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#NuitDebout : un piège petit-bourgeois tendu à l’opposition à la réforme du travail (WSWS)

par Alex Lantier 10 Avril 2016, 20:53 "Nuit debout" Loi Travail

Après que plus d’un million de travailleurs et de jeunes se sont mobilisés la semaine dernière en France dans des grèves et des manifestations contre la réforme du travail de la ministre du Travail PS Myriam El Khomri, les médias font une forte promotion du mouvement #NuitDebout.

Cela a commencé par quelques centaines de personnes installant des tentes sur la Place de la République à Paris pendant le week-end. Il y avait parmi eux des membres de partis depuis longtemps alliés au PS, comme le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et le Front de gauche (FG) ; des groupes d’entraide Chrétiens; et le groupe Droit au logement (DAL) de l’activiste ex-maoïste Jean-Baptiste Eyraud. Outre Eyraud, il y avait parmi les intervenants l’économiste nationaliste Frédéric Lordon, partisan de l’Unité populaire, une scission de Syriza, au pouvoir en Grèce. Des camps ‘#NuitDebout’ ont été mis en place depuis dans d’autres villes, dont Toulouse, Lyon et Nantes.

Les médias et les organisateurs de ce mouvement déclarent que #NuitDebout prend pour modèle les manifestations des « indignados » de 2011 en Espagne, où des milliers de jeunes Espagnols occupaient la place Puerta del Sol à Madrid et les places publiques de villes à travers l’Espagne. #NuitDebout a organisé une visite Place de la République par Miguel Urban, un membre dirigeant du parti Podemos en Espagne qui est sorti des protestations des Indignados.

Ces manifestations reflètent la politique de style de vie et des conceptions postmodernes et anti-marxistes populaires dans la classe moyenne aisée, venue à dominer chez les Indignados et dans des mouvements similaires en 2011: l’Aganaktismeni en Grèce et ‘Occupy Wall Street’ aux États-Unis. Les décisions sont prises par consensus, avec des signes de la main. Les membres de #NuitDebout prennent également le nom Camille, de genre neutre, donné aux filles et aux garçons en France, en parlant à la presse.

L’expérience des Indignados et l’enthousiasme de sections des médias pro-PS pour ce mouvement sont un avertissement politique pour les travailleurs et les jeunes qui luttent contre la loi El Khomri. Le mouvement #NuitDebout est une impasse et un piège politique. Son but est d’empêcher les jeunes radicalisés par la lutte contre la loi El Khomri de se tourner vers la classe ouvrière et de chercher à la mobiliser dans la lutte contre le PS et le programme d’austérité de l’UE.

Au lieu d’un tel tournant, #NuitDebout promeut aveuglément des protestations sociales d’un caractère de classe diffus, qui, en Espagne et en Grèce, non seulement n’ont pas réussi à stopper la marche vers austérité de l’UE, mais ont renforcé les partis bourgeois profondément hostiles à la classe ouvrière.

Dans la mesure où leurs appels moraux aux cercles dirigeants pour un changement de politique avaient un quelconque contenu oppositionnel, c’était de faire pression pour un changement favorisant les intérêts sociaux des couches de la classe moyenne supérieure faisant partie des 10 pour cent les plus riches de la population et ayant dominé des partis comme Podemos et SYRIZA. Ces partis se sont avérés profondément hostiles à la classe ouvrière.

Bien que des couches importantes de la jeunesse urbaine espagnole aient participé au mouvement indignados, il n’y avait ni perspective politique, ni lutte pour une conscience socialiste, ni lutte pour mobiliser le soutien des travailleurs. En conséquence, aucun mouvement de grève ou de luttes ouvrières importantes ne se sont développés dans le cadre de ce mouvement. Les forces politiques qui ont dominé — comme la Gauche Anticapitaliste (IA), la filiale espagnole du NPA — ont été en mesure d’user rapidement le mouvement et de l’achever en quelques mois.

Travaillant avec une cabale de professeurs staliniens et de commentateurs des médias tirés en grande partie de l’Université Complutense de Madrid et dirigés par la ‘vedette’ médiatique Pablo Iglesias, ils ont fini par mettre en place le parti Podemos en 2014. Il s'est avéré être un parti anti-ouvrier et réactionnaire s'appuyant fortement sur le soutien des forces armées et du monde des affaires. Il conduit à présent des négociations pour soutenir un gouvernement de coalition pro-austérité entre le Parti socialiste et le droitier Parti des Citoyens.

Quant aux manifestations Aganaktismeni sur la place Syntagma à Athènes, elles ont ouvert la voie au résultat record de Syriza aux élections grecques de 2012 qui l'ont établi comme principal parti d’opposition à Nouvelle Démocratie (ND) et l’ont mis sur la voie pour gagner les élections en janvier 2015 et accéder au pouvoir. Cela s'est avéré être une expérience encore plus cuisante avec le rôle réactionnaire de ces partis petits-bourgeois de la pseudo-gauche.

Une fois au pouvoir, Syriza a trahi sa promesse électorale de mettre fin à l’austérité. Au lieu de cela, il a étendu le Mémorandum d’austérité de l’UE quelques semaines seulement après son arrivée au pouvoir, puis a piétiné un « non » écrasant à un référendum sur l’austérité afin d’imposer un nouveau plan brutal d’austérité. SYRIZA élabore à présent des plans pour couper des milliards d’euros dans les retraites tout en soutenant la déportation massive par l’UE vers la Turquie de réfugiés du Moyen-Orient.

Alors que les journaux sont pleins de comparaisons de #NuitDebout avec les indignados, personne ne discute l’événement qui a poussé des dizaines de milliers de jeunes Espagnols à commencer à protester à la Puerta del Sol, le 15 mai 2011. Ce fut l’occupation de la place Tahrir au Caire qui a lancé des luttes révolutionnaires de masse de la classe ouvrière et fait tomber le président égyptien haï soutenu par les impérialistes, Hosni Moubarak, en février 2011.

Les raisons du silence de la presse et des groupes petits-bourgeois comme le NPA et DAL à propos de la place Tahrir ne sont pas difficiles à comprendre. Tout d’abord, le rôle du NPA en Égypte est une exposition flagrante de son rôle contre-révolutionnaire, anti-ouvrier : il a commencé par soutenir le candidat de la droite islamiste, Mohamed Mursi, dans une élection présidentielle et ensuite le mouvement Tamarod (‘Rebelle’) à travers lequel l’armée a préparé un coup d’État qui a renversé Mursi.

Ils étaient donc complices de l’arrivée au pouvoir de la dictature militaire du général Abdelfattah al-Sisi qui fut instaurée avec l’éviction de Mursi.

Mais surtout, ils sont silencieux sur les événements d'Égypte à cause de la peur croissante de la classe ouvrière en Europe. Si le NPA et les organisations pseudo de gauche similaires en France seraient désireux de participer à un certain type de regroupement petit-bourgeois réactionnaire pour créer un Syriza ou un Podemos français, ils sont terrifiés à l’idée de l’opposition dans la classe ouvrière dans le pays.

Il y a un mécontentement explosif parmi les travailleurs à l'égard des politiques d’austérité du PS, de la répression policière et de la guerre, et de l’imposture évidente et de la faillite de ses prétentions à être un parti ‘socialiste’. Le Président PS François Hollande pourrait facilement prendre le même chemin que Moubarak, s’il y avait une organisation avec un soutien important dans la classe ouvrière appelant à une lutte contre lui.

En conséquence, les médias et les alliés pseudo de gauche du PS comme le NPA cherchent à promouvoir la bannière en lambeaux d’un autre mouvement petit-bourgeois, sans aucune perspective. Ils sont heureux de promouvoir une occupation des places par les jeunes de la classe moyenne, parce qu’ils veulent à tout prix éviter l’occupation des usines par les travailleurs.

Les forces favorisant le mouvement sont conscientes de l’opposition et de la méfiance parmi les sections plus politiquement conscientes de la jeunesse à un mouvement de protestation vide et aux satellites politiques du PS. Même les partisans enthousiastes de #NuitDebout comme le quotidien Libération sont forcés de reconnaître d’emblée l’incohérence politique des revendications du mouvement, dont aucune ne concerne les intérêts sociaux de base de la classe ouvrière.

Le journal a écrit : « La nuit debout occupe la République comme les Indignados la Puerta del Sol. Il ‘est possible’, dit Lordon, l'Iglesias surprise de 2016, ‘qu’on soit en train de faire quelque chose’. Évidemment, il est aussi possible que non, que le mouvement tourne au 68 de pacotille, qu’à peine né il succombe sous ses évidents paradoxes (ne manifestons pas, mais prenons rendez-vous sur le bitume, nous ne voulons pas de leader, mais la dynamique du mouvement me pousse sur scène, ne revendiquons rien, mais luttons pour nos droits, etc.). Mais au point où on est, ‘ça’ se tente, non ? »

La classe ouvrière n’a pas besoin qu'un « 68 de pacotille » ou un autre parti pseudo de gauche réactionnaire comme SYRIZA poursuive l’offensive contre les droits sociaux et démocratiques des travailleurs. La jeunesse cherchant à s’opposer à l’austérité sociale et au PS en France doit rejeter le mouvement #NuitDebout comme une diversion politique et un piège tendu par des manœuvriers cyniques liés au PS. La voie à suivre est un combat pour mobiliser la classe ouvrière sur un programme socialiste dans la lutte contre l’ensemble du marais des défenseurs pseudo de gauche réactionnaires du gouvernement PS.

(Article paru d’abord en anglais le 8 avril 2016)

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