L’Allemagne reconnaît le génocide des Hereros et des Namas Par Nicolas Michel JAI
Une partie des plaignants, consultant le « Blue Book », à Westminster (Londres), le 9 juillet 2015. © Kalpesh Lathigrapour/J.A.
Le 10 juillet, pour la première fois, l'Allemagne a officiellement qualifié de "génocide" le massacre des peuples herero et namas perpétré sous ses ordres en Namibie en 1904 et 1905.
ls n’auront pas fait le voyage pour rien. A l’heure d’embarquer dans l’avion qui devait les ramener en Namibie, les représentants des Hereros et des Namas venus faire entendre leur cause en Europe ont appris une bien bonne nouvelle. Le 10 juillet 2015, cent ans tout juste après la fin de la domination coloniale allemande sur le Sud-Ouest africain, l’Allemagne a enfin reconnu le crime qu’elle y a commis, essentiellement entre 1904 et 1905.
Annonçant la préparation d’une déclaration conjointe avec la Namibie, le gouvernement d’Angela Merkel a tenu à préciser qu’il considérait que « la guerre d’extermination menée en Namibie entre 1904 et 1908 était un crime de guerre et un génocide ». Pour la première fois, ce terme est employé de manière officielle au plus haut sommet de l’État pour qualifier le comportement de la Schutztruppe emmenée par le général Lothar Von Trotha.
la population herero ayant été éliminée à 80 % tandis que la moitié des Namas étaient tués
Un comportement dont les plus atroces détails sont consignés depuis 1918 dans le Blue Book, rapport à charge commandé par le parlement anglais et dont une copie est toujours conservée à Westminster. Le « Report on the Natives of South-West Africa and their Treatment by Germany », rédigé en 1918 pour le Parlement du Royaume-Uni, contient plus de détails qu’il n’en faut pour démontrer que, sous les ordres du Kaiser, le général Lothar von Trotha entendait bien exterminer les deux peuples qui lui résistaient. Deux Vernichtungsbefehl (« ordres d’annihilation »), émis le 2 octobre 1904 et le 22 avril 1905, prouvent l’implacable volonté de génocide. Ils furent malheureusement suivis d’effets, la population herero ayant été éliminée à 80 % tandis que la moitié des Namas étaient tués.
Peu soutenus par leur propre gouvernement, les descendants des survivants ont décidé de venir directement plaider leur cause à Berlin, début juillet. Les demandes sont simples : une reconnaissance du génocide, des excuses officielles, le rapatriement des restes humains volés à des fins pseudo-scientifiques et, enfin, des négociations avec les autorités allemandes autour de la question des réparations.
Ils y ont été entendus par la gauche (Die Linke) qui a déposé une motion au Bundestag afin que le génocide soit reconnu. Peu de temps après, le 8 juillet, le président dudit Bundestag, Norbert Lammert (CDU), osait employer le mot « génocide ».
Prendre les choses en main pour faire valoir leurs droits
Le lendemain, en visite à Londres, la délégation namibienne se recueillait face au Blue Book.
Outre la consultation de l’ouvrage, l’escale londonienne avait un objectif prosaïque. « Le soutien de notre gouvernement est plutôt… nébuleux, a expliqué Katuutire Kaura, un ancien parlementaire. Ceux qui ont de l’influence ne sont pas ceux qui ont souffert. Nous avons décidé de prendre les choses en main, sinon il ne se passera jamais rien. » Prendre les choses en main, cela signifie s’adresser au cabinet d’avocats britannique Doughty Street Chambers, spécialiste des libertés individuelles et des droits de l’homme.
« Qu’on ne nous serve pas l’habituel argument colonial selon lequel un État souverain ne discute qu’avec un État souverain ! s’emporte Vekuii Rukoro. Qu’on ne nous dise pas que notre pays reçoit de l’aide au développement comme d’autres, qui n’ont jamais subi de génocide ! »
Un ultimatum a ainsi été fixé au 2 octobre 2015, date anniversaire de l’ordre d’extermination : l’Allemagne a moins de quatre mois pour s’asseoir à la table des négociations. Faute de quoi une procédure légale d’arbitrage serait mise en place. Elle vient déjà de franchir un premier pas. Les discussions sont désormais ouvertes et la question des réparations y sera centrale. Entre massacres, expropriations et autres exactions, le préjudice reste très difficile à quantifier, mais le chiffre de 1 milliard de dollars n’est pas exagéré pour le crime imprescriptible dont furent victimes Hereros et Namas.