Arrivé le 24 juillet dans la capitale kényane pour une tournée de quatre jours en Afrique orientale, Barack Obama y a mené des discussions avec le président Uhuru Kenyatta. Selon les médias, elles devaient porter sur la coopération économique et militaire entre Washington et Nairobi. Obama devrait aussi se rendre au siège de l’Union africaine dans la capitale éthiopienne Addis-Abeba.
Pour l’accueillir, on avait procédé à la plus grande mobilisation de forces de sécurité de l’histoire du Kénya; quelque 10.000 hommes furent déployés dans toute la capitale. Le président américain parcourut la ville dans une limousine lourdement blindée, dotée d’une protection antidéflagrante et connue des fonctionnaires du gouvernement kenyan comme « la bête ».
La réception militarisée d’Obama contrastait fortement avec les comptes-rendus romanesques de la presse américaine qui célébrait l’événement comme le retour du président au « pays de ses ancêtres. » En réalité, il est arrivé au Kenya avec un ordre du jour intéressé visant à consolider le contrôle américain sur ce pays stratégiquement important de l’Afrique orientale.
Dans la mesure où la visite d’Obama permet d’effectuer « le renforcement et l’affermissement de la relation des États-Unis avec l’Afrique, » comme l’a dit le 22 juillet Susan Rice, conseillère à la sécurité nationale, elle se traduira par le renforcement des activités de l’impérialisme américain en vue de militariser le continent tout entier.
Saluant la visite d’Obama comme une « étape importante dans l’approfondissement de relations bilatérales entre le Kenya et les États-Unis, » des universitaires kenyans affiliés à la Brookings Institution, une boîte à idées liée au Parti démocratique, ont demandé un plus grand engagement des États-Unis dans les opérations de « contre-terrorisme » dans la région.
« Le Kenya est un partenaire stratégique des États-Unis dans les initiatives de lutte contre le terrorisme en Afrique orientale et dans la Corne de l’Afrique, d’où la nécessité de développer des moyens plus novateurs pour contrecarrer les nouvelles menaces sécuritaires, » écrivent Paul Odhiambo et Manaseh Otieno.
« La coopération sécuritaire entre Nairobi et Washington comprenait jusque là le partage du renseignement, la formation du personnel de sécurité kenyan aux États-Unis, l’obtention de matériel et d’autres soutiens logistiques des Etats-Unis » notent-ils.
Nairobi recherche pour ses agences de sécurité un soutien financier accru des États-Unis et la négociation des modalités d’intégration du Kenya au bloc régional de sécurité soutenu par les USA, l’Initiative de gouvernance de sécurité (IGS). Il s’agit là d’un cadre établi l’an dernier au Sommet du leadership États-Unis-Afrique et permettant à Washington de renforcer son « engagement » dans l’armée et la police du Kenya, du Mali, du Nigeria, du Niger et de la Tunisie.
Le gouvernement Kenyatta se montre enthousiaste à l’égard d’un « rapprochement » avec l’impérialisme américain. Il a, depuis son accession au pouvoir, fait une publicité vigoureuse pour son adhésion à la « guerre mondiale contre le terrorisme ».
Kenyatta poursuit depuis son élection en 2013 une répression sécuritaire qui connaît une escalade et a imposé une série de nouvelles mesures autoritaires au nom de la lutte contre le groupe militant islamiste somalien al-Shabaab.
Le nouveau gouvernement a, selon la directrice du Centre pour les études stratégiques et internationales en Afrique, Jennifer Cooke, « organisé la répression grâce à des lois très étendues concernant les médias, la société civile et l’antiterrorisme, pour étouffer toute dissidence politique réelle ».
Kenyatta, fils de Jomo Kenyatta, le riche leader nationaliste bourgeois ayant dirigé le Kenya entre 1964 et 1978, semble prêt à intensifier la longue tradition de collaboration des gouvernements kenyans avec l’impérialisme occidental.
Le Kenya s’est montré un partenaire loyal dans la campagne de Washington pour maintenir son emprise stratégique sur la Corne de l’Afrique. En Somalie, il a lancé dans les années suivant la dissolution de l’Union soviétique d’innombrables interventions, des drones et des guerres par procuration dont l’occupation directe par ses forces terrestres de zones proches de Mogadiscio en 1992.
En 2011, l’armée kenyane a envahi la Somalie dans le cadre de l’« Opération Linda Nchi » avec le soutien des Etats-Unis. Cette mission, où des milliers de soldats sont intervenus en défense du gouvernement croupion de Mogadiscio soutenu par les États-Unis, était la première intervention étrangère de l’armée du Kénya.
Washington a également chargé le Kenya de gérer les dégâts collatéraux causés par ses machinations militaires dans la région. Nairobi administre à présent ce qui est devenu le plus grand camp de réfugiés du monde, à Dadaab, où près d’un demi-million de Somaliens ont été forcés de s’installer après avoir fui une guerre civile qui fait toujours rage de l’autre côté de la frontière.
Lors d’un entretien à la veille de son voyage, Obama a reconnu que « d’importantes violations des droits de l’homme ont lieu » au Kenya. Mais il a ajouté que Washington désirait néanmoins « avoir une conversation avec eux et les diriger dans une meilleure direction. »
Loin d’être préoccupé par la brutalité du gouvernement Kenyatta, Obama est allé en Afrique de l’Est comme représentant politique du capital financier américain. Son objectif est de faciliter des accords entre Nairobi et les intérêts économiques et sécuritaires américains dans la région dans des conditions où l’augmentation des investissements chinois en Afrique orientale et centrale dans l’extraction des ressources, les infrastructures et la production menace de saper la position de Washington.
La visite d’Obama fait partie d’efforts de la part de Washington pour contrer l’essor des relations commerciales chinoises avec l’Afrique, évaluée actuellement à plus de $220 milliards, somme trois fois supérieure à celle des États-Unis.
Obama l’avait suggéré le 22 juillet quand il a accusé la Chine d’« acheminer énormément d’argent en Afrique, essentiellement en échange de matières premières. »
« Le pivot » de Washington « vers l’Asie, » visant à encercler la Chine et à faire s’effondrer son gouvernement par la pression militaire et l’étranglement commercial, exige que Washington affronte de plus en plus la présence économique de Pékin en Afrique.
Les États-Unis sont en particulier préoccupés par les incidences de l’engagement chinois dans le développement économique autour du projet LAPSSET (Lamu Port Southern-Soudan Ethiopia Transport Corridor).
Dans le cadre d’un vaste plan de développement commercial sous leadership chinois dans la région, Pékin finance la construction d’un couloir ferroviaire et de transport visant à relier Nairobi à l’Ouganda, au Burundi, au Rwanda et au Sud-Soudan. Ce réseau de transport permettra aux entreprises chinoises d’acheminer les ressources extraites dans la région à travers l’océan Indien en utilisant les ports kényans de Mombasa et de Lamu.
Outre le développement d’une infrastructure commerciale à capitaux chinois au Pakistan, l’émergence de l’Afrique orientale comme important fournisseur de pétrole et d’autres ressources naturelles clés à l’économie chinoise menace de saper les plans de Washington d’un blocus naval de la Chine axé sur la mer de Chine méridionale.
Comme à chaque intervention américaine en Afrique, la dernière visite d’Obama vise à faire avancer l’agenda hégémonique de la classe dirigeante américaine: dominer l’ensemble du continent et s’en servir comme tremplin pour contrôler le continent eurasien et le monde.