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Le coup de pouce de Paris aux meurtriers de neuf soldats français (Canard Enchaîné)

par Le Canard Enchaîné 29 Avril 2015, 18:01 France Côte d'Ivoire Bouaké Bombardements Chirac Villepin Alliot-Marie Articles de Sam La Touch Françafrique

Le coup de pouce de Paris aux meurtriers de neuf soldats français (Canard Enchaîné)
Le coup de pouce de Paris aux meurtriers de neuf soldats français
Le Canard Enchaîné du 29 avril 2015

L'ordre de laisser filer les pilotes responsables du bombardement qui a coûté la vie à neuf soldats français en 2004 à Bouaké (Côte d'Ivoire) est venu de Paris. Il a fallu onze ans à la justice pour que cette effarante conclusion, subodorée par les enquêteurs chargées de faire la lumière sur ce massacre devienne une certitude. Si elles ne révèlent pas le pourquoi de cette décision ni le nom des auteurs, les auditions recueillies en février par la juge Sabine Kheiris, responsable du dossier, ne laissent plus de doute : sans un coup de pouce de l'Hexagone, les criminels seraient aujourd'hui à l'ombre et auraient peut-être parlé.

Petit retour en arrière. A la suite d'une tentative de coup d'Etat ratée contre le président Gbagbo, en septembre 2002, des rebelles s'emparent de la moitié nord du pays. Inquiet pour ses ressortissants sur place, Paris déploie en toute hâte l'opération "Licorne" et gèle les positions des belligérants. Mais, au tout début de novembre 2004, alors que la "réconciliation nationale" espérée par Chirac est au point mort, Gbagbo ordonne à son armée de reprendre Bouaké, fief des rebelles. Ni Paris, Ni l'ONU ne bronchent.

Le 6 novembre 2004, coup de théâtre : deux Sukkhoi de l'armée ivoirienne, pilotée par des Biélorusses, lâche un panier de roquettes sur une position française à Bouaké, faisant dix morts, dont neuf soldats de "Licorne" et une quarantaine de blessés. Paris riposte en détruisant toute l'aviation ivoirienne. De violents affrontements éclatent aussitôt à Abidjan. Pris à parti par les jeunes Patriotes, partisans de Gbagbo, 8000 ressortissants français sont évacués du pays en catastrophe.

Guerre de ministres

Quelques jours plus tard, un groupe de mercenaires slaves (dont les pilotes), identifiés au préalable par les barbouzes français, est arrêté alors qu'il tente d'entrer au Togo voisin. Mais, malgré les demandes répétées du ministre togolais, la France fait la sourde oreille. Soulagée, les mercenaires s'envolent; on ne les verra plus. Et les mandats d'arrêt lancés par la justice sont restés lettre morte.

Qui a décidé de ne pas répondre, et pourquoi ce refus de faire la lumière ? Entendu, ces dernières semaines, par la juge Sabine Kheris, les responsables de l'époque à l'Elysée, au Quai d'Orsay, à la Défense, et au sein de l'armée se refilent la patate chaude. Ex-conseiller de Michèle Alliot-Marie à la Défense, David Sénat commence par contredire sa ministre, qui affirmait que la loi française ne permettait pas d'appréhender et d'interroger les mercenaires.

Puis, il lâche : "C'est du ministère de l'intérieur que dépendait la bonne fin de l'enquête en cours ou pas." Autrement dit, de Dominique Villepin. Entendu en 2008, celui-ci avait expliqué qu'il n'avait pas été prévenu par ses services de l'arrestation des barbouzes au Togo car il s'agissait d'une affaire mineure...

Face à la juge Khery, Nathalie Delapalme, ancienne conseillère afrique de Villepin au Quai d'Orsay (2002-2004), dédouane, elle, son boss et dévie le tir sur le Château : "c'est la cellule afrique de l'Elysée avec Michèle de Bonnecorse, qui était déterminant après le départ de Villepin (du Quai). " Interrogé par la juge, le 13 avril, Michel de Bonnecorse, ancien patron de la cellule afrique de l'Elysée sous Chirac, assure pourtant n'avoir rien su des mercenaires au Togo.

"Secret-défense" d'ivoire

Delapalme poursuit, à propos du bombardement de Bouaké : "Je ne crois pas que cela vienne du gouvernement ivoirien". De qui, alors ! Quelqu'un, à Paris ou à Abidjan, aurait-il voulu tendre un piège à Gbagbo pour mieux le faire chuter ? C'est la thèse que soutient l'avocat d'une partie des familles, Jean Balan. La provocation, normalement inoffensive, aurait mal tournée, les soldats français se trouvant au mauvais endroit au moment où les avions auraient lâché, sur ordre, des missiles ...

Ex-patron de la force française "Licorne", le général Henri Poncet, dégoupille à son tour, devant la juge, contre Paris : "J'ai appris que les pilotes avaient été interpellés au Togo et que la justice française les avait refusés. Les trois canaux qui sont intervenus sont Monsieur de Villepin, pour le ministère de l'intérieur, les ministères des Affaires étrangères et de la Défense." Pourquoi ? Il penche pour un coup fomenté par le "clan extrémiste ivoirien" et d'ajouter : "certaines personnes (en France) n'avaient pas du tout envie que ces mercenaires soient interrogés car, interrogés, en donnant, implicitement ou explicitement, le feu vert (de la contre-offensive) à Gbagbo, ils ont participé à la mort des soldats."

Quelques certitudes et un bel éventail d'hypothèses, de mensonges, d'obstruction et de non dit (couvert par le "secret-défense", appliqué, notamment, aux documents concernant les pilotes)...La France déploie un zèle remarquable pour confondre les meurtriers de neuf de ses militaires.

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