Un jour après l'annonce par les Etats-Unis et la Russie d'un accord sur une « cessation » partielle « des hostilités » en Syrie, les signes se multiplient que Washington se prépare à une escalade militaire majeure de sa campagne de renversement du gouvernement de Bachar al-Assad, soutenu par la Russie, et d’installation d’un régime fantoche.
Le soi-disant « plan B » discuté intensément à la Maison Blanche risque de déclencher une confrontation militaire directe avec les forces russes soutenant le régime Assad et fait apparaître le spectre d’une guerre entre les deux plus grandes puissances nucléaires du monde.
On prépare ces plans derrière le dos de la population américaine. Ils ont été bannis de la campagne présidentielle des candidats des deux partis, républicain et démocrate. (Voir : La guerre et l’élection présidentielle américaine de 2016).
L'accord annoncé lundi à la suite d’intenses discussions entre le secrétaire d'Etat américain John Kerry et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov prévoit un cessez-le-feu à partir de samedi et s’appliquant à tous les combattants de la guerre civile syrienne à l'exclusion de l'État islamique (EI) et du Front al-Nosra, la branche syrienne d'al-Qaïda. La déclaration commune des Etats-Unis et de la Fédération russe exclut également les « autres organisations terroristes désignées par le Conseil de sécurité de l'ONU ».
Plus tard lundi, le président Barack Obama et le président russe Vladimir Poutine ont confirmé l'accord lors d’un appel téléphonique. Le plan du cessez-le-feu a ensuite été accepté, avec diverses mises en garde et conditions, par le gouvernement syrien, le Haut conseil de négociation soutenu par les Etats-Unis et l'Arabie Soudite, instance de l'opposition anti-Assad appuyée par l'Occident, et par la Turquie.
Le plan dont l’objectif est prétendument une guerre menée contre l’EI par le camp qui suit les Américains comme par celui regroupant la Russie, l’Iran et Assad, cherche à occulter cette réalité que Washington et Moscou poursuivent des objectifs opposés. Pour les Etats-Unis, la « guerre contre l’EI » sert largement de couverture à une guerre de changement de régime contre Assad et ses alliés, alors que Moscou et Téhéran interviennent pour soutenir leur seul allié arabe au Moyen-Orient.
L'accord de cessez-le-feu appelle à des pourparlers pour engager en Syrie une « transition politique » dont les Etats-Unis et leurs alliés d'Arabie Saoudite, du Qatar et de Turquie insistent qu’elle doit aboutir au renversement d'Assad. L'autre préoccupation centrale de la Turquie qui pilonne actuellement les milices kurdes pro-américaines près de sa frontière avec le nord-ouest de la Syrie, est d'empêcher la consolidation d'une entité politique kurde en Syrie.
Le gouvernement américain et les médias de l'establishment cachent également le fait que les seules forces militaires anti-Assad significatives sur le terrain sont précisément l’EI et al-Nosra. Les soi-disant « rebelles modérés » armés, financés et soutenus militairement par la CIA, les Saoudiens, les Turcs, les Qataris et les Jordaniens sont soit eux-mêmes des djihadistes islamistes sunnites, comme Ahrar al-Sham, qui se bat aux côtés d'al-Nosra, soit sans grande importance militaire.
Un obstacle majeur à l’application de l'accord de cessez-le-feu est qu’une poursuite du bombardement d’al-Nosra par la Russie et Assad, en particulier dans la province d'Alep, autorisée par l'accord, signifie aussi le ciblage des groupes soutenus par les Etats-Unis et étroitement associés à al-Qaïda.
Le gouvernement Obama a poussé à une trêve surtout pour gagner du temps et éviter une déroute militaire totale d'al-Nosra et ses alliés « rebelles » dans leur fief d'Alep assiégé par les forces gouvernementales syriennes, appuyées par les frappes aériennes russes. Interrogé mardi par Al Jazeera Amérique, un porte-parole de l'opposition syrienne a spécifiquement critiqué la déclaration de cessez-le-feu pour avoir exclu al-Nosra de sa protection.
Washington cherche également à empêcher les forces kurdes de couper les routes permettant d’approvisionner les « rebelles » depuis la Turquie. Il veut aussi empêcher la Turquie, membre de l'OTAN, d’envoyer des troupes en Syrie contre les Kurdes, ce qui pourrait rapidement déclencher une confrontation militaire avec les forces russes, avec le potentiel d’entraîner l'OTAN dans une guerre contre la Russie.
En ce qui concerne Washington, la trêve est principalement une manœuvre lui permettant de préparer une escalade majeure de sa guerre de changement de régime pour une date ultérieure, peut-être après les élections américaines.
Si Poutine a salué l'accord comme une avancée majeure sur la voie de la paix en Syrie, les déclarations du côté américain étaient plus discrètes et les responsables, tant au sein du gouvernement Obama qu'en dehors, se sont montrés nettement sceptiques qu'une trêve puisse tenir.
« Cela sera difficile à mettre en œuvre», a dit le porte-parole de la Maison Blanche Josh Earnest. Kerry, auditionné mardi par la Commission des relations étrangères du Sénat, n’a donné aucune assurance que la trêve pourrait effectivement être appliquée et a souligné qu’« il y a certainement des options d’un plan B à l'étude. » Il a encore dit que ce serait une erreur de sous-estimer la volonté du gouvernement Obama de prendre des mesures punitives contre la Russie.
Le Wall Street Journal a rapporté mardi que le secrétaire à la Défense Ashton Carter avait dit à de « hauts responsables » lundi que le cessez le feu ne serait pas respecté. Le journal cite un haut responsable du gouvernement disant de Carter qu’« il pense que c’est une ruse [russe] ».
L'article intitulé « Les chefs du Pentagone et de la CIA ne pensent pas que la Russie respectera le cessez-le feu syrien, » cite un « haut responsable » affirmant que le cabinet d'Obama était divisé sur la politique américaine en Syrie. Le secrétaire à la Défense Carter, le général Joseph Dunford, chef d’état-major interarmées, et le directeur de la CIA John Brennan demandaient dans les réunions de la Maison Blanche une escalade militaire majeure contre Assad et ses alliés russes.
Le Journal cite ce responsable gouvernemental disant que les chefs militaires et du renseignement exigeaient de nouvelles mesures pour « infliger aux Russes une douleur réelle». Il écrit qu'ils demandent spécifiquement l’extension du soutien secret aux « rebelles ». L'article suggère que cela pourrait inclure l'approvisionnement des forces anti-Assad en « armes sol-air de pointe pour que les combattants de l'opposition puissent repousser la puissance aérienne russe, le genre de système qui pourrait changer la donne ».
Cela pourrait en effet rapidement « changer la donne » en permettant aux forces par procuration des Etats-Unis d’abattre des avions de guerre russes et créer les conditions d'un affrontement militaire direct entre les Etats-Unis et la Russie. Le Journal fait lui-même le commentaire que, «Toute décision d’aider directement les rebelles à attaquer les soldats russes ou détruire les avions russes pourrait marquer une escalade dramatique du conflit. »
L'article cite un responsable commentant l’examen par la Maison Blanche de ses options en Syrie: « Pour être clair: nos actions ne visent pas la Russie. Notre axe ne change cependant rien au fait que la Russie, en s’impliquant de plus en plus dans un conflit dangereux au côté d'un dictateur brutal, s’empêtrera dans un bourbier. Si elle ne change pas de trajectoire, la Russie s’infligera ce sort elle-même ».
L'impérialisme américain a été l'instigateur d’une guerre civile qu’il a attisée pour renverser, dans le cadre de sa campagne d’hégémonie sur le Moyen-Orient riche en pétrole, le régime pro-russe et pro-iranien en Syrie et affaiblir la Russie et l'Iran. Cette guerre, qui approche de sa sixième année, a coûté autour de 470.000 vies syriennes, poussé plus de cinq millions de Syriens à l'exil, déplacé des millions de personnes en Syrie même et détruit l'infrastructure sociale et physique du pays. A présent, Washington prépare une escalade qui risque de déclencher une troisième guerre mondiale.
(Article paru en anglais le 24 février 2016)
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