L’Iran et le P-6 – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne – ont annoncé jeudi qu’ils avaient finalisé les “paramètres” pour un accord qui «normalise» le programme nucléaire iranien.
Conclu après huit jours de négociations tendues, pendant lesquelles les États-Unis ont menacé à deux reprises de claquer la porte aux pourparlers, l’accord de jeudi constituera la base pour un accord final à conclure avant le 30 juin.
Si les négociations parviennent à un accord final, ceci constituerait un changement majeur dans les relations américano-iraniennes, forçant l’Iran à s’aligner plus directement sur les opérations de Washington au Moyen-Orient. L’accord impose des restrictions onéreuses sur l’Iran, tout en maintenant la possibilité d’une reprise à tout moment de la poussée de Washington vers une guerre.
La fiche d’information émise par Washington concernant les paramètres de l’accord stipule que « les détails de leur mise en œuvre sont encore à négocier » et que « rien n’est accepté tant que tout n’est pas accepté ». Elle détaille aussi de larges concessions de la part du régime bourgeois-clérical iranien. Téhéran accepte de :
* se soumettre à l’inspection la plus intrusive de l’histoire de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Les inspecteurs de l’AIEA auront carte blanche à perpétuité pour entrer dans n’importe quel site « suspect ».
* réduire considérablement sa capacité d’enrichir de l’uranium et ses stocks d’uranium enrichi. Pendant dix ans, l’Iran ne pourra faire fonctionner que 5.060 de ses 19.000 centrifugeuses. Elles doivent être «de première génération», c’est-à-dire extrêmement lentes.
*démanteler une grande partie de son infrastructure nucléaire civile. Le coeur du réacteur à Arak, site du réacteur de recherche à eau lourde de l’Iran, doit être « détruit ou retiré du pays» et l’installation reconstruite de manière à empêcher la production de plutonium de qualité militaire.
Les sanctions brutales des États-Unis et de l’UE, qui ont réduit de moitié les exportations de pétrole de l’Iran depuis 2011 et exclu le pays du système bancaire mondial, seront « suspendues », non pas définitivement supprimées. En outre, leur suspension ne commencera que lorsque l’Iran aura mis en oeuvre toutes les parties de l’accord qui sont immédiatement applicables. Si à n’importe quel moment, les États-Unis ou l’UE déclarent que l’Iran n’a pas respecté un aspect de l’accord, les « sanctions seront tout de suite remises en place ».
Téhéran devra remplir des conditions encore plus onéreuses avant que les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sur le dossier nucléaire ne soient levées. L’Iran devra non seulement mettre en œuvre toutes les «étapes clés nucléaires» énumérées ci-dessus, mais « répondre aux préoccupations de l’AIEA sur les dimensions militaires potentielles » (PMD) de de son programme nucléaire. Les États-Unis ont utilisé cette manoeuvre contre Saddam Hussein, lui demandant de prouver que l’Irak n’avait pas d’armes de destruction massive, avant d’envahir son pays.
Même si la question des PMD était résolue à la satisfaction de l’AIEA, un organisme dominé par les Etats-Unis et ses alliés, les Résolutions sur la sécurité de l’ONU qui ciblent l’Iran ne seront en réalité pas plus éliminées que les sanctions économiques des États-Unis et de l’UE. Téhéran a accepté que les «dispositions fondamentales des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU », qui limitent l’accès de l’Iran à des « technologies sensibles » et prévoient une série de mesures punitives, seront intégrées dans une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
Si un «processus de règlement des différends » qui reste à définir ne suffit pas à régler une plainte formulée par un pays du P-6 contre l’Iran, la voie sera ouverte, en vertu de l’accord, pour la réintroduction de toutes les sanctions précédentes de l’ONU.
L’accord conclu hier a été annoncé à Lausanne par le responsable de la Politique étrangère de l’Union européenne, Federica Mogherini, et le ministre des Affaires étrangères de l’Iran, Javad Zarif. Cependant, le président américain Barack Obama s’est rapidement attribué le rôle principal.
Lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche tôt le jeudi après-midi, Obama a vanté l’accord comme un énorme triomphe diplomatique pour les Etats-Unis, soulignant que l’Iran avait été rappelé à l’ordre par les « sanctions les plus sévères de l’histoire ».
Il a aussi souligné que si les « paramètres » ne devenaient pas un accord final acceptable aux États-Unis, ou si l’Iran devait enfreindre à n’importe quel élément de l’accord final, « toutes les options » seraient envisageables. C’est un euphémisme préféré de Washington pour dire n’importe quelle action punitive est possible, y compris une guerre.
S’adressant à des sections de l’establishment politique qui s’opposent à un compromis avec l’Iran, ce qui inclut quasiment tout le Parti républicain et beaucoup de ses camarades démocrates, Obama a fait valoir que la seule alternative réaliste était «une autre guerre au Moyen-Orient ».
Il a tout fait pour rassurer les alliés traditionnels des Etats-Unis au Moyen-Orient, Israël et l’Arabie Saoudite. Il a annoncé qu’il inviterait les dirigeants du Conseil de coopération du Golfe mené par l’Arabie saoudite à un sommet à Camp David. Ensuite, il a appelé le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou pour dire qu’ « il n’y a pas une feuille d’un papier à cigarette qui nous sépare quand il s’agit de notre soutien à la sécurité d’Israël et nos préoccupations au sujet des politiques de déstabilisation de la part de l’Iran. »
De son côté, le gouvernement iranien revendique également la victoire. Zarif a déclaré que l’accord démontre que le peuple iranien « ne cèdera jamais à la pression ». En fait, la bourgeoisie iranienne, assommée par les sanctions contre de l’Iran et terrifiée à l’idée d’un affrontement avec la classe ouvrière, cherche désespérément un rapprochement avec l’impérialisme américain et européen.
L’élite dirigeante des États-Unis et ses médias dénoncent « l’agression » iranienne et son manque de respect pour la loi internationale. Quelle hypocrisie !
C’est les États-Unis qui mènent une campagne acharnée contre l’Iran depuis que la révolution de 1979 a renversé le régime tyrannique du Shah pro-américain. Washington a soutenu et armé l’Irak pendant la guerre Iran-Irak, imposé un embargo pendant plusieurs décennies, fréquemment menacé l’Iran d’attaque militaire, et mené une guerre secrète contre le programme nucléaire de l’Iran impliquant la cyber-guerre et, en collaboration avec Israël, l’assassinat de scientifiques iraniens.
Alors que les Etats-Unis menacent sans cesse l’Iran d’une guerre s’il ne démontre pas à leur satisfaction le caractère pacifique de son programme nucléaire, ils ferment les yeux à l’arsenal nucléaire israélien.
La recherche d’un compromis avevc l’Iran par Obama a provoqué la colère des alliés traditionnels des Etats-Unis au Moyen-Orient. L’establishment militaro-sécuritaire et politique américain le conteste âprement.
Netanyahou, qui à l’instar des cheikhs pétroliers saoudiens craint qu’un rapprochement entre les États et l’Iran n’affaiblisse son influence, s’est immédiatement insurgé contre l’accord. «Cet accord », a-t-il dit, « légitimerait le programme nucléaire de l’Iran, renforcerait l’économie de l’Iran, et augmenterait l’agression et la terreur de l’Iran au Moyen-Orient et au-delà ».
De même, le Parti républicain a promptement dénoncé l’accord. Le sénateur de l’Illinois Mark Kirk a affirmé, «Neville Chamberlain a obtenu davantage d’Adolf Hitler », et le sénateur d’Arkansas Tom Cotton a décrit l’accord d’hier comme « une liste de concessions dangereuses qui mettra l’Iran sur la voie de l’arme nucléaire ». Cotton a écrit une «lettre ouverte » signée par 47 sénateurs à l’Iran pour souligner que tout accord conclu par l’administration Obama pourrait être désavoué par le Congrès ou un futur président.
Le sénateur Bob Corker, le président du Comité des relations étrangères du Sénat, a déclaré qu’il mettrait au point une loi obligeant le Congrès à approuver tout accord final avec l’Iran avant qu’il n’entre en vigueur.
Obama et ses critiques partagent le même objectif stratégique de base, c’est à dire, la consolidation de l’hégémonie américaine au Moyen-Orient et sur le monde entier. Ils ne diffèrent que sur les tactiques à employer en ce qui concerne l’Iran dans la poursuite de cet objectif.
Alors que des guerres américaines à répétition ont dévasté le Moyen-Orient, et qu’une alliance tacite unit déjà Washington et Téhéran contre l’Etat islamique en Irak, Obama calcule que le régime iranien peut l’aider à stabiliser la région sous domination américaine. De plus, les partisans d’un accord avec l’Iran calculent que si ce pays riche en pétrole réintègre l‘orbite stratégique de Washington, ceci renforcera considérablement la position des Etats-Unis dans leur confrontation avec leurs adversaires les plus importants, la Russie et la Chine.