L’attentat sous fausse bannière d’Istanbul Par Finian Cunningham Strategic Culture Fondation Traduction Petrus Lombard
Si l’attentat d’Istanbul est un false flag, et tout concourt à prouver que c’en est un, alors le machiavélisme d’Erdogan fait frémir, car même la nature des victimes de l’attentat a été choisie pour que l’impact soit maximal. Sachant que, pour les médias, un mort occidental vaut 10 morts turcs, l’attentat a délibérément été dirigé contre les touristes allemands. Ainsi, chaque bout de déclaration des autorités d’Ankara sera suivi avec avidité par les grands journaux mondiaux. C’est la meilleure tribune qu’Erdogan ait eu depuis bien longtemps, peut être depuis le forum de Davos de 2009, juste après un autre massacre, celui des Gazaouis par l’armée israélienne. RI
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C’est la façon habile dont a réagi le Président turc Recep Tayyip Erdogan à l’attentat meurtrier d’Istanbul cette semaine, qui éveille les soupçons. Des soupçons que cet incident est bien plus qu’un simple attentat terroriste islamiste contre des civils innocents. Pour dire les choses crûment : Erdogan « a besoin » de cette atrocité pour gommer les preuves grandissantes de la collusion de son propre régime avec le même réseau terroriste islamiste présumé avoir perpétré l’attentat d’Istanbul.
Moyennant le sang et le carnage, son régime a rapidement cherché à se présenter au monde entier comme une autre victime du terrorisme barbare et comme un adversaire intrépide du réseau terroriste de l’État islamique. La Turquie s’est un peu trop timidement enveloppée dans le drapeau émotionnel de la France à la suite des attentats terroristes à Paris en novembre.
La Maison Blanche et le chef de l’Organisation des Nations Unies Ban Ki-Moon, sont aussi intervenus pour condamner le « méprisable » massacre à Istanbul et ont juré leur solidarité avec l’État turc contre le terrorisme.
Erdogan et son Premier ministre Ahmet Davutoglu, ont tous deux réagi immédiatement par des discours similaires, séparés mais écrits d’avance, prétendant que cette atrocité prouvait que la Turquie est en « première ligne dans la lutte contre le terrorisme. »
« Personne ne doit douter de notre détermination à vaincre les terroristes de l’État islamique, » a déclaré Erdogan aux journalistes. Ses graves déclarations à forte consonance antiterroriste ont été reprises par Davutoglu.
Seulement, la rhétorique artificielle suggère un but inavoué – « Tu protestes trop ! » disait William Shakespeare.
Le régime Erdogan a réagi d’une manière suspecte par un exposé minutieux de l’attentat, qui a eu lieu dans le quartier historique d’Istanbul et a tué au moins 10 passants, dont huit touristes allemands.
Tôt mardi, à quelques heures de l’attentat, les autorités turques avaient révélé le nom du kamikaze, un ressortissant syrien de 28 ans, né originellement en Saoudie. Selon le régime turc, c’est un membre du groupe terroriste État islamique (EI).
Or, même plusieurs heures plus tard, à partir de mardi soir, aucun groupe n’avait encore revendiqué la responsabilité de l’attentat. Cela soulève des questions sur son auteur. L’EI serait sûrement très heureux de s’attribuer le crédit d’un attentat produisant les gros titres internationaux, puisqu’il le fait habituellement pour de telles atrocités. Pourquoi ce groupe semblait ne rien savoir à son sujet immédiatement après ?
Si un véritable attentat terroriste a bravé les services de sécurité de l’État turc, comment les autorités turques ont-elle pu si vite identifier le présumé kamikaze ? Dans un attentat terroriste « normal », les autorités sont prises au dépourvu et sont dans l’incertitude pendant plusieurs jours avant de se faire une idée de son auteur. Pas dans ce cas. Le régime Erdogan a été immédiatement rencardé, non seulement sur le groupe présumé derrière l’attentat (EI), mais aussi sur l’auteur présumé. Si nous gobons à la lettre la version officielle, cette efficacité investigatrice est vraiment stupéfiante.
En tout cas, il serait aussi extrêmement naïf d’accepter la version du régime Erdogan. De nombreux cas antérieurs ont montré que le renseignement militaire turc, le MIT, est intimement compromis avec les groupes terroristes islamistes qui font la guerre en Syrie.
Can Dundar, le rédacteur en chef du quotidien turc Cumhuriyet, fait face à la prison à vie parce que son journal a révélé que le MIT fait du trafic d’armes pour approvisionner les groupes terroristes en Syrie.
Plus tôt cette année, le député turc Eren Erdem, a aussi fait des allégations crédibles. Selon lui, le régime Erdogan a étouffé une enquête sur la fourniture d’armes chimiques aux militants de l’État islamique par le MIT ; des armes chimiques qui ont probablement servi au massacre de Syriens à l’est de Ghouta, dans la banlieue de Damas, en août 2013.
Ces derniers mois, la surveillance aérienne militaire russe a montré irréfutablement que les terroristes de l’EI font entrer en contrebande du pétrole à échelle industrielle en Turquie. Elle a montré aussi des liens crédibles dans le racket usuel tout au long de l’État turc, et en particulier la famille d’Erdogan expédiant par bateau des entreprises syriennes.
Des attentats antérieurs contre les Turcs à l’intérieur du pays, ont aussi impliqué le sale boulot du régime Erdogan. Quand, lors d’un rassemblement pacifique à Ankara, en octobre dernier, plus de 100 défenseurs des droits kurdes ont été tués dans l’explosion d’une bombe, les groupes kurdes ont accusé les agents de l’État turc d’avoir secrètement perpétré cette atrocité. Également l’an dernier, des affirmations similaires de terrorisme d’État contre les groupes politiques kurdes, ont été faites lors des attentats meurtriers de Suruc et Diyarbakir.
En mai 2013, un attentat meurtrier dans la ville frontalière turque de Reyhanli, qui a tué plus de 40 personnes, a de nouveau été attribué à des agents de l’État turc qui, dans une démarche visant à créer un casus belli afin d’envahir militairement la Syrie, essayaient de monter une accusation contre le gouvernement syrien. Le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, s’est fait prendre grâce à la divulgation d’enregistrements audio de réunions privées des cadres du parti parlant de ces projets sous fausse bannière.
Au cours des dernières semaines, à coup de déclarations ronflantes, les autorités turques ont dit avoir déjoué des complots terroristes dans le pays. Ils ont allégué avoir arrêté de manière préventive des kamikazes appartenant à l’EI. Il est impossible de vérifier ces déclarations officielles puisque le régime Erdogan sévit sévèrement contre les reportages des médias indépendants.
Mais une façon raisonnable d’évaluer ces déclarations officielles est que les autorités turques ont planté le décor pour un éventuel attentat terroriste, qui s’est montré arriver cette semaine, dans l’attentat d’Istanbul.
Et avec sa rapide réaction, le régime Erdogan a habilement intensifié ses éloquentes déclarations afin de passer pour une victime du terrorisme de l’EI. Il a de ce fait rapidement reçu la sympathie et le soutien de la Maison Blanche et de l’ONU.
Le timing est important pour bien comprendre. Erdogan, Davutoglu, la justice au pouvoir et le Parti du développement ont été découverts ces derniers mois trempant jusqu’au cou dans le soutien au terrorisme en Syrie par l’intervention militaire russe en Syrie. Les médias occidentaux peuvent avoir traité ces révélations avec une indifférence suscitant peu d’intérêt, elles ne constituent pas moins un réquisitoire atterrant sur le non-droit dans l’État turc, un membre de l’OTAN aspirant devenir membre de l’Union européenne.
Le régime Erdogan est devenu synonyme de terrorisme d’État, contrebande et trafic d’armes en Syrie, et en particulier de collusion avec les groupes terroristes islamistes comme l’EI. (La Saoudie s’est aussi de manière similaire révélée être un État gangster sans scrupules.)
Aussi, du point de vue d’Erdogan, quoi de mieux qu’une atrocité de l’EI à Istanbul cette semaine, tuant des touristes étrangers pour que son régime déclare plus tard qu’il est un « ennemi de l’EI » et un « combattant de l’antiterrorisme ».
En tout cas, ce scénario alternatif plus réaliste interpelle : le régime Erdogan connaissait l’identité de l’auteur de l’attentat parce qu’il travaille avec ce genre d’agents terroristes ; et les autorités turques ont laissé faire l’attentat pour aller de l’avant, pour leurs propres raisons politiques intéressées de blanchir leur réputation internationale gravement ternie, pour ainsi être considérées comme des « victimes du terrorisme ».
Strategic Culture Foundation, Finian Cunningham