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Marwane Barghouti, le Mandela Palestinien, pour le Prix Nobel de la Paix 2016 (Madaniya)

par René Naba 8 Juin 2016, 18:04 Marwane Barghouti Prix Nobel Palestine Israël Belgique Anticolonialisme Colonialisme

Le parlement tunisien a proposé, le 7 avril 2016, la candidature de Marwane Barghouti au Prix Nobel de la Paix, dans une démarche qui illustre la défiance de la Tunisie à l’égard de la normalisation rampante des pétromonarchies du Golfe avec Israël, considéré par les Palestiniens comme l’usurpateur de la Palestine.

En écho, le parlement belge lui a emboité le pas. Les chefs de groupes politiques du parlement belge, toutes tendance confondues, ont adressé une lettre au «Comité Norvégien du Prix Nobel de la Paix» réclamant que soit remis au prisonnier politique palestinien cette distinction, considérant que ce condamné à perpétuité par la puissance occupante israélienne est le «Mandela palestinien».

“La paix exige la libération de Marwan Barghouti et celle de tous les prisonniers politiques, comme celle de l’ensemble du peuple palestinien, qui vit sous occupation depuis des décennies », ont écrit les parlementaires belges dans une lettre collective.

“En accordant le prix Nobel de la Paix à une personne qui symbolise la lutte du peuple palestinien pour la liberté, mais aussi leur aspiration à vivre en paix, un leader qui a la capacité d’unir les Palestiniens autour d’un projet politique qui s’appuie sur le droit international et le retour aux frontières de 1967, menacées par la colonisation galopante et l’absence d’horizon politique, le Comité du Prix Nobel de la Paix contribuerait à faire revivre l’indispensable espoir de sortir de l’impasse politique actuelle ».

Cette lettre rappelle également la « Déclaration de Robben Island » de 2013, signée par huit prix Nobel de la Paix, ainsi que le président Jimmy Carter et le Sud-Africain Ahmed Kathrada, à l’intérieur de la cellule occupée durant 27 ans par Nelson Mandela dans la vieille prison de Robben Island.

Récidiviste, la Tunisie a refusé de criminaliser le Hezbollah libanais, considérant que la formation chiite est une formation combattante, assurant qu’elle soutenait sa lutte pour la libération du territoire libanais, par allusion aux fermes de Cheba’a, se démarquant ainsi de la majorité des états membres de la Ligue arabe, à l’exception de l’Algérie, dont la position est singulière en la matière.

La position de l’Algérie, de la Tunisie et de la Belgique tranchent avec la crispation philosioniste du pouvoir socialiste français, particulièrement de l’exécutif, François Hollande, qui se débrouillera toujours pour dénicher une «chanson d’amour» pour Israël, Manuel Valls, lié de «manière éternelle à Israël» ou encore l’ancien ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, le petit télégraphiste des Israéliens lors des négociations internationales sur le nucléaire iranien.

Ce papier a été publié pour la première fois le 5 juin 2009 sur www.renenaba.com au lendemain du discours du Caire du président fraîchement élu américain Barack Obama. L’auteur a décidé de le remettre en ligne, en guise de flashback à la veille de la commémoration du premier centenaire de la promesse Balfour, alors que le président américain est en fin de mandat et que la Palestine est en voie de de phagocytose totale de la part des Israéliens.

L’auteur revient sur cet aspect méconnu de la guerre psychologique menée par Israël contre les Arabes en vue de les contraindre à intérioriser leur infériorité dans un papier intitulé «La symbolique de la sentence contre Marwane barghouti ou de l’usage du calendrier comme fonction traumatique».

Paris, 5 juin 2009- Cinq peines de prison à vie et une peine de sûreté incompressible de 40 ans de détention, soit, pour une durée de vie moyenne de 60 ans, un total de 340 années de détention, record mondial absolu de tous les temps. Il faudra donc à Marwane Barghouti, le chef de la jeune garde palestinienne, plus de trois siècles de vie pour purger la peine que lui a infligée dimanche 6 juin 2004 la justice israélienne.

Trois siècles pour purger un crime imprescriptible le «crime de patriotisme».

La sentence est sans surprise, tant par sa lourdeur que par le choix du jour du verdict.

Le patriotisme palestinien est une matière corrosive, le principal obstacle à l’expansionnisme israélien, la peine peut paraître dans ce contexte justifiée dans la logique hégémonique israélienne et de la fonction traumatique du verdict.

Il n’a échappé à personne que la sentence est tombée le jour où la planète entière ce dimanche là avait les yeux rivés sur les plages de Normandie où les anciens alliés de la Deuxième Guerre mondiale -Américains, Anglais, Français et Russes- scellaient leur réconciliation avec leur ancien adversaire allemand. Luxe de raffinement ou de sadisme ?

Le verdict israélien contre l’un des symboles du combat national palestinien est intervenu le jour anniversaire de Marwane Barghouti. Il singularise ainsi Israël en plaçant ce pays à contre-courant d’une tendance générale au dépassement des conflits hérités de la guerre froide.

Mais ce verdict de guerre n’est pas le fruit d’un hasard fortuit. La bataille dans l’ordre symbolique revêt une importance primordiale dans le contexte de guerre totale que livre Israël, car elle détermine, au delà d’une lecture linéaire de l’actualité, l’issue d’un combat capital, la bataille pour la captation de l’imaginaire arabe et partant la soumission psychologique de ses adversaires. Dans cette guerre psychologique, deux dates ont une fonction traumatique dont Israël en use régulièrement à l’encontre de ses ennemis à la manière d’un coup de butoir répétitif afin d’intérioriser l’infériorité arabe et d’ancrer dans l’opinion l’idée d’une supériorité permanente israélienne et partant d’une infériorité irrémédiable arabe.

La grande date traumatique est celle de la bretelle du 5-6 juin surchargée d’histoires:

Sur cette date se concentre en effet la troisième guerre israélo-arabe de juin 1967 ; la destruction de la centrale nucléaire irakienne de Tammouz le 5 juin 1981, ordonnée par Menahem Begin pour tester les réactions du nouveau président socialiste français François Mitterrand ; le lancement de l’opération «Paix en Galilée» contre le Liban, le 6 juin 1982, visant à déblayer la voie à l’élection à la présidence libanaise du chef phalangiste libanais Bachir Gemayel, enfin le 6 juin 2004 la lourde condamnation de Marwane Barghouti.

La Guerre de juin 1967, première guerre préemptive de l’histoire contemporaine, a permis à Israël, -déjà à l’époque première puissance militaire nucléaire du Moyen-Orient et non «le petit David luttant pour sa survie contre un Goliath arabe»-, de s’emparer de vastes superficies de territoires arabes (le secteur Est de Jérusalem, la Cisjordanie, la Bande de Gaza, le plateau syrien du Golan et le désert égyptien du Sinaï) et de briser l’élan du nationalisme arabe. Mais elle a du même coup accéléré la maturation de la question palestinienne et favorisé l’émergence du combat national palestinien qui demeure encore de nos jours, 42 ans après, le principal défi qui se pose à Israël.

La guerre du Liban de juin 1982, culminant avec un siège de 56 jours de la capitale libanaise, si elle a provoqué la perte du sanctuaire libanais de l’Organisation de Libération de la Palestine et le départ forcé de Yasser Arafat de Beyrouth, elle a dans le même temps donné naissance à une résistance nationale libanaise armée symbolisée par le Hezbollah (le Parti de Dieu) qui forcera dix huit ans plus tard l’invincible armée israélienne à une retraite sans gloire du sud-liban, le 25 mai 2000, premier dégagement militaire israélien d’un territoire arabe non assorti d’un traité de paix.

L’allié des Israéliens a bien accédé à la magistrature suprême, mais pour une présidence éphémère toutefois. Bachir Gemayel sera tué dans un attentat à la veille de sa prise de pouvoir et les Israéliens éclaboussés par les massacres des camps palestiniens de Sabra-Chatila qui ont suivi son assassinat.

L’autre date traumatique de la guerre psychologique anti-arabe menée par Israël est celle de la bretelle du 11-13 avril, date d’une triple commémoration :

  1. celle du raid israélien contre le centre de Beyrouth, le 11 avril 1973, qui a entraîné l’élimination de trois importants dirigeants de l’OLP Kamal Nasser son porte-parole, Abou Youssef Al-Najjar, son ministre de l’Intérieur ainsi que Kamal Adwane, le responsable des organisations de jeunesse.
  2. celle du déclenchement de la guerre civile inter factionnelle libanaise deux ans plus tard, le 13 avril 1975, la troisième, celle du raid aérien américain sur Tripoli (Libye), le 13 avril 1986, puis ultérieurement l’imposition du boycottage de la Libye par les Nations Unies le 13 avril 1992.
  3. La condamnation de Marwane Barghouti, un des rares dirigeants palestiniens bilingues arabo-hébraïque, a éliminé de la vie politique active l’un des plus brillants représentants de la relève palestinienne, l’antithèse des bureaucrates corrompus à la représentativité problématique. Mais elle répond surtout à une fonction traumatique.

Par son excès toutefois, le verdict est lourd de conséquences en termes d’images pour les Israéliens, encombrés désormais d’un prisonnier charismatique et galvaniseur. Liant sa libération au triomphe qu’il juge inéluctable de la lutte du peuple palestinien, Marwane Barghouti n’a pas voulu se laisser enfermer dans la logique de ses adversaires.
Prenant le contre argument de ses ennemis par une opération de retournement psychologique, il a salué sa condamnation comme une victoire morale des combattants palestiniens sur leurs bourreaux israéliens. En le victimisant, les Israéliens l’ont transformé en symbole et les geôliers israéliens sont devenus ainsi, au regard de ses nombreux sympathisants dans le monde, les propres captifs de leur prisonnier palestinien. Avec en prime un symbole encombrant à gérer.

Le hasard favorise parfois le calendrier, la coïncidence apparaît alors comme un signe du destin. Marwane Barghouti a été condamné à la détention à perpétuité le jour du décès de l’ancien président américain Ronald Reagan, celui-là même qui avait dit «Bye Bye l’OLP», le jour de l’évacuation des Fedayin de la capitale libanaise en septembre 1982. En 25 ans les Fedayin se sont transformés en Moudjahiddine et le fait national palestinien a survécu à Ronald Reagan. Un clin d’œil de l’histoire ?
Un symbole vit de sa propre vie en dehors de son porteur et la lutte des peuples pour leur survie obéit à d’autres paramètres que ceux engrangés dans les ordinateurs sophistiques de la guerre intelligente. Le moteur du combat d’un peuple pour sa survie est la dignité. L’honneur, la sève qui nourrit sa résistance. Ces paramètres là sont par essence non quantifiables. Ils échappent par définition à toute mise en équation. Marwane Barghouti en a fait l’éclatante démonstration lors du verdict traumatique du 6 juin 2004.

En 49 ans, les coups de butoir répétitifs israéliens ont eu donc des résultats mitigés, parfois même en contradiction avec l’objectif visé. Tout au long de ce conflit, Israël a veillé à s’assurer la maîtrise du récit médiatique et le monopole de la compassion universelle pour les persécutions dont les Juifs ont été les victimes au XIX me et XX me siècles en Europe. Mais la destruction de la ligne Bar Lev par les Égyptiens lors de la Guerre d’octobre 1973 a libéré les Arabes de la peur panique que leur inspirait l’État Hébreu, et, avec les volontaires de la mort, les bombes humaines ont fait 914 morts du côté israélien lors de la deuxième Intifada palestinienne (2000-2003). La peur est désormais équitablement répartie entre les deux camps, alors que, parallèlement, les massacres des Palestiniens de Sabra et Chatila, en 1982, ont brisé le mythe de la «pureté des armes israéliennes» et le dégagement militaire du Sud du Liban, le «mythe de l’invincibilité israélienne».

Le temps historique n’est pas réductible au temps médiatique. Israël, durant le premier demi-siècle de son indépendance (1948-2000), a été victorieux dans toutes les guerres qui l’ont opposé aux armées conventionnelles arabes, mais la tendance s’est inversée depuis le début du XXI me siècle, avec la mise en œuvre de la stratégie de la guerre asymétrique.

Toutes ses confrontations militaires avec ses adversaires arabes se sont depuis lors soldées par des revers militaires, que cela soit au Liban, en 2006, contre le Hezbollah chiite libanais, ou en 2008 à Gaza, en Palestine, contre le Hamas sunnite palestinien.

Longtemps sous la coupe des états arabes, les Palestiniens ont livré dans leur ghetto de Gaza, en décembre 2008, leur première guerre indépendante de toute tutelle. Désastreux sur le plan humain pour les Palestiniens, ce combat solitaire et solidaire de toutes les formations de la guérilla, y compris le Fatah de Mahmoud Abbas, et les formations marxistes, a néanmoins suscité un regain de sympathie internationale envers la revendication nationale palestinienne et placé sur la défensive les gouvernements arabes.

Désastreuse pour les Israéliens, sur le plan moral, l’expédition punitive israélienne continuera de produire ses effets corrosifs aussi longtemps que les pays occidentaux feront l’impasse sur les violations israéliennes au prétexte d’assurer «la sécurité d’Israël» et de le ravitailler en armes, sans prendre en compte l’insécurité que son bellicisme débridé génère à son environnement, ni brider la colonisation rampante de la Palestine. Aussi longtemps qu’ils continueront de témoigner de leur mansuétude à l’égard de leur gendarme régional, générateur en chef du Hamas par quarante ans d’occupation illégale et abusive de la bande de Gaza, anciennement sous souveraineté égyptienne.

La sophistication de la guerre psychologique menée depuis près de 60 ans par Israël ne saurait masquer la réalité.
Israël vit une situation schizothymique : Un état de Droit, certes, mais exclusivement à l’égard de ses citoyens de confession juive, un état d’apartheid à l’égard de la composante palestinienne de sa population, une zone de non droit et de passe droit dans ses colonies et sur la scène régionale, au point que bon nombre d’observateurs, pas uniquement arabes, pas uniquement musulmans, tendent à le considérer comme l’état voyou N°1 sur la scène internationale.

  • Pour audacieuse que soit sa vision du monde et novatrice sa démarche, le président Barack Obama se devrait de savoir :
    Que le monde arabo musulman n’a pas le monopole de la terreur aveugle, comme en témoigne la vitrification de Hiroshima et Nagasaki (Japon) et de Dresde (Allemagne), cibles urbaines d’innocentes victimes civiles.
  • Que la «génération des lanceurs de pierre», véritable déclencheur de la première «Intifada» palestinienne en 1987, puis de la deuxième Intifada en 2000, a surgi dans la foulée de l’invasion israélienne du Liban en 1982 visant à démanteler les structures de l’Organisation de libération de la Palestine.
  • Que les «volontaires de la mort» ne sont nullement animés exclusivement d’une «idéologie du mal», selon l’expression de lancienpremier ministre britannique Tony Blair, ou d’une «culture de la mort», selon la thématique saoudo américaine, mais aussi et sans doute dans les mêmes proportions d’une aversion profonde à l’égard de la morgue occidentale et que les «bombes humaines» constituent surtout une réponse inhumaine à la non-reconnaissance de l’humanité des interlocuteurs légitimes de la cause palestinienne.
  • Que les combattants islamiques tant du Hamas que du Hezbollah que les partisans du chef chiite irakien Moqtada Sadr appartiennent à une génération que la promesse la plus alléchante ne saurait dévier de leur trajectoire, tant en Irak qu’au Liban, qu’en Palestine, aussi longtemps que la boulimie annexionniste d’Israël n’aura pas été bridée, aussi longtemps que la dignité du peuple palestinien et des autres peuples arabes sera bafouée.

Aussi longtemps que sera proposé un état croupion palestinien pour solde de tout compte à la spoliation de la Palestine. Aussi longtemps enfin que Mme Hillary Clinton, Secrétaire d’État américain, en tournée au Moyen-Orient, de même que son prédécesseur républicain Condoleeza Rice, se précipiteront à Beyrouth pour fleurir la tombe de Rafic Hariri, l’ancien premier ministre libanais assassiné, tout en persistant à négliger à leur passage à Ramallah (Cisjordanie), le mausolée de Yasser Arafat, le symbole de la renaissance du peuple palestinien.

Aussi longtemps que les dirigeants occidentaux autoproclamés «amis du peuple palestinien» s’appliqueront à contourner Ramallah, siège du pouvoir légal palestinien, pour rencontrer Mahmoud Abbas à Jéricho, comme ce fut le cas de Nicolas Sarkozy lors de son voyage en juin 2008, toujours dans le même but d’éviter le Mausolée de Yasser Arafat, comme si un Prix Nobel de la Paix palestinien constituait une monstruosité infamante, comme si le porte étendard de la revendication nationale palestinienne était pestiféré même au delà de la mort.

Une génération de combattants qui pense -et avec elle bon nombre d’adultes pas nécessairement uniquement arabes ou musulmans- qu’il existe un lien entre les attentats de Londres, de Madrid et d’ailleurs, -contrairement à la thèse défendue par Tony Blair-, un lien même entre les attentats de Londres et la Palestine, au-delà, un lien par ricochet avec la promesse Balfour, une promesse anglaise à l’origine de la création de l’État d’Israël.

Par glissement successif, Israël a été perçu dans un premier temps comme un fait colonial, le «coup de poignard» de l’Europe au cœur du Monde arabe, puis le bras armé de l’Amérique, enfin le «levier stratégique» de l’Occident dans la zone, son croquemitaine.

Sauf à vouloir se vivre en forteresse assiégée, une telle image paraît difficilement compatible avec une éventuelle intégration régionale, malgré toutes les barrières de sécurité et les murs de séparation, malgré toutes les rodomontades de tous les militaires ou paramilitaires qui se sont succédé à la tête du gouvernement israélien (Menahem Begin, Itzhak Shamir, Itzhak Rabin, Ehud Barak, Ariel Sharon), malgré le soutien intempestif de leurs relais au sein de la diaspora juive et de la communauté des chrétiens sionistes, de l’ordre de 70 millions de personnes dans le monde, et la servitude résignée de bon nombre de dirigeants arabes.

Le refuge des juifs, des rescapés des camps de la mort et des persécutés, le pays du Kibboutz socialiste et de la fertilisation du désert, des libres penseurs et des anticonformistes est devenu, aussi, au fil des ans, un bastion de la religiosité rigoriste, des illuminés et des faux prophètes, de Meir Kahanna (Ligue de la Défense Juive) à Baruch Goldstein, l’auteur de la tuerie d’Hébron, le 25 février 1994, le pays des gangs mafieux et des repris de justice, des Samuel Flatto-Sharon à Arcadi Gaydamak.
Un phénomène amplifié par la décomposition de l’esprit civique, gangrené par l’occupation et la corruption affairiste des cercles dirigeants, matérialisé par le naufrage du parti travailliste, le «parti des pères fondateurs», et la cascade de démission au plus haut niveau de l’état soit pour harcèlement sexuel, soit pour des faits en rapport avec l’argent illicite.

La propulsion d’Avigor Libermann sur le devant de la scène politique israélienne constitue à cet égard une illustration caricaturale du «Droit au retour» dans son extravagance la plus criante, en ce qu’elle confère à un ancien videur de boîtes de nuit de Kiev, du seul fait de sa judéité, et, au détriment des habitants originels du pays, une part du destin du Moyen orient. Elle constitue par là même la marque de l’aberration du projet sioniste dans ses manifestations les plus extrêmes, l’échec patent du projet occidental.

Près de 100 ans après sa fondation, le Foyer National Juif apparaît ainsi rétrospectivement comme la première opération de délocalisation de grande envergure opérée sur une base ethnico religieuse en vue de sous traiter au Monde arabe l’antisémitisme récurent de la société occidentale.

Et la Palestine, dans ce contexte, est devenue un immense défouloir de toutes les frustrations recuites générées des bas fonds de Kiev (Ukraine) et de Tbilissi (Géorgie) au fin fond de Brooklyn (États-Unis), la plus grande prison du monde, le plus grand camp de concentration à ciel ouvert pour les Palestiniens, les propriétaires originels du pays.

Le droit à l’existence d’Israël ne saurait impliquer un devoir d’anéantissement du peuple palestinien, ni son droit à la sécurité, l’insécurité permanente des pays arabes.

Curieux cheminement que celui des rescapés des Ghettos de Varsovie et d’ailleurs que de «s’emmurer» (2) en terre d’Orient, comme le signe d’une impasse de la société israélienne, soixante ans après la transformation de son «Foyer National» en état indépendant.

La mobilisation identitaire constitue la marque d’une crise interne du système politique, la ghettoïsation, la marque d’une régression car elle entraîne une éviction de l’intrus et non la reconnaissance de l’autrui. Une équation à tous égards réversible… tant qu’il est encore temps.

René Naba

  1. Le 25 février 1994, Baruch Goldstein, un médecin, colon juif d’origine américaine installé à Kyriat Arba, colonie forteresse fief de la colonie orthodoxe implantée à l’entrée d’Hébron, pénètre dans la mosquée bondée d’Abraham, située dans la ville biblique d’Hébron en Cisjordanie. Au cri de «Joyeux Pourim», il vide trois chargeurs de 30 cartouches à l’aide de son fusil d’assaut automatique sur l’assistance constituée de quelque 800 Palestiniens en prière, tuant 29 personnes et en blessant 150 autres avant d’être battu à mort.
  2. Fidèle de longue date du groupe fondamentaliste radical juif, le mouvement «Kach», Baruch Goldstein était motivé par un mélange compliqué de ce qui ressemble à des considérations inextricables de nature politique et religieuse, alimentées par le fanatisme et par un sentiment aigu de trahison en constatant que son Premier ministre était en train de «conduire l’État juif hors du patrimoine légué par Dieu et vers un danger mortel». Le Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, s’exprimant au nom de la grande majorité des Israéliens, exprima son dégoût, sa révulsion, ainsi que sa profonde tristesse à l’égard de l’acte commis par un «fanatique dérangé», tandis qu’une grande proportion des colons orthodoxes militants ont qualifié Goldstein d’homme juste et lui ont conféré la dignité de martyr.
  3. 2. «Les Emmurés, la société israélienne dans l’impasse» de Sylvain CYPEL, journaliste au quotidien Le Monde. Éditions La découverte Février 2005 Ainsi que «Destins croisés, Israéliens, Palestiniens, l’Histoire en partage» de Michel Warshawski, préface d’Avraham Burg- Editions Riveneuve Avril 200
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