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À Alep, le rapprochement entre Moscou et Ankara reste lointain (OLJ)

par Lina KENNOUCHE 12 Août 2016, 05:05 Alep Turquie Russie Al-Nosra Al-Quaïda USA Tensions

Il reste difficile de concevoir un revirement de position de la Turquie qui la mettrait aux prises avec ses principaux alliés, en l'absence de contrepartie tangible.

Après plusieurs jours d'affrontements, la confrontation se poursuit au sud d'Alep. En s'emparant du quartier de Ramousseh dimanche à la suite d'une attaque visant l'académie militaire, les rebelles sont parvenus à briser la ligne de défense de l'armée syrienne pour établir la jonction avec leur secteur dans l'est de la ville. L'assaut contre les lignes du régime a donc permis d'ouvrir une brèche d'environ un kilomètre de longueur et 900 mètres de largeur.
Mais si cette brèche est une victoire symbolique et un succès provisoire, l'espace laissé est insuffisant pour offrir un avantage tactique déterminant. Les mouvements des rebelles pourraient être paralysés par la puissance de feu de l'adversaire, et il semble difficile d'édifier les fortifications qui permettraient à Fateh el-Cham (ex-Front al-Nosra) d'espérer conquérir la totalité d'Alep. Les forces du régime aidées par les raids massifs russes qui visent les positions de Fateh el-Cham ont donc concentré leurs efforts hier dans le sud pour tenter d'encercler les rebelles. Dans ce contexte, la proposition d'une trêve humanitaire de 3 heures quotidiennes, avancée mercredi par l'armée russe, n'a eu aucune traduction concrète sur le terrain. Et le début de rapprochement entre Moscou et Ankara est pour l'instant resté sans effet sur la configuration militaire à Alep.
La Turquie poursuit l'envoi d'importants renforts aux rebelles, et la route reliant Alep à la Turquie reste la principale voie d'approvisionnement en armes sophistiquées. Pour Fabrice Balanche, spécialiste de la géographie politique de la Syrie et chercheur invité au Washington Institute, « le deal entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et son homologue russe Vladimir Poutine porterait sur la question kurde, la fin du soutien de Moscou au PKK et au projet autonome du Rojava, en contrepartie de la fermeture de la frontière turco-syrienne, mais cela implique au préalable de rétablir des rapports de confiance qui ne sont pas faciles à réaliser malgré des petits pas dans ce sens. On parle notamment de la création d'une ligne directe entre Moscou et Ankara pour prévenir des incidents et éviter une réédition de l'épisode de décembre 2015 », lorsqu'un chasseur russe avait été abattu par les Turcs. Or si la fermeture de la frontière turco-syrienne pourrait avoir un impact décisif sur le terrain, la Turquie n'est cependant pas le seul acteur-décideur, les alliés saoudiens, qataris et américains sont également profondément impliqués dans l'offensive d'Alep. Dans le quartier de Bani Zeid, des informations ont fait état d'une livraison directe d'armement de l'armée américaine aux rebelles, et à Khan Thouman, où se trouvent concentrés les forces iraniennes, l'Arabie saoudite a envoyé un nombre important de milices pakistanaises qui ont reçu un entraînement militaire perfectionné.
Dans une configuration aussi complexe, où l'ensemble de ces acteurs interviennent massivement dans le conflit, il reste difficile de concevoir un revirement de position de la part de la Turquie qui la mettrait aux prises avec ses principaux alliés, en l'absence de contrepartie tangible. D'un côté, les Turcs savent que les Russes n'ont pas la maîtrise de la carte kurde qui reste principalement aux mains des États-Unis, et sur cette question les négociations devront donc s'engager avec Washington. D'un autre côté, renoncer à la carte de pression « Alep », en acceptant de fermer la frontière, sans obtenir des concessions substantielles de la part des Russes et des Iraniens, serait une erreur stratégique pour le président Erdogan. Un revirement brusque et radical ne manquerait pas de fragiliser davantage sa posture. Les propos du ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, sont un indicateur de la volonté turque de faire monter les enchères. « Il ne peut pas y avoir de transition avec Assad », une confirmation que les Turcs maintiennent leur position vis-à-vis du régime. Pour Fabrice Balanche, « même si Erdogan se rapproche de Poutine, il joue sur plusieurs tableaux ». La concrétisation des négociations entre Américains et Russes pour bombarder les troupes du Front al-Nosra, qui auraient des répercussions majeures dans l'évolution du rapport de force sur le terrain, a été ajournée. « Les combattants de Nosra apparaissent aujourd'hui comme les libérateurs d'Alep. Si les Américains les bombardaient, ils se présenteraient comme les alliés du régime de Damas. Ces opérations à Alep illustrent la stratégie saoudienne, qatarie et turque pour faire capoter l'accord jusqu'à la fin du mandat d'Obama, en attendant la relève incarnée probablement par Hillary Clinton », estime le chercheur.

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