Des poursuites judiciaires étant très peu probables au Royaume-Uni, un tribunal étranger « est un peu plus susceptible » de poursuivre Blair pour crime d’agression.
Alors que l’enquête sur l’Irak dirigée par Sir John Chilcot doit finalement remettre son rapport ce mercredi, il est important de se souvenir des questions juridiques envisagées par le gouvernement Blair lorsqu’il se préparait à envahir l’Irak en mars 2003.
Le Premier ministre ayant subi une pression intense exercée par un mouvement d’opposition à la guerre de plus en plus important et par des députés rebelles du Parti travailliste, le procureur général Lord Goldsmith a indiqué à Tony Blair en juillet 2002 qu’il n’y avait que « trois bases juridiques possibles » pour attaquer l’Irak, à savoir « l’auto-défense, l’intervention humanitaire ou l’autorisation [du Conseil de sécurité de l’ONU] ». La première justification et la seconde étaient inenvisageables, a noté Goldsmith.
Les choses étaient tout aussi tendues au Foreign Office, où Sir Michael Wood, conseiller juridique principal du ministère, a averti le secrétaire d’État aux Affaires étrangères Jack Straw qu’une invasion sans seconde résolution « [équivaudrait] à un crime d’agression ».
Malgré une énorme pression exercée sur les membres du Conseil de sécurité, le Royaume-Uni et les États-Unis ont échoué à obtenir une résolution du Conseil de sécurité. Le Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan a déclaré que la guerre représentait une violation de la Charte des Nations unies, tout comme des personnalités allant du juge en chef Lord Bingham au lauréat du prix Nobel de la paix Desmond Tutu, en passant par le néoconservateur américain de premier plan Richard Perle.
« Il est généralement reconnu par […] la plupart des avocats internationaux que l’invasion et l’occupation de l’Irak en 2003 était illégale et constituait une violation de l’interdiction de l’usage de la force prévue par la Charte des Nations unies », souligne Bill Bowring, professeur de droit à Birkbeck, Université de Londres.
« La guerre est à l’origine de millions de morts et de déplacés, le pays est toujours en flammes et il n’y a pas eu la moindre sanction contre ceux qui en sont les responsables », m’a expliqué Lindsey German, coordinatrice de la Stop the War Coalition. « Nous ne sommes pas avocats, mais beaucoup aimeraient voir Blair à La Haye ; il s’agit d’une exigence extrêmement répandue au sein du mouvement d’opposition à la guerre. »
Cette exigence est également répandue parmi le grand public : un sondage de ComRes/The Independent publié en 2010 a montré que « 37 % de la population pense que M. Blair doit être poursuivi pour être entré en guerre contre l’Irak ». Cependant, alors que le consensus entre les experts et la colère du public sont des faits bien connus, les subtilités juridiques entourant la possibilité et les modalités d’un procès de Blair et de ses collègues sont rarement explorées.
Par exemple, la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye est le seul organe qui a compétence pour engager des poursuites pour « crime d’agression ». Néanmoins, il se trouve que la CPI a seulement convenu d’une définition de travail officielle du terme en 2010. De même, elle a surtout convenu que la validité d’une affaire serait déterminée par le Conseil de sécurité des Nations unies et que les affaires ne seraient pas étudiées rétrospectivement.
Le professeur Bill Bowring et le professeur Gerry Simpson, professeur à la chaire de droit international public à la London School of Economics, concordent sur ce point, ce dernier soulignant qu’« il est pratiquement impossible que des poursuites soient engagées par un tribunal international pour ce « crime » [le crime d’agression] ». Par conséquent, les chances de voir Blair être jugé sont « extrêmement minces », explique le professeur Simpson.
De même, en 2006, la Chambre des Lords a statué que le crime d’agression ne faisait pas partie du droit national et nécessiterait une loi du Parlement pour être incorporé. Ainsi, Blair « ne peut être poursuivi devant les tribunaux nationaux du Royaume-Uni pour crime d’agression », a précisé Dapo Akande, professeur de droit international public à l’Université d’Oxford sur le blog de la revue European Journal of International Law en 2009.
Comme l’a expliqué le journaliste Richard Hall en 2010, tout cela signifie que si « le lancement de la guerre ne comportait aucun fondement juridique », il n’y a toutefois « pas [non plus] de base juridique permettant d’engager des poursuites pour cela ».
Les voies de poursuites possibles
Tout cela s’avérera profondément frustrant et décevant pour les millions de personnes qui ont manifesté contre la guerre et qui souhaitent que le gouvernement Blair réponde de ses actes. Mais tout n’est pas perdu pour eux. Il semble y avoir quelques autres options viables.
Ainsi, alors que les chances de poursuivre le gouvernement Blair pour son invasion illégale et agressive sont actuellement proches de zéro, des efforts sont en cours pour tenter de pousser le gouvernement britannique à répondre des crimes de guerre commis par les forces britanniques pendant l’occupation en elle-même. Sur la base d’un dossier monté par Public Interest Lawyers et le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme, « la nouvelle procureure [de la CPI], Fatou Bensouda, a commencé il y a deux ans une enquête préliminaire sur d’éventuels crimes de guerre commis par des membres du gouvernement dans la période d’occupation qui a suivi », explique le professeur Bowring.
La BBC a rapporté que le dossier contenait des preuves de ce qui était selon elle plus de 400 cas de mauvais traitements ou d’homicides illégaux perpétrés par les forces britanniques. « Blair aurait pu et pourrait être poursuivi pour crimes de guerre à la CPI, à La Haye », estime le professeur Bowring.
En outre, bien que cela soit encore peu probable, le professeur Simpson note qu’un tribunal étranger « est un peu plus susceptible » de le poursuivre pour crime d’agression, bien que Blair « doive se rendre dans un endroit où le crime d’agression est inscrit sur les textes de loi ». Philippe Sands, avocat de haut rang et professeur de droit à l’University College de Londres, est du même avis. « Lors de ses déplacements, Tony Blair obtient désormais des conseils juridiques sur les endroits où il peut aller et sur le système des accords d’extradition », a-t-il expliqué au Daily Mirror en 2010.
Selon Sands, une cinquantaine de pays ont inscrit le crime d’agression dans leur droit et seraient donc dangereux pour Blair s’il s’y rendait. « La possibilité qu’un procureur national poursuive Blair dans une juridiction étrangère est raisonnablement élevée », a-t-il ajouté.
Des poursuites judiciaires et des sanctions étant très peu probables au Royaume-Uni même, il pourrait continuer d’appartenir à la cour de l’opinion publique de se prononcer sur Blair et ses proches conspirateurs et de les punir.
Une chose est certaine : la réputation de Blair est taillée en pièces, l’ancien Premier ministre ne pouvant pas faire des séances de dédicaces sans donner lieu à des protestations ou apparaître en public sans que des gens essaient de réaliser une arrestation citoyenne. La toxicité de la guerre en Irak continue d’informer la politique britannique, où les challengers potentiels du leader du Parti travailliste Jeremy Corbyn sont gênés par leur soutien à la guerre.
« La publication du rapport Chilcot sera très importante », note le professeur Bowring au sujet des questions juridiques qui entourent la guerre en Irak. Si le contenu du rapport sera bien sûr au centre du débat, le facteur déterminant quant à la façon dont cela se jouera sera sans doute la réponse du Parti travailliste de Corbyn, des médias et du public.
La Stop the War Coalition organise une manifestation le 6 juillet à Londres à l’occasion de la présentation du rapport, puis un rassemblement le 7 juillet. « Nous ferons tout notre possible pour faire comprendre ce que signifient vraiment les questions de la légalité, du mensonge et de la création d’un futur chaos, affirme Lindsey German. Nous ne savons pas si Chilcot contribuera à pointer du doigt les coupables, mais nous savons que cela reste une question d’une importance capitale pour des millions de personnes en Grande-Bretagne. »
Ian Sinclair est un écrivain indépendant basé à Londres, auteur de The March that Shook Blair: An Oral History of 15 February 2003.
Article original
Source: www.MEE
Source: Russia today
Après sept ans d’enquête, la commission, sous la présidence de l’ancien militaire John Chilcot, a enfin présenté son très attendu rapport, où Tony Blair est accusé d’avoir exagéré la nécessité d’une guerre en Irak.
«Les ministres savaient que les plans des Etats-Unis étaient inadéquates. […] Finalement, Tony Blair n’a que réussi à obtenir l’accord du président Bush qu’il devrait y avoir une autorisation de l’ONU quant au rôle [des deux pays] après le conflit», a déclaré John Chilcot.
Lors de son discours, John Chilcot a précisé à maintes reprises que les circonstances dans lesquelles le gouvernement du Royaume-Uni avaient décidé d’envahir l’Irak n’étaient pas «satisfaisantes».
«La politique britannique en Irak était basée sur les fausses données de l’intelligence», a-t-il souligné.
Malgré les avertissements que Tony Blair aurait reçus et selon lesquels l’invasion militaire ne mènerait qu’à l’amplification des activités terroristes, l’ancien ministre a décidé de suivre l’exemple des Etats-Unis et d’y participer.
«Le gouvernement de Tony Blair a échoué à atteindre ses objectifs», a-t-il conclu. «Malgré les avertissements qui ont pu venir d’un peu partout, les conséquences de l’invasion ont été sous-estimées. Le plan d’action préparé pour l’après Saddam Husseim était totalement inadéquate».
Evoquant le rôle de Tony Blair dans la décision d’envoyer des forces militaires en Irak, John Chilcot a accusé l’ancien Premier ministre d’avoir trompé la population, affirmant que l’Irak possédait des armes de destructions massives, ce qui n’a jamais été confirmé.
«Les alertes quant à la gravité de la menace des armes de destruction massive en Irak n’étaient pas justifiées», a-t-il poursuivi.
«Nous avons conclu que la décision du Royaume-Uni d’envahir l’Irak a été prise avant que les options [pour un règlement] pacifiques du désarment aient été épuisées», a déclaré John Chilcot.
Le rapport très attendu de la commission Chilcot voit enfin le jour. Pendant sept ans, la commission a mené son enquête sur la nécessité de l’invasion de l’Irak en 2003 par les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Plus de 120 témoins, y compris Gordon Brown et Tony Blair, ont été auditionnés. Les familles des soldats décédés dans la campagne exigent que l’ancien Premier ministre britannique soit traduit en justice. Au moins 179 Britanniques sont morts en Irak.
Le rapport révèle des documents mettant en évidence que Tony Blair et George W. Bush discutaient de l’invasion de l’Irak un an avant le début des négociations officielles.
La guerre en Irak a été déclenchée le 19 mars 2003. Des dizaines de milliers d’Irakiens ont été tués lors de cette guerre, qui a en outre été suivie de violences interconfessionnelles. Quelques 45 000 soldats britanniques y ont pris part entre les années 2003 et 2009.
Russia Today : 6 juil. 2016
Au Royaume-Uni, dans le cadre de l’enquête sur la légalité de la participation des troupes britanniques dans la guerre en Irak, 29 lettres de l’ex-premier ministre britannique Tony Blair à l’ancien président américain George W. Bush ont été publiées le 5 juillet.
Des députés britanniques avaient déjà l’intention, en amont, de lancer des poursuites judiciaires à l’encontre de Tony Blair dans le cadre de l’enquête sur les circonstances de la participation de Londres dans l’intervention internationale en Irak en 2003.
La commission dirigée par l’ancien vice-ministre permanent des Affaires intérieures du Royaume-Uni John Chilcot, étudie la légalité des ordres sur la participation à l’invasion de l’Irak. Les dernières audiences publiques ont eu lieu en 2011, cependant, la publication des résultats a à plusieurs reprises été reportée depuis lors.Selon The Times, ils seront publiés le 6 juillet et consistent en 13 volumes contenant 2,6 millions de mots.
29 lettres de Tony Blair à George W. Bush avant l’invasion de l’Irak figurent parmi des centaines de documents déclassifiés qui seront publiés avec le rapport de M.Chilcot.
Selon les médias britanniques, un an avant l’invasion, l’ancien premier ministre britannique et l’ex-président américain sont convenus d’opérations militaires conjointes. Dans le même temps, au cours de cette année, M.Blair prônait, dans ses discours publics, des moyens diplomatiques pour surmonter la crise.
Par ailleurs, selon des analystes politiques, Tony Blair a accepté de risquer la vie de nombreux militaires britanniques uniquement dans le but d’obtenir de la part du président américain une mise en avant de son travail et une reconnaissance sur la scène internationale.
En octobre 2015, l’ex-chef du gouvernement britannique a toutefois reconnu que l’intervention en Irak a 2003 a été parmi les facteurs ayant entraîné la montée en puissance de Daech, qui contrôle aujourd’hui de vastes territoires en Irak comme en Syrie voisine.
05.07.2016
Source: https://fr.sputniknews.com/international/201607051026424862-correspondance-blair-bush-guerre-irak/
«Nous avons pris la bonne décision. Le monde est meilleur et plus sûr sans Saddam Hussein», a déclaré le Premier ministre britannique des années 1997-2007, Tony Blair, lors d’une conférence de presse consécutive à la publication du rapport Chilcot dont la rédaction a pris plus de sept ans.
«Si le dictateur irakien Saddam Hussein était resté au pouvoir en 2003, il aurait continué à poser une menace à la paix dans le monde», a-t-il ajouté en rejetant l’accusation que l’intervention en Irak avait augmenté la menace terroriste.
«C’était la décision la plus difficile que j’aie jamais prise. [….] Et je l’ai prise de bonne foi et dans ce que je pensais être l’intérêt supérieur du pays. J’en endosse l’entière responsabilité. J’éprouve plus de peine, de regrets et d’excuses que vous ne pouvez l’imaginer», a-t-il poursuivi.
Lors de son long discours devant les journalistes qui a duré plus de 45 minutes, Tony Blair a également rejeté les accusations faisant état que les informations des services de renseignement sur la préssence d’armes de destruction massive en Irak avaient été mal vérifiées.
«Comme le rapport le montre, il n’y a pas eu de mensonges, le parlement et le gouvernement n’ont pas été trompés, il n’y avait pas d’engagement secret pour aller à la guerre. [….] Les renseignements n’ont pas été falsifiés et la décision a été prise de bonne foi. Je savais que ce n’était pas une décision populaire. Je l’ai prise parce que je pensais que c’était la bonne chose à faire», a-t-il évoqué.
«Il était important que les Etats-Unis ne soient pas seuls dans la lutte contre le terrorisme», a-t-il souligné.
La guerre en Irak a été déclenchée le 19 mars 2003 quand les forces alliées des Etats-Unis, dont le Royaume-Uni, l’Australie et la Pologne, sont entrées dans le pays afin d’évincer Saddam Hussein et le parti Baas du pouvoir sous le prétexte de restaurer la «démocratie en Irak». La guerre a duré plus de six ans. Des dizaines de milliers d’Irakiens ont été tués. Malgré la mort de Saddam Hussein, la situation dans la région ne s’est pas stabilisée. Les violences interconfessionnelles y ont succédé.