Comment la France a cédé face au Maroc L'accord de coopération judiciaire est très vivement critiqué Par Lénaïg Bredoux Mediapart
Pour mettre fin à une brouille diplomatique sans précédent avec la France, le Maroc a exigé et obtenu un nouvel accord de coopération judiciaire, que l'Assemblée nationale examine à partir du mardi 16 juin. Il risque d'accorder l'impunité aux officiels marocains.
e sont trois petits articles qui tiennent en une page et que la France aurait bien voulu adopter en catimini. L’Assemblée nationale doit examiner à partir du 16 juin en procédure accélérée le « protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale » signée avec le Maroc. Ce texte, qui refonde la coopération judiciaire entre les deux pays, a été négocié pour mettre fin à la brouille provoquée par la convocation devant la justice française du chef du contre-espionnage marocain, accusé de torture. Il est très vivement critiqué par les associations de défense des droits de l'homme, les syndicats de magistrats et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) qui demande purement et simplement son retrait.
C’était en février 2014. Une juge parisienne apprend par un avocat qu’un des personnages les plus influents du Maroc, Abdellatif Hammouchi, le chef de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), se trouve à Paris. Elle souhaite l’auditionner : comme Mediapart l’avait à l’époque raconté, elle est en charge de la plainte déposée par Adil Lamtalsi pour torture, complicité de torture et non-assistance à personne en péril. Le chef de la DGST marocaine est nommément visé pour complicité de torture.
Abdellatif Hammouchi à la une du journal Tel Quel.
Les juges sont rarement informés de la présence sur le territoire de ces hauts fonctionnaires aussi puissants que discrets. Selon plusieurs sources, la magistrate décide vite, sans savoir la nature de l’adresse qu’elle transmet au commissariat de Neuilly-sur-Seine. Ce jeudi 20 février 2014, pas moins de sept policiers armés se rendent à la résidence de l’ambassadeur du Maroc en France, où le directeur de la DGST marocaine est supposé être. L’objectif ? Lui remettre une convocation à une audition. Hammouchi est apparemment absent. Le ministre de l’intérieur marocain, lui, s’y trouvait, pour une rencontre avec des journalistes. Les autorités marocaines sont furieuses.
Les canaux diplomatiques s’échauffent aussitôt. « C’était bien sûr légal mais cavalier sur la forme. Les Marocains sont montés très vite, très haut… », se souvient un diplomate. Dès le lendemain, l’ambassadeur de France au Maroc est convoqué par le ministère des affaires étrangères « pour lui signifier la protestation vigoureuse du royaume ». Le régime de Mohammed VI annule dans la foulée la conférence et tous les entretiens programmés quelques jours après à Rabat avec Nicolas Hulot, envoyé spécial officiel du président de la République pour la protection de la planète.
Les excuses du Quai d’Orsay n’y changeront rien. Le ministère français des affaires étrangères va pourtant jusqu’à prétendre pouvoir se mêler d’une affaire en cours, en écrivant : « En réponse à la demande des autorités marocaines, nous avons immédiatement demandé que toute la lumière soit faite, le plus rapidement possible, sur cet incident regrettable, dans l’esprit de l’amitié confiante qui lie la France et le Maroc. » Mais le régime marocain estime avoir été traité avec trop de légèreté. De son côté, François Hollande téléphone à Mohammed VI. « Ils se sont parlé pour dissiper tout malentendu et réaffirmer l’amitié très proche entre le Maroc et la France. Si affaire il y a eu, elle est close. Le malentendu a été levé », explique alors l’Élysée...