Les perdants, les gagnants et l’impact énergétique de l’accord sur le nucléaire iranien Par Mohamed Benhaddadi El Watan Lu sur Le Mondialisation.ca
Ainsi donc, après 12 années de vive tension et 22 mois d’âpres négociations, l’accord entre l’Iran et les pays dits du G5 + 1 (Etats-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni & Allemagne) a été finalement paraphé. Cet accord historique est sans précédent puisqu’il a empêché un conflit majeur dans une région géographique névralgique, grâce à un compromis obtenu par un patient travail de négociations. Il faut dire que ces négociations ont tenu en haleine le monde entier, en particulier lors des derniers jours où le ton est plusieurs fois monté entre les négociateurs, dont on sait aujourd’hui que l’exaspération extériorisée était une manœuvre pour susciter des concessions. D’ailleurs, la veille même de la signature de l’accord, la twittosphère a bien raffolée de la réplique servie en plénière par le chef de la délégation iranienne: « Ne menacez jamais un Iranien! », suite à la menace proférée par les Européens de rentrer à la maison tous bredouille.
En résumé, l’accord signé prévoit une réduction de 2/3 du nombre de centrifugeuses iraniennes servant à enrichir l’uranium dont le stock a été drastiquement réduit et le taux de concentration limité à 3.67 %, garantissant ainsi un usage exclusivement civil du combustible. Les experts s’accordent à dire que, grâce aux limitations que cet accord permet, le temps de déclenchement (communément appelé breakout time, soit le temps requis à l’Iran pour fabriquer une bombe atomique advenant qu’elle veuille s’engager dans cette voie) est désormais au moins d’une année, alors que ce délai est actuellement de 2 à 3 mois. En échange, Le Conseil de sécurité des Nations Unies a été saisi, dans les jours qui ont suivi l’accord, d’une résolution pour annuler les résolutions précédentes contre le programme nucléaire iranien, alors que les sanctions américaines et européennes qui visent les secteurs des finances et de l’énergie seront levées dès que l’AIEA (agence internationale de l’énergie atomique) aura attesté de la mise en œuvre des engagements pris par l’Iran.
Le 1er gagnant de cet accord est incontestablement le peuple iranien, avide de libertés du fait des restrictions du régime des mollahs et qui a élu à la présidence un candidat modéré, Hassan Rohani, qui avait promis d’obtenir une levée des sanctions internationales. Il faut savoir que les indicateurs macro-socio-économiques du pays sont alarmants : le taux de chômage est de 30 % et le taux d’inflation de 35 %, alors qu’on assiste à une réduction du PIB car l’essentiel de l’économie repose sur la rente des hydrocarbures. Grâce à cet accord, les investisseurs étrangers vont de nouveau se bousculer aux portes de Téhéran, comme au bon vieux temps du honni Shah et les échanges commerciaux vont pouvoir reprendre de plus belle. À la faveur du rétablissement des transactions bancaires avec l’étranger, le prix des biens et matériels vont baisser, tout comme l’inflation. Cerise sur le gâteau, les caisses de l’État vont se remplir car les États-Unis et l’Europe devraient restituer les 100 à 150 milliards de dollars d’avoir iraniens gelés dans leurs banques. Preuve de cette effervescence, certains se dépêchent déjà pour rouvrir leur ambassade à Téhéran, alors que d’autres ont dès maintenant préparé les rendez-vous pour leurs délégations économiques et politiques dans une tentative de s’accaparer une part du marché de 78 millions de personnes. Dans cette course effrénée pour ce juteux marché perse, la Chine a pris une longueur d’avance sur ses rivaux commerciaux car elle est entretemps devenue le premier partenaire de ce pays, alors que l’entreprise énergétique PetroChina est en train de damer le pion à son homologue français Total à la double échelle iranienne et mondiale!
Le 2e gagnant de cet accord est le renforcement du multilatéralisme et de la légalité internationale. Moins d’une semaine après sa signature, le Conseil de sécurité de l’ONU l’a entériné, ouvrant ainsi la voie à la levée des sanctions internationales contre l’Iran. Rarement un consensus international n’a été atteint autant que dans ce dossier, ce qui montre que la diplomatie est la meilleure approche pour régler le problème du nucléaire Iranien.
Aussi, on ne l’a jamais dit assez et conformément au droit international, cet accord reconnaît de façon sans équivoque le droit pour l’Iran de développer une filière nucléaire civile. Il n’est pas inutile de rappeler que la position du monde occidental durant de nombreuses années, basée sur le « zéro enrichissement » et qui équivalait à demander à l’Iran de démanteler totalement ses centrifugeuses et de cesser toutes ses activités d’enrichissement, était la raison principale de l’échec des négociations antérieures. De même, cet accord est un compromis gagnant-gagnant puisqu’en échange de son engagement à réduire ses capacités nucléaires et à s’assurer de son usage exclusivement civil, Téhéran obtient le droit de poursuivre ses activités de recherche sur des centrifugeuses plus performantes.
Le 3e gagnant de cet accord sont la communauté internationale et, en particulier, les États-Unis dont le président avait obtenu dare-dare le prix Nobel de la Paix en 2009 juste pour ses belles paroles. En faisant preuve de patience et en gardant le cap jusqu’à obtenir cet accord et ce, juste quelques jours après la réconciliation avec Cuba, le président B. Obama marquera probablement l’histoire d’une nouvelle pierre blanche la fin de son 2e mandat. Si, dans le dossier proche-oriental, B. Obama a dû reculer et renier son discours du Caire, en revanche, il a été stoïque et convaincant dans son argumentation de l’accord signé, malgré les gesticulations et attaques du premier ministre israélien et des serviteurs du puissant lobby AIPAC (American Israel Public Affairs Committee). L’autre leçon à retenir de cet accord et qu’en parallèle, les adeptes de la théorie du complot judéo-chrétien contre le monde musulman sont définitivement confondus et laissés sans voie, alors que l’Iran peut être un partenaire plus qu’utile dans la lutte contre la bête immonde appelée état islamique.
L’accord sur le nucléaire iranien n’a pas fait que des heureux. Adversaire acharné à la conclusion de tout accord avec l’Iran, le premier ministre israélien B. Netanyahou a estimé qu’il s’agit d’une « erreur historique », ajoutant même que son pays n’était pas lié par l’accord conclu. Dans un passé récent, il a menacé maintes fois de bombarder les sites nucléaires iraniens. Mais, les experts s’accordent à dire que le recours à une action militaire est devenu désormais plus improbable que jamais et qu’Israël doit maintenant apprendre à vivre avec l’arrangement pris par les grandes puissances. De même, la désormais célèbre boutade « Ne menacez jamais un Iranien! » peut n’avoir pas été adressée juste au monde occidental.
Allié inconditionnel d’Israël, le Canada de Harper reste étrangement illisible dans sa position sur l’accord. Tout en saluant les efforts déployés pour arriver à cette entente, le ministre canadien des affaires étrangères a aussi pondu un communiqué brejnévien, déclarant « qu’il faut prendre toutes les mesures diplomatiques pour que ce pays n’acquière jamais la capacité d’utiliser des armes nucléaires…» Ces propos surréalistes dans le timing illustrent le profond déphasage qui existe entre la communauté internationale et le gouvernement conservateur canadien. Aujourd’hui, conséquence de cette dérive, bien des canadiens ne se sentent plus liés par la règle non écrite de ne pas critiquer le pays en terre étrangère.
Beaucoup s’interrogent également sur la position de la France lors de ces négociations que certains milieux iraniens ont accusé ouvertement de s’aligner sur les positions néoconservatrices américaines à l’époque du controversé Sarkozy dont les gesticulations tous azimuts ne peuvent compenser la réduction de plus en plus visible du poids de son pays sur la scène internationale. Il faut dire que la nouvelle ère Hollande n’est pas plus reluisante car il est accusé de surenchère et la « robustesse » de l’accord que la France officielle veut s’attribuer est de la poudre aux yeux, une gesticulation de fidélité à l’endroit des israéliens et, surtout, des saoudiens et de leurs faramineux contrats. Dans les faits, il est fondamental de comprendre que cet accord a été signé parce que les États-Unis et l’Iran le voulaient absolument, ce que prouvent amplement les multiples négociations en tête à tête Kerry-Zarif. Face à cette volonté, les autres acteurs ne pesaient pas bien lourd, sans faire offense aux représentants Russe et Chinois. Ces deux derniers ont quand même eu le grand mérite de ne pas essayer de paraître plus qu’ils ne pèsent. Ceci dit, on ne peut préjuger si les milieux économiques français doivent se féliciter particulièrement de cet accord signé le jour de leur fête nationale, mais la politique a ceci d’original qu’elle réserve bien des surprises.
Israël n’est pas le seul pays que l’accord sur le nucléaire iranien dérange. Les monarchies du Golfe persique n’ont pas été capables de cacher leur exaspération (Arabie Saoudite) ou leur souci (Bahrein, Koweit,…) devant la réapparition de l’ennemi chiite. Il est non moins vrai que les minorités chiites qui existent dans ces monarchies et dans d’autres vont se sentir revigorées et peuvent prétendre aux mêmes droits que leurs compatriotes sunnites, ce qui n’est que justice. Le régime wahhabite, grand argentier de la promotion du salafisme international et qui pratique une politique de terre brûlée en Syrie et au Yémen a probablement des raisons de s’inquiéter du retour sur la scène internationale de l’Iran et de son inéluctable montée en puissance. Aussi, la modulation de la politique syrienne des États-Unis de B. Obama (le refus de bombarder Damas et l’accord sur la liquidation de ses armes chimiques) a copieusement augmenté l’irritation et l’insécurité saoudienne. Même s’il n’y a pas d’illusions à se faire sur la nature du régime des mollahs, un nouvel équilibre où le royaume des Bédouins n’aurait plus les coudées franches se dessine amplement. Beaucoup ont probablement oublié que Saddam Hussein qui a déclenché la guerre Irak-Iran au lendemain de la révolution de Khomeiny a été encouragé en sous-main et financé ostensiblement par les Ibn Séoud. Pas sûr que l’Iran qui a été dévasté par cette guerre où les armes chimiques destructrices ont été utilisées a aussi oublié ce douloureux passé, avec plus de un million de morts ! La twittosphère a bien savourée la réplique servie au monde occidental par le chef de la délégation iranienne : « Je devrais tous vous traîner devant une cour internationale pour votre soutien à Saddam Hussein », mais dont tout le monde sait que le soutien le plus actif est l’Arabie Saoudite…
Selon les dernières statistiques énergétiques, publiées récemment par British Petroleum, l’Iran détient la 4e réserve mondiale de pétrole, avec plus de 157.8 milliards de barils. Les réserves de gaz sont encore plus importantes, avec plus de 34.000 milliards de mètres cubes de gaz conventionnel, soit plus de 18.2 % des réserves mondiales. En fait, les réserves iraniennes de pétrole, tout comme celles du gaz conventionnel, sont 8 fois plus importantes que celles que détient l’Algérie. Aussi, il se peut très bien que des réserves plus importantes sont encore à découvrir car ce pays souffre depuis près de quatre décennies des séquelles de la guerre et de l’isolement international. Ces données montrent sans nul doute que l’accord conclu augure une importante reconfiguration géostratégique au Proche et Moyen-Orient qui aura une incidence majeure sur la carte énergétique mondiale.
Aujourd’hui, l’Iran produit 3,6 Mb/j, soit un peu plus de la moitié de qu’il produisait avant l’avènement de la révolution islamique de Khomeiny et la guerre avec l’Irak, alors que le marché s’attend à un retour en force de ce pays qui va augmenter substantiellement sa production. Ce facteur, ajouté à :
- la surabondance actuelle de l’offre mondiale de pétrole dont l’excédent est estimée à près de 2 Mb/j,
- la production pétrolière des États-Unis qui va de record en record et qui a ajouté sur le marché 1.6 Mb/j au point que ce pays est devenu en 2014 le 1er producteur mondial, alors qu’ils ont déjà détrôné la Russie comme 1er producteur mondial de gaz depuis 5 ans,
- L’augmentation substantielle de la production du pétrole lourd (Canada) ou issu de grandes profondeurs (Brésil),
- les pays de l’OPEP, avec en tête l’Arabie Saoudite, qui ne veulent aucunement perdre des parts de marché face au pétrole/gaz de schiste américain,
- le retour prochain de certains pays instables (Irak, Libye) et qui sous-produisent par rapport à leurs capacités,
- L’apparition de nouveaux producteurs,
- la croissance modérée de l’économie mondiale et les perspectives pétrolière revues à la baisse par l’AIE (agence internationale de l’énergie),
sont de nature à maintenir le bas cours actuel du pétrole.
Si l’ère du pétrole bon marché à moins de 20 $ le baril a pris fin avec le début de la Guerre II du Golfe, l’ère du pétrole à prix flambé supérieur à 100 S le baril peut désormais devenir un rêve utopique pour très longtemps, avec l’accord sur le nucléaire iranien qui va probablement sceller des cours du pétrole, déjà plombés à 50-60 $ le baril.
Devant cette situation, l’Arabie saoudite fait une guerre sans merci à ses partenaires de l’OPEP en campant sur ses positions de surproduction. Avec un fonds souverain qui dépasse 700 milliards de dollars, l’Arabie saoudite peut se permettre bien des folies en perdant des milliards de dollars de revenus pétroliers, surtout que les dommages collatéraux sur ses partenaires et néanmoins rivaux au sein de l’OPEP sont le cadet de ses soucis. Bien plus, elle a même arbitrairement baissé le prix officiel de son pétrole exporté vers les États-Unis et l’Asie, dans le but allégué de contrer la pénétration du pétrole issu des sables bitumineux canadien et de schiste étasunien, dont le seuil de rentabilité est supérieur au prix actuel du Brent. Ce faisant, les Saoudiens espèrent pousser les nord-américains à fermer des puits non rentables et geler des projets trop chers. Mais, connaissant la relation stratégique qui unit le couple méphistophélique États-Unis Arabie Saoudite, il est permis de douter de la rectitude des desseins Saoudiens, surtout que le bas prix actuel du pétrole présente l’avantage d’affaiblir notablement les économies des ennemis communs ou des concurrents que sont la Russie, l’Iran et le Venezuela. Quant à l’avenir du couple infernal États-Unis Arabie Saoudite, la mariée a désormais moins à offrir, tant la révolution du gaz et pétrole de schiste a bouleversé le marché énergétique nord-américain, alors que l’accord a augmenté son anxiété rendant le parapluie de son protecteur plus que jamais nécessaire.
Et l’Algérie dans tout cela ?
La reconfiguration attendue de la carte énergétique mondiale à la lumière de l’accord sur le nucléaire iranien aura probablement des répercussions sur l’Algérie. Néanmoins, une vision sur l’avenir énergétique du pays ne saurait se réduire à cet événement. Une rétrospective sur les perspectives algériennes des bouleversements énergétiques dans le monde sera proposée pour publication dans ce journal.