Deux opposants au barrage de Sivens étaient jugés jeudi à Toulouse, accusés d’avoir fracturé la main d’un gendarme en septembre dernier. Mais la scène avait été filmée, et la vidéo montre que le gendarme en question a été frappé par… un de ses collègues. Reporterre publie la vidéo : à vous de juger.
Toulouse, correspondance
« Madame la greffière, est-ce que la mécanique marche bien ? » De sa voix chevrotante, la présidente du tribunal s’enquiert auprès de la magistrate du bon fonctionnement de la vidéo. « Il faut mettre le cd-rom ! » insiste celle qui doit juger Yannick et Gaëtan. Ceux-ci sont accusés de « violences volontaires sur des dépositaires de l’autorité publique ». Durant de longues minutes, la salle d’audience a les yeux rivés sur les écrans où défilent au ralenti les images de l’arrestation des deux manifestants le 15 septembre dernier.
Ce jour-là, les deux habitants du Tarn arrivent sur la ZAD du Testet un peu avant 9 heures du matin. Sensibles à la cause, ils sont venus en voisins, pour prêter main forte aux zadistes qui tentent d’empêcher l’avancée des engins de chantier. Dans un nuage de gaz lacrymogènes, ils sont repoussés par un cordon de gendarmes du PSIG (Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie) avant d’être bloqués aux abords du Tescou, le petit cours d’eau qui traverse la zone humide.
Une quinzaine de personnes sont venues soutenir Yannick et Gaëtan devant la cour d’appel de Toulouse.
« Tout était calme au début », explique Gaëtan. Le charpentier de 35 ans s’accroche nerveusement à la barre du tribunal. « Ensuite tout s’est passé si vite, je ne me souviens que des coups que j’ai reçus. » Condamné à deux mois de prison avec sursis, il est accusé d’avoir agrippé l’un des gendarmes présents : « C’est faux », répond-il. « Je me suis juste mis devant, parce qu’ils venaient de casser la caméra d’un manifestant. »
Cette séquence ne figure pas dans la vidéo de l’interpellation des deux opposants. Elle débute au moment précis où Gaëtan, en sweat à capuche marron, est frappé de coups de matraque télescopique. Au milieu de la mêlée, un autre opposant vêtu d’un sweat marron mais affublé d’une casquette blanche apparaît à l’écran, il s’agit de Yannick.
« Je suis venu porter secours à mon ami, la violence ce n’est pas dans ma culture », se justifie l’ouvrier en bâtiment de 42 ans dont le casier judiciaire est aussi vierge que celui de son collègue. Originaire de Lorraine, il raconte ce qu’il a vécu de son accent gouailleur sous le regard appuyé de la juge. « J’ai été jeté à terre et frappé au thorax. Ensuite je n’ai plus bougé. » Evacués manu militari par un groupe de gendarmes, les deux opposants sont ensuite tous deux emmenés en garde à vue.
– Voir la vidéo au ralenti de l’arrestation de Gaëtan et Yannick :
Jugé en comparution immédiate le 19 septembre dernier, Yannick est condamné à cinq mois de prison avec sursis : il aurait fracturé la main du gendarme qui s’est porté partie civile. Fracture due à un coup de pied qui a occasionné 45 jours d’arrêt de travail (ITT). Gaëtan lui, a écopé de deux mois de prison avec sursis lors de cette première audience où la vidéo amateur avait pourtant été visionnée par le tribunal. « Mais la vidéo en vitesse réelle, qui ne dure que quelques secondes, est trop confuse », précise Eric Soulans, l’avocat de Yannick.
– Voir la vidéo à vitesse réelle :
Cette vidéo a été tournée par David, qui vit à une dizaine de kilomètres de la ZAD. Fortement impliqué dans la lutte contre le barrage, et « devant le déploiement de force démesuré mis en place par les autorités », il se rend en septembre 2014 tous les jours sur le site, muni d’une petite caméra. Cité comme témoin, il raconte ce qu’il a vu et ce qu’il a filmé : « J’ai entendu gueuler à ma droite, j’ai vu une mêlée se former. Et j’ai surtout été choqué de voir un gendarme frapper quelqu’un qui était à terre. Un gant de sécurité a volé et le gendarme qui plaquait Yannick a fait une drôle de grimace. »
Si l’image à vitesse réelle est chaotique, on découvre dans la version au ralenti un gendarme muni d’un flashball donner plusieurs coups à Gaëtan, lequel est maintenu au sol par le militaire blessé. « On voit le coup de pied ! » s’écrie un soutien aux opposants depuis le fond de la salle.
– Voir la vidéo au ralenti :
« Au moment précis où le gendarme reçoit un coup de pied, on voit bien que c’est un autre gendarme qui le frappe involontairement », martèle Claire Dujardin, l’avocate de Gaëtan. « Il est donc impossible que l’opposant ait donné un coup. On voit clairement que les gendarmes se sont blessés entre eux. » Pour les avocats des opposants qui plaident la relaxe, la vidéo tournée par David constitue une preuve flagrante et essentielle permettant de contredire les procès verbaux déposés par les gendarmes. En tout, cinq témoignages de militaires ont été déposés contre les deux Tarnais.
Claire Dujardin, l’avocate d’un manifestant mis en cause, montre la vidéo dans son cabinet toulousain.
Sagement assis sur son banc, le gendarme blessé à la main affirme ne pas être en mesure de se reconnaître dans la vidéo. « Mais vous faites bien partie du PSIG, et tous n’ont pas votre carrure ! » s’exclame Maître Soulans qui identifie formellement le gendarme costaud comme celui qui porte un sac à dos sur la vidéo.
Une vidéo à laquelle l’avocate des militaires n’accorde aucun crédit : « Je ne pense pas que l’on puisse en tirer des arguments dans le sens où cette vidéo ne démontre absolument pas ce qu’ils disent car l’agression a eu lieu avant », s’entête Françoise De Angelis. L’explication ne convainc pas l’avocat général. Il demande la relaxe de Yannick en invoquant des « doutes » après le visionnage de la vidéo.
Maître Françoise De Angelis, avocate des gendarmes affirme : « On ne peut pas tirer d’arguments de la vidéo ».
« Ce sont des victimes, mais qui ont été condamnées et considérées comme des responsables de cette violence », s’indigne Ben Lefetey. Le porte-parole du Collectif pour la zone humide du Testet constate : « Leur première condamnation était politique. A ce moment, les autorités n’arrêtaient pas de dire qu’il y avait des manifestants violents. Ils avaient besoin d’un exemple. »
Pour Ben Lefetey (à droite), porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, les premières condamnations de Yannick et Gaëtan étaient avant tout politiques.
Yannick et Gaëtan ont effectivement été les premiers opposants condamnés pour violences sur les forces de l’ordre. Les premiers d’une longue liste qui n’a fait que s’allonger au fur et à mesure de l’escalade des violences policières sur la ZAD du Testet avant le décès de Rémi Fraisse le 25 octobre dernier.
Tir de flash-ball à bout portant
A la fin de la vidéo amateur, on distingue le gendarme au flashball tirer sur un manifestant. La balle frappe les testicules de plein fouet. Une plainte a été déposée et l’enquête suit son cours. Selon l’extrait de cette vidéo, il a été tiré à moins de quatre mètres alors que légalement les forces de l’ordre doivent respecter pour ces tirs une distance minimale de sept mètres.
– Voir la vidéo du tir de flashball :
L’utilisation de ce type d’armes avait fait débat lors de la commission parlementaire sur le maintien de l’ordre présidée par Noël Mamère. Le gendarme au flashball qui a donné un coup à son collègue sera-t-il inquiété ? Rien n’est moins sûr. La vidéo apportée par les opposants évitera-t-elle une erreur judiciaire et une condamnation pour Yannick et Gaëtan ? La décision a été mise en délibéré jusqu’au 1er juillet prochain.