Obama et le bombardement d’Hiroshima Par Andre Damon WSWS
A la fin du mois, Barack Obama deviendra le premier président américain en exercice à se rendre dans la ville japonaise d’Hiroshima. Le largage le 6 août 1945 par l’armée américaine d’une bombe atomique sur cette ville et la destruction trois jours plus tard de Nagasaki, figurent parmi les plus grands crimes de guerre du 20ème siècle.
On pourrait penser qu’après 71 ans, les Etats-Unis seraient enfin prêts à reconnaître que l’incinération de deux villes japonaises sans défense, qui a fait quelque 200.000 morts, était une action inutile du point de vue militaire.
Il n’en sera rien. Obama « ne reviendra pas sur la décision d’utiliser la bombe atomique à la fin de la Seconde Guerre mondiale », a déclaré la Maison Blanche. Aucune excuse ne sera faite.
Durant des décennies, le gouvernement américain a soutenu qu’il avait été juste de procéder au bombardement nucléaire du Japon, déclarant que la destruction d’Hiroshima et Nagasaki était l’unique alternative à une invasion du Japon et aux pertes de vies américaines qui en aurait résulté. Toute remise en question de la légitimité des bombardements s’est heurtée à une propagande frénétique et malhonnête comme celle qui contraignit la Smithsonian Institution à fermer son exposition de 1995 commémorant le cinquantième anniversaire du bombardement.
Un commentaire du révérend Miscamble de l’université Notre Dame, publié dans le Wall Street Journal est typique de ces justifications. Il dit, « Il n’y a aucune raison de s’excuser pour le bombardement atomique, » parce que « [le président Harry S.] Truman a autorisé le bombardement d’Hiroshima et de Nagasaki, tous deux des cibles militaro-industrielles, dans un effort pour gagner la terrible guerre du Pacifique aussi vite que possible et avec le moins de pertes en vies américaines – et, comme il s’avéra, le moins de pertes en vies japonaises. »
Se faisant l’écho de ces sentiments, le New York Times cite cette semaine ceux qui affirment que la « décision de larguer la bombe a sauvé des dizaines de milliers de vies américaines qui auraient été perdues lors d’une invasion de Honshu, la plus grande île du Japon. »
Ces affirmations manquent totalement de crédibilité. Elles n’ont aucun rapport avec le contenu réel des discussions en cours à Washington et dans le haut commandement de l’armée américaine avant les attaques.
Début 1945, les Etats-Unis avaient gagné la suprématie aérienne totale dans le ciel japonais et conquis de nombreuses îles d’où on pouvait atteindre le territoire japonais. Vers la même époque, les Etats-Unis sont passés de bombardements de précision de cibles militaires spécifiques à des frappes incendiaires à grande échelle qui ont finalement rasé 67 villes, comme les bombes incendiaires qui ont tué quelque 100.000 personnes à Tokyo entre le 9 et le 10 mars.
Lorsqu’en 1945 on demanda au général Curtis Lemay, le commandant des forces aériennes stratégiques, combien de temps la guerre durerait, il a dit, « Nous nous sommes réunis pour y réfléchir et avons constaté que nous n’aurons presque plus de cibles d’ici le 1er septembre, et une fois les cibles épuisées, on ne pouvait guère concevoir de guerre ayant lieu à ce moment-là. »
Les rationalisations du bombardement d’Hiroshima et Nagasaki furent contestées au sein même du haut commandement américain, qui insistait sur le fait que l’incinération de deux villes japonaises de plus n’avait que peu de signification militaire.
Le général Dwight D. Eisenhower dit qu’en apprenant l’intention de Truman d’utiliser la bombe contre une population civile, il avait eu un sentiment de « déprime » et émis de « sérieux doutes, d’abord fondés sur ma conviction que le Japon était déjà battu et que le largage de la bombe était absolument inutile, ensuite parce que je pense que notre pays devrait éviter de choquer l’opinion mondiale en utilisant une arme dont l’emploi n’est, je pense, plus obligatoire comme mesure pour sauver des vies américaines. »
D’autres militaires de haut rang ont par la suite fait des déclarations similaires. Chester W. Nimitz, commandant en chef de la flotte US du Pacifique, a dit après la guerre, « D’un point de vue purement militaire, la bombe atomique n’a joué aucun rôle déterminant dans la défaite du Japon. » Le chef d’état-major du président Truman, l’amiral William D. Leahy, a admis qu’« Hiroshima et Nagasaki ne furent d’aucun soutien matériel dans notre guerre contre le Japon. »
A la mort du président Franklin D. Roosevelt le 12 avril 1945, Harry S. Truman accédait à la présidence. Cet homme banal et plutôt ignorant fut surnommé « le sénateur de Pendergast » en raison de ses liens avec le criminel condamné et joueur compulsif qui dirigeait la machine politique du Parti démocrate du Missouri.
Truman était complètement indifférent aux implications morales de l’utilisation d’armes nucléaires. L’un de ses conseillers se rappela plus tard qu’en apprenant le bombardement d’Hiroshima, il « était terriblement excité par l’événement et l’évoquait chaque fois qu’il me voyait. »
Au moment où Truman décida d’utiliser la bombe, le gouvernement japonais avait clairement signalé depuis des mois vouloir se rendre, insistant seulement qu’on lui permette de garder son empereur. La Maison Blanche s’était à cette date prononcée en faveur du maintien de l’empereur mais les avis étaient partagés quant au fait d’en informer les Japonais. Le président Truman décida en fin de compte de larguer d’abord la bombe et de faire connaître ensuite les conditions au gouvernement japonais.
Pourquoi alors le gouvernement des Etats-Unis s’est-il engagé sur une voie qui, bien que dépourvu de toute justification militaire, les marquerait à jamais du sceau de l’infamie aux yeux du monde ?
Alors que la guerre touchait à sa fin, le conflit entre les Etats-Unis et l’Union soviétique s’intensifiait. Conformément aux termes de l’accord de Yalta, l’Union soviétique était sur le point d’envahir le Japon en revendiquant les territoires que lui octroyaient les accords de Yalta et cherchait à jouer dans l’Europe d’après-guerre un rôle à la hauteur des pertes subies durant la guerre.
L’utilisation de la bombe atomique fut, comme l’ont récemment dit deux historiens, « la première mesure de l’Amérique dans la Guerre froide. » Elle visait à lancer un signal clair à l’Union soviétique qu’en dépit de la victoire de l’Union soviétique sur l’Allemagne, les Américains étaient les maîtres du monde.
La destruction d’Hiroshima et Nagasaki a annoncé l’avènement des Etats-Unis en tant qu’hégémon impérialiste incontesté du monde, intimidant l’ensemble de l’humanité et lui dictant ses conditions. Derrière un mince couche de démocratie, les Etats-Unis signalaient qu’ils feraient tout ce qui est nécessaire pour sauvegarder et étendre leurs propres intérêts, peu importait l’ampleur du crime ou du nombre de gens devant mourir.
Depuis le bombardement d’Hiroshima il y a soixante-dix ans, la détermination de la classe dirigeante américaine à recourir à la force armée pour défendre ses intérêts n’a fait que croître. Obama visitera Hiroshima dans le cadre d’une réunion du Groupe des Sept où il s’efforcera de renforcer l’alliance anti-chinoise des Etats-Unis et du Japon et de faciliter la remilitarisation du pays par le premier ministre Shinzo Abe.
Alors même qu’elle réclame « la non-prolifération nucléaire » de tous les autres pays, la Maison Blanche dépense mille milliards de dollars pour moderniser l’arsenal nucléaire américain et s’engage dans une succession de provocations contre la Chine et la Russie risquant de déclencher une guerre entre Etats nucléaires.
Autrement dit, Obama ira à Hiroshima non pas pour s’excuser de crimes passés mais pour en préparer de nouveaux.
Comment peut-on s’attendre à ce que le gouvernement américain qui, depuis Hiroshima a été responsable de la mort de millions de personnes en Corée et au Vietnam – et dans tout le Moyen-Orient ces 25 dernières années – s’excuse pour un meurtre de masse alors qu’il continue de le commettre à ce jour ?
Mais, le jour viendra dans une Amérique socialiste où les atrocités commises par la classe dirigeante seront dénoncées et les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki reconnus pour ce qu’ils sont : des crimes contre l’humanité.
(Article original paru le 13 mai 2016)