La mésaventure juridico-administrative d’une Française née à Toulon qui s’est vue notifier l’été dernier une obligation de quitter le territoire.
Elle dit : « Je n’ai jamais eu affaire à la justice, j’ai 54 ans, je suis tranquille. Je ne demande qu’à vivre auprès de ma famille dans le pays où je suis née et ai grandi... »
Son avocat Me Oreggia : « Nous allons faire reconnaître [sa] nationalité française [...] devant le Tribunal de grande instance de Marseille. »
Ci-dessous un dossier établi par Thierry Turpin, publié dans La Marseillaise du 4 février 2016.
Les papiers fragiles qui font l’identité nationale
Au moment où l’on s’écharpe sur la possibilité de déchoir de leur nationalité – fût-elle double – des citoyens coupables de faits graves envers la société, un imbroglio juridico-administratif met en lumière une manière beaucoup plus « anodine » et surtout plus discrète de confisquer une nationalité... Et cela en toute innocence.
Privation de carte d’identité, obligation de quitter le territoire national... Le coup de massue est rude pour cette Toulonnaise (née à Toulon) de 54 ans qui nous montre la photocopie du document saisi ainsi que sa carte électorale prouvant qu’elle accomplit, là encore en toute régularité, son droit de vote et devoir de citoyenne.
« Doit-on pour autant annuler les dernières élections ? », interroge sur le ton de l’ironie maître Marc Oreggia, avocat au Barreau de Toulon. Pourquoi pas, finalement ? A absurdité, absurdité et demie. « Madame Bouhofra a été convoquée cet été pour rendre une carte d’identité qu’elle avait obtenue en septembre 2013 », poursuit son défenseur.
L’élément déclencheur ? Certainement la demande de titre de séjour de son mari (il est algérien). « C’est probablement comme ça qu’on est allé fouiller dans son dossier... »
La cause ? Être née une semaine trop tôt : le 23 décembre 1962. Là, il faut bien s’accrocher.
Pour commencer, pour prétendre au double droit du sol, il faut être né après le ler janvier 1963, date butoir fixée par l’ordonnance du 21 juillet 1962. De plus, ses parents (nés en Algérie à l’époque coloniale), installés en France depuis les années 50 (1953 pour le père, 1956 pour la mère) sont « reconnus » au moment de l’indépendance comme des musulmans de droit local. A ce titre, ils auraient pu conserver la nationalité au moment de l’indépendance à condition de souscrire une déclaration de nationalité jusqu’en 1967. Probablement par manque d’information, rien de tout cela n’a été fait.
Obligation de quitter le territoire national
C’est au retour d’un voyage en Algérie motivé par des obligations familiales que le couperet tombe : « On m’a retiré ma carte d’identité et demandé de remonter dans l’avion. Mais je savais que si j’acceptais, je ne pourrais plus jamais revenir », explique-t-elle. Son refus la conduit en centre de rétention administratif. « J’y suis restée six heures. Ensuite on m’a notifié l’obligation de quitter le territoire sous quarante-huit heures... »
Pour ne rien arranger, maître Oreggia est en vacances à ce moment-là... Heureusement, la section de Toulon de la Ligue des droits de l’homme est alertée et [un militant] intervient aussitôt en urgence pour lui trouver un avocat afin de faire annuler la décision devant le Tribunal administratif de Marseille.
« Si on obtient l’annulation de quitter le territoire devant le TA de Marseille, le préfet va être obligé de réexaminer sa situation et de lui délivrer un titre provisoire de séjour », explique Maître Oreggia. « Nous pourrons faire à ce moment-là une demande de réintégration de nationalité française. »
« Madame Bouhofra est née en France de parents installés en France. Et toute la fratrie est française... Pourquoi eux et pas elle ? Est-ce qu’on va retirer la nationalité à ses frères et soeurs ? C’est inquiétant. »
Confiance. La raison ne peut vraisemblablement ici que l’emporter. Pas vrai ?
Thierry Turpin
« Des pauvres gens privés de leurs droits »
Maître Oreggia rappelle que Jean-Christophe Cambadélis avait interpellé en novembre 2012 le gouvernement sur le problème de l’application du double droit du sol aux Algériens nés avant 1963 ou après 1963, en mettant en évidence « ce côté inégalitaire, ces fractures qu’on crée dans les familles... » Et en l’interrogeant sur les mesures qu’on pourrait prendre pour faciliter la réintégration. [1]
« Le gouvernement répond en substance en janvier 2013 que c’est comme ça, qu’on fait une différence, ce sont les textes. Et que ce n’est pas inégalitaire parce que nous ne sommes pas dans les mêmes situations. Les dates de naissance sont différentes... »
Sur la solution avancée ? « Les originaires d’Algérie qui ont perdu la nationalité française le ler janvier 1963 peuvent comme tout étranger demander et obtenir un visa pour venir en France s’ils remplissent les conditions légales pour le faire... »
« On se rend compte pour peu qu’on s’y intéresse », continue maître Oreggia que « le cas de madame Bouhofra n’est pas un cas isolé pris dans les turpitudes administratives ». » « Je ne dis pas que c’est fréquent mais tout de même ça arrive assez régulièrement et ça concerne des pauvres gens qui sont soit originaires du Sénégal, d’Algérie et qui ont des cartes d’identité », explique l’avocat toulonnais. « À l’occasion d’un renouvellement ou à l’occasion d’une demande de certificat de nationalité française on va leur annoncer qu’ils ne sont pas français. Les gens se retrouvent du jour au lendemain en situation irrégulière. Ils perdent tous leurs droits. Ce sont des choses dont on ne parle pas parce que cela touche des gens qui n’ont pas forcément les moyens de faire valoir leurs droits. C’est très inquiétant. »
Thierry Turpin
Notes
[1] Référence de la question écrite de Jean-Christophe Cambadélis et de la réponse du gouvernement : http://questions.assemblee-national... (note de LDH Toulon)