La fortune tombée du ciel d'une Française d'Afrique Le Canard enchaîné*, mercredi 21 octobre 2015 Par jean-François Julliard
*Journal satirique français
Une compatriote, première dame de la Côte d'Ivoire, au coeur d'une nouvelle affaire de "biens mal acquis" ? C'est, à quelques jours de l'élection présidentielle dans ce pays, l'une des questions que soulèvent deux ouvrages récents. Le premier, "Les Ouattara, une imposture ivoirienne" (Editions du moment), est signé par Bernard Houdin, ex-collaborateur du président Laurent Gbagbo, dégommé, en 2011, par Alassane Ouattara, avec l'aide de la France de Sarko, à la suite d'un scrutin contesté. Le second, "France-Côte d'Ivoire, une histoire tronquée" (Vents d'ailleurs), a été écrit par Fanny Pigeaud, ancienne journaliste à RFI. Mais les deux bouquins, comme d'autres enquêtes, convergent : Dominique Folloroux, l'épouse, française, du président ivoirien, a amassé, dans des conditions opaques, une fortune colossale.
Arrivée en Côte d'Ivoire à la fin des années 70, Dominique Folloroux devient, à la mort de son mari, la conseillère du tout puissant président Félix Houphouët-Boigny, dont la richesse est estimée à plusieurs milliards de dollars. Comme le souligne Fanny Pigeaud, "le Vieux" lui confie la gestion de ses avoirs immobiliers (immeubles, villas, hôtels particuliers) en France, en Suisse, en Italie. Son agence, Aici, grossit à vue d'oeil. La promotrice obtient aussi la clientèle d'une des autres fortunes géantes du continent : celle d'Omar Bongo, alors président du Gabon. Aici dispose de bureaux à Paris, Cannes, New York, Washington, Abidjan, Libreville, Ouagadougou. Son cabinet parisien s'occupe notamment, écrit "Le Monde" (21/5/11), du "patrimoine contesté de dirigeants africains".
Magot en Suisse
Dans son livre, Bernard Houdin mentionne, lui, de fastueux honoraires (plus de 24 millions de francs) atterrissant, entre autres, dans des banques monégasques et suisses. Et l'achat (pour 8,6 millions de francs) d'un vaste appartement parisien, décoré luxueusement (meubles de collection, tableaux de Picasso et de Buffet).
Houphouët ne distinguait guère entre sa cassette personnelle et celle de l'Etat. D'où le procès fait à sa conseillère, comme à d'autres proches, d'avoir largement profité d'un argent volé au peuple ivoirien. Dans un pays où misère et malnutrition font encore des ravages.
Faveur chocolatée
Mais ses détracteurs proches du pouvoir se calment quand, en 1991, Dominique Folloroux épouse Ouattara, Premier ministre depuis un an. Lors de l'installation du couple dans une villa du quartier huppé de Cocody, la deuxième dame fait venir 19 tonnes de meubles de France. Et Ouattara tente de s'exonérer des droits de douane.
Les années suivantes, les affaires de madame croissent et embellissent : elle rachète le réseau ivoirien de Radio Nostalgie et, aux Etats-Unis, les salons de coiffure Jacques Dessange ainsi que des instituts de beauté. Sans oublier une superbe propriété, payée 6,5 millions de francs, à Mougins, près de Cannes.
Tout cela est beau, mais cher. Selon un document cité par Houdin, Ouattara fait appel, en 1992, à Ugo Brunini, un homme d'affaires napolitain, "pour un besoin de financement personnel par des circuits non officiels". Et Brunini ajoute qu'il a fourni, par la suite, "à Mme Do-minique Follerou (sic) 1 million de dollars en espèces". Contactée à ce sujet par "Le Canard", la présidence ivoirienne a répondu que la demande "retiendrait toute l'attention requise de la part de ses services compétents".
En arrivant, en 2011, à la présidence les Ouattara céderont la gérance de ces activités. Le plus souvent à des proches, comme Nathalie Folloroux, fille de Dominique, qui hérite de l'agence Aici, ou Loïc, son fils, qui reprend Radio Nostalgie. Durant la présidence Gbagbo, Armajaro, le leader mondial du cacao, a bombardé Loïc à la présidence du secteur Afrique, et Bouygues a salarié Nathalie à TF1. Martin Bouygues n'aura pas à s'en plaindre. Déjà gestionnaire de l'eau et de la distribution électrique, il a décroché la construction du troisième pont d'Abidjan, une partie du marché du tram ainsi que l'exploitation d'un vaste champ gazier.
Un bienfait n'est jamais perdu.