« L’objectif ultime est le transfert des Arabes israéliens » Par Conn Hallinan |CounterPunch, le 5 mars 2009 Article original : « Ethnic Cleansing and Israel » Traduit de l’anglais par [JFG-QuestionsCritiques] Source: http://questionscritiques.free.fr/edito/CP/Israel_racisme_colons_arabes_030309.htm
« L’objectif ultime est le transfert des Arabes israéliens »
Par Conn Hallinan |CounterPunch, le 5 mars 2009
L’un des développements les plus dérangeants au Proche-Orient est le consensus croissant parmi les Israéliens selon lequel il serait acceptable d’expulser – selon les mots de ses défenseurs, « transférer » – les citoyens arabes, soit vers un Etat palestinien qui reste à former, soit vers les pays voisins, en Jordanie ou en Egypte.
Un tel sentiment n’est pas nouveau parmi les extrémistes israéliens et il est défendu depuis longtemps par des organisations juives racistes comme le Kach, le parti de feu le rabbin Meir Kahane, ainsi que par des groupes comme l’Union Nationale, qui a doublé sa représentation à la Knesset lors des dernières élections. Mais « le transfert » n’est plus la politique exclusive des extrémistes, puisqu’il fait désormais partie de plus en plus du dialogue politique dominant. « Ma solution pour maintenir un Etat juif et démocratique en Israël est d’avoir deux Etats-nations, avec certaines concessions et des lignes rouges précises », a dit, en décembre dernier, la dirigeante de Kadima et ministre des affaires étrangères, Tzipi Livni, à un groupe de lycéens de Tel Aviv, « et je serai capable, entre autres choses, d’approcher les habitants palestiniens d’Israël, ceux que nous appelons les Arabes israéliens, et de leur dire : ‘votre solution nationale est ailleurs’. »
De telles paroles ont des conséquences.
Selon l’Association Israélienne pour les Droits Civils, les incidents anti-arabes sont en forte augmentation. « La société israélienne atteint de nouveaux sommets de racisme qui nuisent à la liberté d’expression et à la vie privée », déclare Sami Michael, le président de cette association. Parmi ses conclusions :
* 55% des Israéliens juifs disent que l’Etat devrait encourager les Arabes à émigrer !
* 78% des Israéliens juifs s’opposent à ce que les partis arabes soient inclus dans le gouvernement;
* 56% sont d’accord avec l’affirmation suivante : « Les Arabes ne peuvent pas atteindre le niveau de développement culturel des Juifs »;
* 75% sont d’accord sur le fait que les Arabes sont enclins à la violence. Parmi les Arabes israéliens, 54% pensent la même chose des Juifs;
* 75% des Israéliens juifs disent qu’ils ne voudraient pas vivre dans le même immeuble que des Arabes.
La tension entre la démocratie israélienne et le caractère juif du pays a été le point central de la campagne de Yisrael Beiteinu, le parti d’Avigdor Lieberman, lors du dernier scrutin. Son parti a accru sa présence à la Knesset, passant de 11 à 15 sièges, et il est désormais le troisième parti le plus important au parlement. Lieberman, qui vit dans une colonie de Cisjordanie près de Bethléem, réclame un « serment de loyauté » de la part des Arabes israéliens et, pour ceux qui refusent, soit leur expulsion, soit leur privation aux droits à la citoyenneté. En mars 2008, au cours d’un débat à la Knesset, Lieberman a dit aux députés arabes : « Vous êtes ici temporairement. Un jour, nous nous occuperons de vous. »
De tels points de vue sont en augmentation, en particulier parmi les jeunes Israéliens juifs, pour lesquels un enseignement de l’histoire politiquement orienté et le désespoir croissant concernant leur avenir ont alimenté un virage serré à droite.
Dans un article récent publié dans Haaretz, Yotam Feldman relate un voyage à travers les lycées israéliens, où les élèves ont admis ouvertement leur haine des Arabes et que l’érosion de la démocratie ne les préoccupe pas.
« Sergei Liebliyanich, un élève de terminale, fait le lien entre la préparation au service militaire au lycée et le soutien des élèves pour la Droite », écrit Feldman. « Cela nous donne de la motivation contre les Arabes. Vous voulez vous enrôler dans l’armée pour leur en mettre plein la gueule… J’aime la pensée de Lieberman concernant les Arabes. Bibi [Benjamin Netanyahou, le dirigeant du parti de droite, le Likoud], ne veut pas aller aussi loin. » Feldman a fait un sondage dans 10 lycées et il a conclu que Yisrael Beiteinu était le parti le plus populaire, suivi par le Likoud. Meretz, le parti de Gauche, arrivait en bon dernier.
C’est la politisation du système éducatif qui est en partie responsable.
Mariam Darmoni-Sharviot, ancienne prof d’éducation civique qui aide à mettre en application les recommandations de la Commission Kremnitzar de 1995 sur l’enseignement et la démocratie, a déclaré à Feldman : « Lorsque je parle, devant une classe d’éducation civique, de la minorité arabe et de sa singularité à avoir été une majorité qui est devenue une minorité, mes élèves soutiennent que ce n’est pas vrai qu’ils [les Arabes] ont été une majorité. » Elle dit que lorsqu’elle demande aux autres professeurs pourquoi les élèves ne savent pas que les Arabes étaient majoritaires en 1947, les enseignants deviennent « évasifs et disent que cela ne fait pas partie du programme. »
Les lycéens reflètent en partie la culture qui les entoure.
« La société israélienne tient un double langage », dit le ministre de l’éducation, Yuli Tamir. « Nous nous voyons comme une société démocratique et, pourtant, nous négligeons souvent des choses qui sont à la base de la démocratie… Si les lycéens voient que la Knesset disqualifie les partis arabes, une mesure contre laquelle je me suis fermement opposé, comment pouvons-nous espérer qu’ils intègrent les valeurs démocratiques ? »
Les principaux partis israéliens, sans exception, ont voté en faveur du retrait du scrutin de deux partis arabes, Ta’al et Balad [« Liste Arabe Unie »], parce qu’ils s’opposaient à la guerre à Gaza. Balad réclame les mêmes droits pour tous les Israéliens. La porte-parole de Kadima, Maya Jacobs, a déclaré : « Balad a pour objectif d’exterminer Israël en tant qu’Etat juif et le transformer en un Etat pour tous ses citoyens. » Le parti Travailliste s’est joint pour interdire Balad, mais pas Ta’al.
La cour suprême israélienne a fait annuler cette mesure et les deux partis ont fini par obtenir sept sièges à la Knesset lors des dernières élections. « L’objectif ultime, ici », a dit Dominic Moran, correspondant en chef d’INS Security Watch au Proche-Orient, « est de rompre les liens limités qui lient les Juifs et les Arabes, jusqu’au point où l’idée du transfert de la population israélo-arabe au-delà des frontières de l’Etat, pour laquelle Yisrael Beiteinu a pris fait et cause, gagne de plus en plus de légitimité. »
Ce virage à Droite reflète également la crise économique, dans laquelle la pauvreté est en augmentation et le coût du maintien des colonies dans les Territoires Occupés et de l’armée israélienne représente un fardeau écrasant. La Paix Maintenant estime que l’occupation coûte 1,4 milliards de dollars par an, sans compter le mur de séparation. Le budget militaire d’Israël est tout juste en dessous de 10 milliards de dollars par an. Selon Haaretz, la guerre à Gaza a coûté 374 millions de dollars.
16% de la population juive se trouve en dessous du seuil de pauvreté, un critère valable pour 50% des Arabes israéliens.
« La réalité israélienne ne peut plus cacher ce qu’elle a maintenu caché jusqu’à maintenant – qu’aujourd’hui, aucune mère digne de ce nom ne peut honnêtement dire à son enfant : ‘L’année prochaine, les choses iront mieux ici’ », dit le professeur de philosophie, Ilan Gur-Ze’ev. « Les jeunes remplacent désormais l’espoir d’un avenir meilleur par le mythe d’une fin héroïque. Pour une fin héroïque, Lieberman est l’homme de la situation. »
Les tensions intercommunautaires se manifestent principalement dans les Territoires Occupés, où l’expansion sans relâche des colonies et l’humiliation constante des centaines de barrages de l’armée israélienne alimentent la colère palestinienne.
En décembre dernier, des colons d’Hébron ont attaqué des Palestiniens après que le gouvernement israélien fit déplacer un groupe de familles juives qui occupaient un immeuble appartenant à des Arabes. En riposte, les colons ont lancé « l’Opération Prix à Payer » afin d’infliger une punition aux Palestiniens dans l’éventualité où le gouvernement à Tel Aviv prendrait des mesures contre les colons. Les émeutiers ont incendié des voitures, profané un cimetière musulman et abattu deux Arabes.
Les pillages de la Cisjordanie par les colons ne sont pas nouveaux, même s’ils ne sont quasiment jamais rapportés dans la presse étasunienne [NdT : ou dans la presse française !]. Mais une tendance dérangeante est l’apparition de colons extrémistes en Israël. L’année dernière, Baruch Marzel, un colon de Cisjordanie et militant de Kahane, a menacé de marcher à travers Umm al-Fahm, une ville arabo-israélienne proche d’Haïfa.
« Nous avons un cancer à l’intérieur [du pays] capable de détruire l’Etat d’Israël », a déclaré Marzel à The Forward, « et ces gens se trouvent au cœur d’Israël, une force capable de détruire Israël de l’intérieur. Je vais dire à ces gens que la terre d’Israël est la nôtre. »
Les Arabes israéliens accusent les colons – dont certains extrémistes se sont réimplantés de Gaza [en Cisjordanie], il y a trois ans – d’avoir joué un rôle dans les émeutes du Yom Kippour de l’année dernière dans la ville mixte d’Acre et forcé des familles arabes à quitter leurs maisons dans les parties orientales de la ville. Les Arabes représentent environ 11% de la population d’Acre et 20% de la population d’Israël.
Le rabbin Dov Lior, président du Conseil Rabbinique de Cisjordanie, a décrété : « Il est totalement interdit de les employer [les Arabes] et de leur louer des maisons en Israël. »
Le Centre Juridique Adallah pour les Droits de la Minorité Arabe incite vivement le ministre israélien de la justice, Menacher Mazuz, à enquêter sur « l’incitation débridée au racisme envers les Arabes en général et les habitants [arabes] d’Acre en particulier. »
Le 15 octobre dernier, trois jours après les émeutes d’Acre, deux appartements arabes de Tel Aviv ont été attaqués avec des cocktails molotov. Sept Juifs ont été arrêtés. Les habitants arabes de Lod et de Haïfa se plaignent de subir, eux aussi, des pressions pour déménager.
Dans le cas de Lod, les autorités municipales déclarent ouvertement leurs intentions. Le porte-parole municipal, Yoram Ben-Aroch, a réfuté que la ville pratique une discrimination envers les Arabes, mais il a déclaré à The Forward que les autorités municipales veulent que Lod devienne une « ville plus juive. Nous devons renforcer le caractère juif de Lod et les religieux et les sionistes ont un grand rôle à jouer dans ce renforcement. »
Cependant, l’anarchie croissante des colons de Cisjordanie et des nationalistes juifs a commencé à déstabiliser les autorités à Tel Aviv. Après la tentative d’assassinat par des extrémistes de droite contre le militant de la Paix Maintenant, Zeev Sternhell, le chef du Shin Bet, Yuval Diskin, a dit que son agence de renseignements était « très préoccupée » par « l’extrême droite » et sa volonté de recourir à la violence.
Même le Premier ministre Ehoud Olmert a déclaré : « Nous n’avons pas l’intention de vivre avec un groupe substantiel de personnes qui ont rejeté toute autorité », et il a dit que l’Opération Prix à Payer était un « Pogrome ».
Toutefois, pour l’instant, le gouvernement et le Shin Bet n’ont pas fait grand chose pour freiner la marée montante de cette terreur de droite, destinée autant aux Juifs qu’aux Arabes.
Ahmed Tibi, du parti arabe Ta’al, dit qu’en attendant, les Arabes israéliens se sentent menacés par ce que Neve Gordan, un scientifique de l’Université Ben Gourion, appelle un « déplacement vers une politique xénophobe ». Tibi prévient : « C’est la majorité juive qui devrait être effrayée par ce phénomène. »
Article original : « Ethnic Cleansing and Israel »
Traduit de l’anglais par [JFG-QuestionsCritiques]
Source: http://questionscritiques.free.fr/edito/CP/Israel_racisme_colons_arabes_030309.htm