Les banques canadiennes à leur tour menacées par la chute du prix du baril, le Canada bientôt dans la tourmente ? Par Elisabeth Studer Blog Finance
Alors que les analystes s’inquiètent déjà depuis quelques temps d’un possible effet domino de la chute du prix du baril sur la santé des banques américaines, ils redoutent désormais que les banques canadiennes soient également fortement exposées à de tels risques
La banque japonaise Nomura a ainsi averti en début de semaine, que la dégringolade du cours du pétrole pourrait affaiblir les établissements financiers canadiens, lesquels ont consenti 42 milliards de dollars canadiens de prêts au secteur des hydrocarbures.
Au niveau auquel s’échange actuellement le baril de light sweet crude (WTI), certains producteurs ont atteint le seuil de rentabilité s’alarme en tout premier lieu la banque japonaise. Une situation qui pourrait conduire à terme, si elle perdure, à un affaiblissement des banques canadiennes, dont les prêts directs aux groupes pétroliers et gaziers sont évalués à 42 milliards de dollars canadiens (27 mds d’euros), soit 6% des prêts commerciaux. Si l’on prend en compte les secteurs dépendant directement de l’industrie pétrolière, l’exposition des grandes banques canadiennes s’élève à 123 milliards de dollars canadiens (83,7 mds d’euros), soit 17% des prêts commerciaux.
Si Nomura considère que la menace n’est pas imminente, il estime toutefois qu’en cas du maintien des prix des matières premières à un bas niveau, une plus grande exposition serait à déplorer assortie d’une hausse des créances douteuses.
Selon les analystes de la banque japonaise, la situation nécessite une surveillance permanente, les pertes importantes des banques pouvant avoir un effet très négatif sur l’économie (canadienne), laquelle tourne d’ores et déjà au ralenti depuis 18 mois et la chute du prix du baril.
Le 20 janvier dernier, dans son rapport sur la politique monétaire, la Banque du Canada a indiqué pour sa part que l’économie canadienne devait s’ajuster à un prix plus faible du pétrole et à un dollar canadien plus faible également. La banque parle d’un « processus long et complexe d’ajustement ».
Le secteur énergétique canadien qui représente environ 10% du PIB du pays, a lourdement pesé sur l’économie canadienne ces derniers mois, entraînant même une récession au cours du premier semestre 2015. La province d’Alberta, coeur de l’industrie pétrolière du pays, a notamment perdu près de 20.000 emplois l’année dernière. Plus largement, la chute des ressources a d’ores et déjà entraîné des pertes d’emplois, des faillites d’entreprises, une réduction de revenu pour les citoyens et les gouvernements.
« La diminution de la richesse et du revenu intérieur réel a freiné les dépenses des ménages et les investissements dans le secteur hors ressources », écrit ainsi la Banque du Canada dans son rapport. Selon certains analystes, de trois à cinq ans seront nécessaires pour que toute l’économie s’adapte à cette nouvelle réalité, celle d’une économique plus diversifiée, moins orientée vers ses ressources.
La Banque du Canada a par ailleurs révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour le Canada, de 2 % annoncé en octobre à 1,4 % aujourd’hui pour l’année 2016, puis à 2,4 % en 2017. La banque centrale prévoit également que « les cours du pétrole demeureront près de leurs niveaux récents », estimant toutefois qu’à moyen terme, les prix devraient remonter. Observant que les pétrolières ont réduit leurs coûts de production depuis 2014, cela devrait leur permettre de retrouver une certaine rentabilité à un prix plus faible du pétrole que par le passé. Tout de même, selon la Banque du Canada, « les prix vont probablement demeurer volatils ».
Une chute encore plus forte du pétrole pourrait avoir des « incidences négatives sur la confiance et les retombées sur la demande [...] pourraient peser lourdement sur l’économie en général » estime enfin l’établissement financier.
Certes, l’espoir demeure néanmoins pour l’Office national de l’Énergie (ONÉ, agence fédérale) qui dans un rapport publié la semaine dernière que le Canada, cinquième producteur mondial d’hydrocarbures, devrait selon ses estimations presque doubler sa production de pétrole d’ici 2040. L’ONÉ table également sur un baril de WTI à 80 dollars en 2020, et à 105 dollars en 2040.
Cette alerte de Nomura voit le jour alors que depuis le début du mois de janvier, les banques américaines annoncent les unes après les autres un renforcement de leurs réserves en vue de couvrir les impayés des sociétés d’exploration et de production pétrolière et gazière. Ces dernières sont en effet prises dans une véritable tourmente, alors qu’en l’espace d’un an et demi, le prix du baril a chuté de 100 dollars à moins de 30 dollars. Selon le cabinet AlixPartners, dans un tel contexte ces entreprises perdent au total 2 milliards de dollars par semaine.
JPMorgan Chase, la première banque américaine, a quant à elle mis de côté 124 millions de dollars en vue de se prémunir, tout en avertissant que ce montant pourrait être portée à 750 millions si le cours du brut demeurait aux alentours de 30 dollars durant une longue période.
De son côté, Citigroup a porté ses réserves dédiées à ce type de risques à 300 millions de dollars. Un montant qui pourrait s’accroître, la banque tablant au premier semestre sur des pertes de 600 millions de dollars liées aux crédits accordés dans le secteur de l’énergie.
A la fin décembre 2015, l’exposition au secteur de l’énergie était de 21,3 milliards de dollars pour Bank of America (BofA), de 20 milliards pour Citigroup, de 17 milliards pour Wells Fargo, de 13 milliards pour JPMorgan, de 10 milliards pour Goldman Sachs et de 4 milliards pour Morgan Stanley.
Sources : AFP, Radio-Canada
Elisabeth Studer – 06 février 2016 – www.leblogfinance.com