Voici un article (voir la traduction plus bas) du journaliste canadien, Jesse Staniforth, publié dans le Toronto Star et qui porte sur les conclusions de la Commission Vérité et Réconciliation concernant les traitements inhumains imposés aux Amérindiens du Canada durant toute la période du XXème siècle qui pourraient d'ailleurs tout à fait être rapprochés de la manière dont ont été traités les Arborigènes en Australie. Leurs enfants étaient envoyés de force dans des pensionnats qui avaient pour objectif de les isoler de leur famille, de détruire leurs traditions et leurs cultures pour les intégrer par l’assimilation à la culture dominante. Selon une expression devenue tristement célèbre, certains cherchaient à « tuer l’Indien au sein de l’enfant ».
Après six ans de travaux pendant lesquels environ 7000 victimes et responsables de pensionnats autochtones ont livré leurs témoignages, la Commission a déposé mardi ses conclusions sur ce chapitre sombre de l'histoire du Canada. Entre la fin du 19e siècle et 1996, plus de 150 000 enfants autochtones ont été arrachés à leur famille et placés dans des pensionnats, pour la plupart sous l'égide de différentes communautés religieuses. Quelque 3200 enfants y sont morts - pour la plupart avant 1940 - de diverses maladies, dont la tuberculose. Les conditions sanitaires y étaient telles que le taux de mortalité était près de cinq fois plus élevé qu'au sein du reste de la population. (Source)
Cette Commission a abouti à la conclusion que la politique canadienne à leur égard constituait "un "génocide culturel" sans préconiser la moindre réparation financière aux victimes d'ailleurs. L'auteur critique le terme "culturel" qui lui semble trop réducteur au regard de la gravité des faits et de la politique menée au Canada. Toutefois, il est à noter que cette Commission Vérité et Réconciliation passe sous silence l'extermination physique des Amérindiens du XVIème au XIXème siècle (au Canada comme aux Etats-Unis ou en Australie pour les Arborigènes*) lors de la conquête coloniale du pays ainsi que la spoliation de leurs biens et de leurs terres : les survivants étant parqués dans des réserves les privant de la majorité de leur espace et lieu de vie usuelle. A partir du XXème siècle, leurs enfants seront envoyés de force dans des internats. La CVR ne traite que de cet aspect et conclu à un "génocide culturel".
* En Tasmanie, les Arborigènes ont été complètement exterminés par les colons britanniques.
Génocide culturel ? Non, le Canada a commis un véritable génocide Article originel : ‘Cultural genocide’? No, Canada committed regular genocide Par Jesse Staniforth Toronto Star Traduction SLT
Une question hautement controversée porte sur la conclusion de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) qui affirme que le gouvernement du Canada a commis un «génocide culturel» contre les peuples autochtones à travers le système de pensionnat des Amérindiens (IRS : Indian Residential Schools).
Le mot «culturel» semble suggérer que ce système a été conçu pour détruire les cultures, mais pas les gens, un fait loin de la réalité de ces pensionnats. «Culturel» est un adjectif civilisateur : nos politiques n'étaient pas foncièrement méchantes, mais profondément erronées.
Déjà ce terme étrangement diplomatique a été un point sensible pour nombre de gens qui ne veulent pas admettre que notre pays a commis une sorte de génocide, même assoupli par un adjectif visant à en réduire la portée. Notre histoire doit faire ces critiques difficiles. Le système IRS, bien qu'il n'avait pas vocation à tuer délibérément les membres des populations autochtones du Canada, a été pourtant actif dans les crimes suivants, dont chacun constitue un génocide en vertu de la convention de l'ONU sur le génocide (1948) (qui stipule que dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel, NdT, cf encart plus bas) :
(C) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
(E) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
Voici la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre 1948 Article II Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe; b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
Le Canada n'a pas déporté les populations autochtones dans des trains et ne les a pas envoyés dans des chambres à gaz, ou ne les pas envoyés marcher dans les champs en les exécutant avec des mitrailleuses. Toutefois, notre pays n'a pas commis un génocide «culturel», mais bel et bien un génocide dans toute l'acception du terme.
Nous avons pris de force des enfants à leurs familles - parfois à main armée - et les avons déportés à des endroits éloignés dont ils ne pouvaient pas s'échapper - parfois en leur mettant de minuscules menottes - où ils ont été soumis à un programme de travail forcé et «éducationnel» visant à détruire leurs cultures et leurs civilisations. Ce désir de détruire leurs cultures semble être la raison de l'utilisation de l'adjectif «culturel» utilisé associé au terme de génocide. L'autre raison, je suppose, est que certains s'accrochent fermement - et de manière infantile - à l'idée que le Canada a toujours été sur la voie de la bonté et de la justice, et ils trouvent qu'il est très difficile à accepter, admettre, et annoncer que nous sommes un pays qui a engagé un programme de génocide qui a duré pendant de nombreuses décennies.
Pourtant, les pensionnats étaient fondés sur l'idée que les enfants autochtones étaient moins humains que les autres enfants, de sorte qu'ils ont travaillé comme des animaux dans un travail d'esclave mandaté par de nombreuses écoles. Pour la même hypothèse de leur moindre humanité, les enfants dans ces systèmes de pensionnat (IRS) ont souvent été délibérément mal nourris et maintenus dans un confinement, dans des quartiers sales. Quand ils sont tombés malades à la suite de cette négligence et de ces mauvais traitements à caractère raciste, ils n'ont pas reçu de traitement médical adéquat et ils sont morts par milliers.
Le gouvernement du Canada était heureux de laisser ces enfants mourir parce qu'ils étaient des autochtones. Dans la première partie du siècle nous avons cessé de garder la trace de la façon dont de nombreux enfants sont morts : la commission a conclu que ce fut parce que cela donnait une mauvaise image du pays. Nous n'avons pas changer nos habitudes - nous avons juste fait en sorte de ne pas garder la trace des enfants que notre système a tué. Et quand les enfants autochtones mourraient, nous ne les avons pas souvent considérés comme assez humains pour informer leurs familles, pour enregistrer leurs caractéristiques socio-démographiques ou les causes de leur décès, ou pour marquer leurs tombes.
Quelle partie de cela semble assez civilisé pour qu'elle mérite d'être atténuée par l'adjectif «culturel» ? Je ne vais pas non plus parler de la violence sexuelle. Cela a été étroitement lié, mais ne faisait pas partie de notre politique d'Etat. Le reste constitue une politique de génocide.
En tant que journaliste canadien travaillant dans les médias autochtones, j'ai fait face au fait que l'histoire de ce pays est douloureuse et tragique. Mon grand-père a été décoré pour bravoure à la bataille de Vimy (Le mémorial de Vimy honore la mémoire des soldats canadiens morts en France pendant la Première Guerre mondiale, NdT) pendant que les enfants autochtones ont été enlevés sous la menace pour que leur culture soit détruite et qu'ils soient affamés. L'Histoire nationale est trop lourde et complexe à porter pour être aimer simplement.
Je ne suis pas attaché à mon pays au point de me contorsionner pour défendre notre histoire en niant ce génocide - et je voudrais demander à ceux qui le sont tant : comment la prise de conscience de la culpabilité de notre pays dans ce crime contre l'humanité va-t-elle changer votre relation avec cette nation, votre rapport à vous-même, et envers les peuples autochtones ?
À la clôture de la CVR, les faits du génocide canadien des peuples autochtones sont maintenant une partie du compte rendu officiel de l'histoire de ce pays, à la fois pour ceux qui souhaitent y faire face, et ceux qui souhaitent faire semblant que cela n'a pas existé. Ces faits ressortent et ne changeront pas, parce qu'ils appartiennent à notre passé. De nos jours, seuls les Canadiens peuvent changer - et devront changer - afin de reconnaître les faits honteux mais étayés de notre histoire.
Jesse Staniforth est un journaliste indépendant basé à Montréal et un collaborateur régulier du magazine The Nation, au service de Cree Nation of Eeyou Istchee et des communautés autour de la région de James Bay (un grand golfe prolongeant vers le Sud la baie d'Hudson au Canada. Elle est limitrophe des provinces de Québec et d' Ontario, NdT)