Comment Shimon Peres, prix Nobel de la paix, a « volé » la bombe nucléaire Par Richard Silverstein Traduction et adaptation par Luc Delval du livre de Richard Silverstein «How Shimon Peres Stole the Bomb with a Bluff, and Why Military Censor Doesn’t Want Israelis to Know About It» Lu sur Wikistrike.com
Shimon Peres, ancien président d’Israël âgé de 93 ans, a subi un “accident vasculaire cérébral” massif il y a quelques jours, et reste hospitalisé dans un état très sérieux. On doit donc vraisemblablement s’attendre à apprendre son décès dans un avenir proche, et le moment est opportun pour dresser le bilan de l’existence de cette figure importante de l’époque qui va depuis la proclamation de l’indépendance d’Israël jusqu’à nos jours. Aucun autre politicien israélien, sans doute, n’a connu une telle longévité historique.
Lorsque la mort de Peres viendra, tout Israël [1] portera le deuil d’un des “pères fondateurs” de l’État. Quelqu’un qui a été, sans interruption, à son service pendant sept décennies. Le concert de louanges sera assourdissant. Les télévisions ne manqueront pas de diffuser des documents où on le voit aux côtés de son mentor en politique, David Ben Gourion, et on détaillera les exploits du grand homme.Mais, comme c’est souvent le cas, la vérité est ailleurs. Peres a commencé sa carrière comme garçon de course de Ben Gourion. Il était appliqué et inventif. Ce que voulait son patron, il trouvait toujours le moyen de le réaliser. Finalement il devint son “fixeur” en chef, celui à qui il faisait confiance pour régler toutes sortes de problèmes. C’est ainsi que la tâche écrasante de procurer l’arme nucléaire à Israël lui échut. Ce n’était pas une mince affaire, et cela requérait une immense persévérance, de la détermination, de l’inventivité, et même une propension affirmée pour le vol. Peres était plus qu’à la hauteur de cette tâche.Pratiquement dès la première minute après la fondation de l’État d’Israël, Ben Gourion aspirait à le doter de l’arme nucléaire, qu’il voyait comme un instrument du Jugement Dernier, l’as qu’il pourrait brandir si toutes les cartes se dressaient contre lui. Alors que la position stratégique d’Israël était plutôt solide, Ben Gourion ne se lassait pas d’affirmer le contraire. On a souvent raconté l’épisode où, contemplant une carte du Moyen-Orient épinglée au mut de son bureau, il s’exclama à l’intention de ceux qui l’entouraient qu’il “n’avait pas fermé l’œil de la nuit à cause de cette carte”. Car, dit-il, “qu’est-ce qu’Israël ? Une simple petite tache. Comment pourrait-il survivre au milieu de l’immensité du monde arabe ?”.
Shimon Peres en 1968 : «Nous pensons pas qu’Israël doive introduire l’arme atomique au Moyen-Orient»
Dans son fort peu critique ouvrage «Israël, an 20», paru juste après la “guerre des six jours” de juin 1967 (Marabout Université N°144 – p. 288), Claude Renglet publiait une interview de Shimon Peres (orthographié Peress) dans laquelle celui qui a joué un rôle déterminant pour doter Israël de l’arme nucléaire affirmait le contraire :
– Au cas où la paix ne s’instaurerait pas au Moyen-Orient, Israël devrait redoubler de vigilance. Pensez-vous que l’armée israélienne qui devrait se renforcer encore et toujours soit amenée à s’équiper d’engins nucléaires ?
– Israël doit être capable de produire ses propres armes. Nous avons été soumis à un embargo en 1948, en 1956 et en 1967, ceci nous amène à réfléchir, mais nous ne pensons pas qu’Israël doive introduire l’arme atomique au Moyen-Orient.
Et à propos des rapports avec la France :
Israël doit devenir un pays comme la Suède, c’est-à-dire un pays capable de produire toutes ses armes. Quant à l’embargo français, je ne crois pas qu’il se maintienne avec intransigeance. Nous avons une controverse avec la France, mais le divorce n’a pas été prononcé.
C’était, à tout le moins un euphémisme. Pendant que le Général de Gaulle, en termes très choisis, stigmatisait les “ambitions ardentes et conquérantes” nourries par “des Juifs, jusque là dispersés mais qui étaient restés, ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur”, d’aucuns dans l’appareil d’État français et dans l’armée française s’employaient à son insu à les favoriser par tous les moyens.
Plus de détails sur les interviews relatives à l’armée nucléaire israélienne dans ce livre ICI
Cela faisait partie intégrante de la stratégie israélienne consistant à se poser en éternelle victime, la partie la plus vulnérable de tout conflit, qui a donc besoin de soutien moral et militaire pour éviter d’être détruit. Et qu’importait que rien de tout cela n’était vrai, mais après la destruction des juifs d’Europe par les nazis le monde ne voulait pas courir le moindre risque qu’une chose pareille puisse se reproduire. C’est ainsi qu’Israël devint après 1948 aux yeux de la majeure partie du monde le “petit David” faisant face au “Goliath arabe”.
Néanmoins, la croyance la plus répandue est que ses armes de destruction massive étaient destinées à protéger Israël d’une destruction imminente s’il devait subir une défaire catastrophique, théorie qui est fausse, qu’on la considère globalement ou en détail. En fait, à aucun moment Israël n’a été confronté à un telle menace. Israël a toujours maintenu une supériorité militaire sur ses ennemis dans chacun des affrontements qui ont émaillé son histoire, de 1948 à 1967 (et par la suite).
Le Premier ministre David Ben Gourion avec Shimon Peres . En arrière-plan : le ministre de la Défense Moshe Dayan et Teddy Kollek.
Le but réel de Ben Gourion, en cherchant à obtenir l’arme nucléaire, était politique. Il voulait s’assurer qu’Israël ne soit jamais contraint de s’engager dans une négociation qui ne pourrait que lui faire perdre les gains territoriaux obtenus par la force des armes. Il voulait une arme qu’il puisse faire planer au-dessus de la tête de ses ennemis, qui lui garantisse qu’il n’aurait jamais à renoncer à quoi que ce soit qui appartienne – à ses yeux du moins – de plein droit à Israël. Donc, la bombe nucléaire israélienne était l’instrument permettant de rejeter virtuellement toute initiative de paix qui ait pu être proposée depuis 1967.
Les leaders israéliens savaient que jamais les États-Unis ne parieraient sur le fait qu’ils n’utiliseraient pas leurs armes de destruction massive (ADM) s’il le fallait. Dès lors, les Président des États-Unis successifs avaient déjà une main liée derrière le dos pour négocier. Dans une partie de cartes, lorsqu’un des protagonistes a l’as de pique dans sa poche et que tous les autres le savent, ce n’est plus tellement un jeu, n’est-ce pas ?
Les opposants israéliens à la bombe
On aurait tort de croire que cette vision stratégique valut à Ben Gourion et Peres d’être idolâtrés par leurs pairs. Il n’en était rien.
L’opposition à l’intérieur d’Israël à une “bombe israélienne” était forte, et elle traversait les limites des partis. Parmi ceux qui étaient contre se trouvaient le futur premier ministre Levi Eshkol, Pinchas Sapir, Yigal Alon, Golda Meir, et un important développeur d’armements israélien, Yisrael Galili. Même le chef de l’armée israélienne, Chaim Leskov, s’opposa à la bombe. Le Professeur Yeshayahu Leibowitz, fidèle à son style volontiers prophétique, créa une ONG qui appelait à faire du Moyen-Orient une zone dénucléarisée (elle s’appelait en hébreu “le Comité Public pour Démilitariser le Moyen-Orient des armes nucléaires”), et ce fut probablement le premier appel de ce genre dans le monde. Et dans un certains sens, il avait tort : il affirmait que la construction d’un réacteur nucléaire par Israël inciterait ses ennemis à le bombarder pour le détruire. Dans l’avenir, présidait Lebowitz, le réacteur de Dimona serait appelé “la folie de Shimon”.
Le culot insensé avec lequel Peres agit pour atteindre son objectif fut époustouflant. Il a joué à fond la corde sensible de la culpabilité allemande pour obtenir le financement du projet d’armement. Il recruta Arnon Milchan en tant qu’agent clandestin pour organiser une conspiration destinée à voler de l’uranium hautement enrichi dans un dépôt des États-Unis où il était entreposé. Peresnégocia avec la France un accord complexe afin de construire le complexe deDimona qui, jusqu’à nos jours, produit le plutonium indispensable pour l’arsenal israélien d’armes de destruction massive.
Le Directeur général du Ministère de la défense s’est fréquemment rendu en France à l’époque, afin de tisser et d’entretenir un réseau politique dans les milieux dirigeants dans le but d’obtenir tous les accords nécessaires pour construire l’usine de Dimona.
Un jour où il se rendait à Paris pour signer l’accord final, le gouvernement français – en cette période où l’instabilité politique était permanente en France – fut mis en minorité au Parlement. Ben Gourion pensa à ce moment que tous les efforts dePeres avaient été consentis en pure perte. Mais ce dernier refusa de s’avouer perdant et se rendit auprès du premier ministre français démissionnaire [Maurice Bourgès-Maunoury, qui fut premier ministre du 12 juin au 30 septembre 1957], et lui suggéra de signer l’accord, en l’antidatant d’un jour, pour feindre une conclusion antérieure à la démission du gouvernement.
Le dirigeant français accepta. C’est ainsi que la bombe israélienne fut sauvée par un bluff et un faux en écritures publiques. Lorsqu’un jour quelqu’un demanda à Perescomment il avait osé s’en sortir par un tel stratagème, il répondit “qu’est-ce que 24 heures entre des amis ?”.
Peres facilita aussi le vol pur et simple. En effet, si Israël avait attendu d’être capable de produire par ses propres moyens l’uranium hautement enrichi nécessaire pour se doter d’une arme nucléaire, cela aurait pris des années. S’il parvenait au contraire à se procurer l’uranium par d’autres voies, cela permettrait d’accélérer considérablement le processus. C’est ainsi que Peres recruta Arnon Milchan, qui devint plus tard producteur à Hollywood, pour qu’il vole plusieurs centaines de kilos de matériaux nucléaires dans un entrepôt situé en Pennsylvanie, avec la complicité de fonctionnaires étatsuniens, qui se trouvaient être aussi des Juifs pro-israéliens, et qui furent recrutés pour l’occasion.
Roger Mattson a récemment publié un livre intitulé “Le vol de la bombe atomique : comme la dissimulation et la tromperie ont armé Israël” [2]. Cet article résume ses découvertes. Parmi elles, le fait qu’un groupe de scientifiques et d’ingénieurs Juifs étatsuniens fondèrent une société qui a probablement détourné et transféré clandestinement en Israël assez de matériaux nucléaires pour produire six bombes atomiques. Plusieurs des dirigeants de cette compagnie devinrent ensuite de hauts dignitaires de la “Zionist Organization of America”. Un des fondateurs de la compagnie combattit dans la Haganah durant la guerre de 1948, et il était un protégé de celui qui allait devenir le chef du renseignement israélien, Meir Amit.
Des personnalités importantes du monde du renseignement aux États-Unis ont même suggéré que la compagnie elle-même pourrait avoir été créée par les services de renseignement israélien dans le but de voler des matériaux et de l’expertise technologique aux États-Unis, pour servir au projet israélien de se doter de l’arme atomique. Tout ceci signifie que les leaders d’une des principales organisations constituant le lobby pro-israélien ont aidé et encouragé la création d’une énorme brèche dans la sécurité nationale des États-Unis dans le but de permettre à Israël d’obtenir la bombe nucléaire.
Si vous êtes de ceux qui prennent habituellement la défense d’Israël, peut-être voyez-vous ceux qui ont fait cela comme des héros ? Si c’est le cas, veuillez vous souvenir de ceci : Julius et Ethel Rosenberg ont été condamnés à mort et exécutés en 1956 pour avoir causé infiniment moins de tort qu’eux au programme nucléaire des États-Unis.
Shimon Peres en 1968 : «Nous pensons pas qu’Israël doive introduire l’arme atomique au Moyen-Orient»
Dans son fort peu critique ouvrage «Israël, an 20», paru juste après la “guerre des six jours” de juin 1967 (Marabout Université N°144 – p. 288), Claude Renglet publiait une interview de Shimon Peres (orthographié Peress) dans laquelle celui qui a joué un rôle déterminant pour doter Israël de l’arme nucléaire affirmait le contraire :
– Au cas où la paix ne s’instaurerait pas au Moyen-Orient, Israël devrait redoubler de vigilance. Pensez-vous que l’armée israélienne qui devrait se renforcer encore et toujours soit amenée à s’équiper d’engins nucléaires ?
– Israël doit être capable de produire ses propres armes. Nous avons été soumis à un embargo en 1948, en 1956 et en 1967, ceci nous amène à réfléchir, mais nous ne pensons pas qu’Israël doive introduire l’arme atomique au Moyen-Orient.Et à propos des rapports avec la France :
Israël doit devenir un pays comme la Suède, c’est-à-dire un pays capable de produire toutes ses armes. Quant à l’embargo français, je ne crois pas qu’il se maintienne avec intransigeance. Nous avons une controverse avec la France, mais le divorce n’a pas été prononcé.
C’était, à tout le moins un euphémisme. Pendant que le Général de Gaulle, en termes très choisis, stigmatisait les “ambitions ardentes et conquérantes” nourries par “des Juifs, jusque là dispersés mais qui étaient restés, ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur”, d’aucuns dans l’appareil d’État français et dans l’armée française s’employaient à son insu à les favoriser par tous les moyens.
Plus de détails sur les interviews relatives à l’armée nucléaire israélienne dans ce livre ICI
Le programme clandestin de récolte de fonds du lobby israélien
Après avoir obtenu le feu vert de Ben Gourion, Peres pris contact avec ses homologues français pour annoncer qu’Israël était d’accord pour se joindre à ce qui ultérieurement allait être connu sous le nom de “opération Kadesh”. Mais, fit-il valoir, Israël courait un plus grand danger dans l’aventure que la France ou la Grande-Bretagne : en cas de défaite, son existence même pourrait être menacée. C’est pourquoi il lui fallait absolument un armement stratégique propre à prévenir tout risque d’annihilation.
Tandis que les négociations se poursuivaient, les Français avertirent les Israéliens qu’il leur était interdit par un traité international de vendre de l’uranium. Peressurmonta le problème en trouvant une de ces solutions à la fois brillantes et sournoises typiques de sa personnalité : “Ne nous vendez pas l’uranium, prêtez-le nous”, dit-il. “On vous le rendra une fois que la mission sera accomplie”.
Ainsi débuta le réel effort pour fabriquer une bombe nucléaire israélienne. Le réacteur fut achevé en 1960 et dès 1967 Israël disposait de sa première bombe nucléaire, rudimentaire mais qui aurait parfaitement pu être utilisée en cas de défaite lors de la “guerre des six jours”.
Pour quelque raison étrange, la censure militaire s’est opposée à ce que le siteWalla évoque le bluff de Peres concernant la fausse date apposée sur l’accord franco-israélien (afin de faire comme s’il s’agissait d’un acte posé par un gouvernement disposant encore d’une majorité à l’Assemblée nationale, à laquelle personne n’a en tout état de cause jamais demandé son avis). Dans la version censurée, on n’y trouve aucune allusion. On n’y trouve pas davantage le récit de la “suggestion” fait par Peres que la France “prête” de l’uranium à Israël, ce qui a permis de contourner les obligations internationales françaises, puisque la vente d’uranium eut été illégale.
Mon sentiment est que, vu la probable disparition prochaine du vieil homme, ils ont préféré ne rien laisser publier qui puisse ternir sa réputation plus que nécessaire. Ce qui soulève la question : pourquoi un censeur donne-t-il la priorité à la préservation de la réputation d’un politicien israélien plutôt qu’à la protection de la sécurité de l’état, ce qui est en principe sa mission ?
Richard Silverstein
Traduction et adaptation par Luc Delval du livre de Richard Silverstein «How Shimon Peres Stole the Bomb with a Bluff, and Why Military Censor Doesn’t Want Israelis to Know About It»
[1] Ou du moins la population juive. Pour les Palestiniens d’Israël, c’est beaucoup moins sûr. – NDLR
[2] “Stealing the Atom Bomb: How Denial and Deception Armed Israel” – Create Space Independent Publishing Platform – fév. 2015 – ISBN 978-151508391 – 14 €