veut véritablement pallier aux carences en vitamine A de l’Ouganda, ne pourrait-elle pas promouvoir la culture des variétés de bananes rouges déjà existantes ?
Des « super bananes » testées sur des volontaires
Fin 2014, l’équipe de recherche sur la banane OGM annonce l’autorisation de tests pour l’alimentation humaine. Récoltées en Australie, les « super bananes » doivent être transportées aux États-Unis, afin d’être testées par douze patientes volontaires américaines, payées 900 dollars chacune. En décembre, plus de 120 organisations membres de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique s’opposent à ces tests, dans une lettre ouverte à la Fondation Gates [4]. « La promotion d’un aliment de base génétiquement modifié riche en vitamine A risque de perpétuer des régimes alimentaires monolithiques, la cause même des carence en vitamine A, souligne Mariam Mayet, membre de l’Alliance. Ce dont nous avons besoin c’est de la diversité de nos plantes et les connaissances associées. »
Si la réponse à cette lettre se fait toujours attendre, James Dale a annoncé début janvier que les tests étaient repoussés, le matériau n’étant pas conforme aux normes de qualité. « C’est un défi d’expédier des bananes depuis l’Australie jusqu’aux États-Unis et qu’elles arrivent en bon état », explique t-il. Un argument qui intrigue Mariam Mayet, alors même que des bananes sont régulièrement expédiées chaque jour sur de longues distances. Ce n’est pas la première fois que les scientifiques se tournent vers les OGM pour résoudre des problèmes de carence alimentaire. En 1999, une équipe a présenté une variété de « riz doré » également enrichie en pro-vitamine A grâce à une modification génétique. Dix ans plus tard, un groupe de scientifiques et d’universitaires dénoncent des expériences sur le riz doré effectuées sur des enfants. A ce jour, le riz doré n’est pas commercialisé. Pour de nombreux opposants, la solution à la carence en vitamine A réside dans la diversification génétique des aliments, libres de tout droit de propriété intellectuelle.
Notes
[2] Source : Organisation mondiale de la santé