Coup d’État au Paraguay : 4 ans de dévastation sociale et économique néolibérale Par Mariana Serafini Vermelho Traduction Si le Brésil (entre autres) m’était traduit... Lu sur LGS
Il y a exactement quatre ans [le 22 juin 2012], dans son bureau du Palais de la Présidence, Fernando Lugo, le président élu du Paraguay, assistait à la télévision au coup d'État qui allait aboutir à sa déposition. Dehors, des tireurs d'élite pointaient leur arme contre les manifestants qui luttaient pour la démocratie. La première action des putschistes fut d'attaquer les mouvements sociaux. Le ton du gouvernement à venir était donné.
Le président Horacio Cartes fut élu un peu plus d’un an après le coup d’État. Après quatre ans de Lugo, le Parti Colorado revint au pouvoir, avec une marge étroite face aux putschistes du Partido Liberal Radical Autêntico - Parti Libéral Radical Authentique (sic NdT). C’était la fin du court cycle progressiste et un retour triomphal du néolibéralisme, avec toute la légitimité garanti par un État démocratique.
L’économiste paraguayen Gustavo Codas, qui occupa le poste de directeur général de l’usine hydroélectrique d’Itaipu Binationale (entre le Paraguay et le Brésil NdT) de 2010 à 2011, a discuté avec Vermelho de l’état de son pays quatre ans après le coup d’État.
« Le coup d’État a été fait selon l’argument supposé que le gouvernement Lugo ’piétinait’ les institutions de la République. Mais aujourd’hui, quatre ans après le coup d’État, le pays se trouve dans une situation très préoccupante. La contrebande, le trafic de drogues et le crime organisé ont non seulement pénétré les institutions, mais paraissent totalement hors de contrôle. C’est bien sûr un problème ancien, mais cette perte complète de contrôle est quelque chose de nouveau ».
Le gouvernement de Lugo a été marqué par de petites avancées sociales, mais qui signifiaient beaucoup dans un pays dominé pendant 60 ans consécutifs par les Colorados. En peu de temps, toutes les conquêtes ont disparu et le nouveau président, sans aucune vergogne, a ouvert grand les portes du pays à l’exploitation étrangère. Lors d’une réunion avec des investisseurs brésiliens, Cartes a utilisé l’affligeant slogan de la marque C&A « use et abuse » pour présenter les avantages de son gouvernement : « usez et abusez du Paraguay ». Et pour bien enfoncer le clou, il n’eut aucun complexe, à une autre occasion, en Uruguay, à affirmer que le Paraguay était comme « une femme jolie et facile ».
Codas pense que l’un des principaux impacts négatifs du coup d’État fut cette régression. Il affirme que « le pays a recommencé à expérimenter les politiques néolibérales les plus dures ». Pire encore que le projet anachronique des années 90. Pourtant, même avec l’appui du Congrès et du Sénat, les politiques économiques et de sécurité publique de Cartes sont désastreuses. Le trafic de drogues est complètement hors de contrôle et les emplois tant promis n’ont pas été créés.
Récemment, le crime organisé a agit d’une manière spectaculaire en assassinant l’un des grands chefs du trafic à Pedro Juan Caballero, une région frontalière avec le Mato-Grosso [Brésil], en utilisant une mitrailleuse capable d’abattre un avion. Sans aucune préparation, la police a effectué ensuite une autre de ses nombreuses actions désastreuses, déjà caractéristiques de l’ère Cartes, en envahissant une ferme, apparemment sans beaucoup de tactique, et en assassinant un enfant de trois ans. Une autre personne a été gravement blessée. On n’en connaît pas les motifs. Voilà seulement un portrait de la politique de sécurité publique du président qui offre « à user et à abuser » de son pays.
Ces cas ont amené le Ministre du Secrétariat National Anti-drogues, Luis Rojas, à demander sa démission. La presse locale a annoncé que le nouveau ministre serait indiqué par la DEA, organe de la Police Fédérale du Département de la Justice des États-Unis, tant est grande l’influence nord-américaine au sein du gouvernement Colorado.
« Nous voilà revenus à un pays tourné vers le passé, non seulement parce que le gouvernement promeut un projet néolibéral, mais aussi parce que la polarisation sociale, avec l’appauvrissement de beaucoup et l’enrichissement de certains, ainsi que l’affaiblissement des institutions de l’État face au crime organisé, sont des éléments très présents. Et peut-être comme jamais depuis la re-démocratisation, en 1989. Ceci montre qu’un coup d’État, comme celui qu’a subi le Président Lugo, déstabilise, polarise et met le pays dans une zone de risque très accentué. Un coup d’État n’est jamais normalisateur. C’est une anormalité qui doit être combattue ». Affirme Codas.
Le néolibéralisme dévastateur de Cartes
Selon Codas, la stratégie du gouvernement néolibéral de Cartes est d’offrir les conditions difficiles du pays comme s’ils représentaient un avantage pour les investisseurs étrangers. « Il y a eu un attrait des investissements, mais en offrant le Paraguay comme un pays où l’on paît peu d’impôts, où les salaires sont bas, et où l’électricité est bon marché. Ce sont des ’avantages compétitifs’ supposés, mais qui sont en réalité les problèmes dont souffre le pays ».
Les politiques publiques promues par Lugo ont été affaiblies ou supprimées et n’ont pas été substituées par un processus d’investissement à grande échelle, comme Cartes l’avait promis lors de la campagne présidentielle. Ce que le Président comptait faire, c’était transformer le pays en une immense « fabrique de produits d’un bas niveau de valeur ajoutée », pour l’investisseur étranger qui souhaite les vendre au Brésil (le Brésil est le principal acheteur de produits paraguayens, et la contrebande est intense entre les deux pays NdT). Mais ceci en échange de l’abandon de tous les droits sociaux.
« Ces investissements n’ont pas été nombreux, et ceux qui ont été faits l’ont été sous la condition qu’il n’y ait pas de syndicat, créant de nouveaux pôles de conflits sociaux », explique Codas. Il dénonce le fait que le Ministère du Travail ait reçu plus de 200 demandes de création de syndicats, non reconnus pour que les entrepreneurs puissent licencier et contrôler les employés sans restriction. Finalement, s’il n’existe pas de syndicat dans une catégorie de travailleurs, il n’y a pas de protection des droits du travail. C’est comme si le Ministère du Travail était la succursale du Medef local.
L’Opération Lava-Jato et le Massacre de Curuguaty
Pour Codas, l’Opération Lava-Jato (énorme opération judiciaire déclenchée pour combattre la corruption au Brésil, à partir de malversations dans des contrats de la Petrobras NdT) est au Brésil ce que fut le Massacre de Curuguaty au Paraguay. « Dans le cas brésilien, ce fut une opération beaucoup plus sophistiquée pour créer l’opportunité du coup d’État : la manipulation des informations de l’Opération Lava-Jato » (confusion orchestrée par le judiciaire et la presse pour assimiler la corruption au seul Parti des Travailleurs, et par extension, à la Présidente Dilma NdT).
Le Massacre de Curuguaty fut un épisode tragique qui a choqué le Paraguay, exactement sept jours avant le coup d’État et qui a poussé l’opinion publique à exiger l’impeachment de Lugo. Il s’agissait d’un conflit de l’intérieur du pays, dans la région de Curuguaty, où une embuscade de la police dans le but d’expulser des paysans sans-terre a provoqué la mort de 17 personnes. Jusqu’à aujourd’hui, le crime n’a pas été élucidé.
Codas explique que la droite a besoin de temps et d’opportunités pour revenir au pouvoir et que ce n’est pas toujours possible par les voies électorales. C’est pourquoi, quand le scénario n’est pas favorable, il faut en créer l’opportunité.
« Il y a très clairement une montée de la droite parce qu’elle est forte. Elle a été battue dans les urnes, mais elle reste vivante dans la société, dans l’économie et dans la globalisation. En outre, la gauche et son projet progressiste montrent des contradictions qui doivent être résolues. Il est nécessaire pour la droite de créer les conditions pour un un coup d’État. L’opportunité impérialiste peut surgir toute seule ou peut être provoquée. Dans le cas du Paraguay, le coup d’État a eu lieu il y a quatre ans et le Massacre de Curuguaty il y a quatre ans et sept jours ».
Codas explique que, tant au Brésil qu’au Paraguay, la presse dominante a eu un rôle fondamental pour construire le décor du coup d’État. Dans les deux cas, un épisode a été manipulé et repris sans cesse jusqu’à qu’il provoque une commotion sociale et justifie la « nécessité d’un impeachment ».
« Il suffit de prendre un événement et de le transformer en scandale à travers la manipulation et l’insistance. C’est une atmosphère qui se crée. Nous avons vu ici au Brésil comment elle s’est créée autour de l’opération Lava-Jato ». Ici comme là, les objectifs du coup d’État sont identiques : « interrompre un gouvernement démocratique populaire et imposer un agenda néolibéral ». Pour Codas, le gouvernement [brésilien] de Temer est un retour au passé. « Il est tellement à droite qu’il démonte même des conquêtes qui ne datent pas du cycle progressiste, mais des années 80. C’est une régression complète ».
Le pion sur l’échiquier impérialiste sur le continent
« Tout ce que le gouvernement des États-Unis souhaite que l’on dise ou que l’on mette en place, le gouvernement paraguayen est à sa disposition pour en prendre l’initiative ».
C’est ainsi que Codas définit le rôle du Paraguay au sein du Mercosul et des autres organismes d’intégration. Un État prêt à « faire le sale boulot » au service de l’impérialisme contre l’intégration et la démocratie. L’économiste insiste sur le fait que même en pesant un poids infime sur le plan international, le gouvernement de Cartes n’a aucun complexe à se « griller » aux yeux des autres États car il est le « pion sur l’échiquier de la droite continentale ».
Codas explique qu’il est arrivé à la droite latino-américaine d’être « pondérée » sous certains aspects, mais que c’est une chose qui n’entre pas en ligne de compte pour Cartes. Le Paraguay est le pivot de la politique anti-Vénézuéla dans le Mercosul. À côté, le président argentin Macri passe pour « démocrate » et « équilibré ».
« Au Paraguay, les vecteurs les plus rétrogrades de la droite sont encore très vivaces. C’est comme un musée de la droite du vingtième siècle ».
Gustavo Codas est économiste paraguayen. Il a occupé le plus haut poste du barrage hydroélectrique d’Itaipu pendant le gouvernement Lugo.