Déclaration de la présidente Dilma Rousseff après sa destitution Dilma Rousseff – 2 septembre 2016 Traduction : Jean Saint-Dizier et Piera Simon-Chaix Autresbresil.net
Tout en saluant l’ex-président Luís Inácio Lula da Silva, je salue aussi tous les sénateurs et sénatrices, les députés et députées, les présidents de partis, les leaders des mouvements sociaux. Les femmes et les hommes de mon pays.
Le Sénat Fédéral a pris aujourd’hui une décision qui entre dans l’histoire des grandes injustices. Les sénateurs qui ont voté pour la destitution ont choisi de déchirer la Constitution Fédérale. Ils ont pris la décision d’interrompre le mandat d’une présidente qui n’avait commis aucun crime de responsabilité. Ils ont condamné une innocente et confirmé un coup d’État parlementaire.
Suite à l’approbation de ma destitution définitive, des politiciens qui cherchent désespérément à fuir le bras de la justice vont prendre le pouvoir avec les perdants des quatre dernières élections. Ils n’accèdent pas au pouvoir par le vote direct, comme je l’ai fait en 2010 et 2014 ainsi que Lula en 2002, 2006. Ils se sont approprié le pouvoir au moyen d’un coup d’État.
C’est le second coup d’État auquel je fais face dans ma vie. Le premier, le coup d’État militaire soutenu par la brutalité des armes, de la répression et de la torture, m’a cueillie alors que j’étais une jeune militante. Le deuxième, le coup d’État parlementaire qui a eu lieu aujourd’hui par le biais d’une farce juridique, me chasse des responsabilités pour lesquelles j’ai été élue par le peuple.
Il s’agit, sans l’ombre d’un doute, d’une élection indirecte, au cours de laquelle 61 sénateurs se sont substitués à la volonté expresse de 54,5 millions d’électeurs. Il s’agit d’une fraude contre laquelle nous allons encore faire appel auprès de toutes les instances possibles.
C’est avec stupéfaction que nous constatons que le plus grand combat de notre histoire contre la corruption, rendu possible grâce aux actions menées et aux lois crées à partir de 2003 et poursuivies par mon gouvernement, amènent justement au pouvoir un groupe de corrompus cibles d’enquêtes policières.
Le projet national progressiste, inclusif et démocratique que je représente se voit interrompu par une puissante force conservatrice et réactionnaire qui a bénéficié du soutien d’une presse partisane et vénale. Celle-ci va se saisir des institutions de l’État pour les mettre à la disposition du plus radical des libéralismes économiques et de régression sociale.
Ils viennent de renverser la première femme Présidente du Brésil, sans aucune justification constitutionnelle pour cette destitution.
Mais le coup d’État n’a pas uniquement été commis contre moi et contre mon parti. Ça n’est que le début. Le coup d’État va toucher indistinctement toute organisation politique progressiste et démocratique. Ce coup d’état est opposé aux mouvements sociaux et syndicaux et à tous ceux qui luttent pour leurs droits, dans toute les acceptions du terme : droit au travail et à la protection du code du travail ; droit à un retraite équitable ; droit à un logement et à la terre ; droit à l’éducation, la santé et la culture ; droit des jeunes à être les protagonistes de leur propre histoire ; droits des noirs, des indiens, de la population LGBT, des femmes ; droit de se manifester sans être réprimé.
Le coup d’état est opposé à la Nation. Le coup d’état est misogyne. Le coup d’état est homophobe. Le coup d’état est raciste. C’est l’imposition de la culture de l’intolérance, du préjugé, de la violence.
Je demande aux Brésiliennes et aux Brésiliens de m’écouter. Je m’adresse à ces 54 millions de personnes, et même davantage, qui ont voté pour moi en 2014. Je m’adresse à ces 110 millions de personnes qui ont reconnu que l’élection des présidents se faisait par le suffrage universel direct.
Je m’adresse surtout aux Brésiliens qui, pendant mon gouvernement, ont surmonté la misère, ont réalisé leur rêve d’avoir leur propre maison, qui ont commencé à recevoir des soins médicaux, sont entrés à l’université et ont cessé d’être invisibles aux yeux de la Nation, en commençant à jouir des droits qui leur avaient toujours été niés.
Le scepticisme et la douleur qui nous frappent dans des moments comme celui-ci ne sont pas de bons conseillers. N’abandonnez pas la lutte.
Écoutez bien : ils pensent avoir raison de nous, mais ils se trompent. Je sais que nous allons tous lutter. Ce gouvernement putschiste va devoir faire face à l’opposition la plus décidée, la plus infatigable et la plus énergique qu’il puisse craindre.
Lorsque le Président Lula a été élu pour la première fois, en 2003, nous sommes arrivés au gouvernement en chantant ensemble que personne ne devait avoir peur d’être heureux. Pendant plus de 13 ans, nous avons mis en œuvre avec succès un programme qui a permis la plus grande inclusion sociale et la plus grande réduction des inégalités de l’histoire de notre Pays.
Cette histoire ne s’arrête pas ici. Je suis persuadée que l’interruption de ce processus par le coup d’état n’est pas définitif. Nous reviendrons. Nous reviendrons pour poursuivre notre voyage vers un Brésil où le peuple est souverain.
J’espère que nous saurons unir nos forces pour défendre des causes communes à tous les progressistes, sans nous enfermer dans des filiations de partis ou de positionnements politiques. Je propose que nous luttions, tous ensemble, contre le recul, contre le programme conservateur, contre la suppression des droits, pour la souveraineté nationale et pour le rétablissement plein et entier de la démocratie.
Je quitte la Présidence comme j’y suis entrée : sans avoir été impliquée dans aucun acte illicite ; sans avoir trahi aucun de mes engagements ; avec dignité et en portant dans mon cœur le même amour et la même admiration pour les Brésiliennes et les Brésiliens et la même volonté de continuer à lutter pour le Brésil.
J’ai vécu ma vérité. J’ai donné le meilleur de moi-même. Je n’ai pas fui devant mes responsabilités. J’ai été émue par la souffrance humaine, je me suis engagée dans la lutte contre la misère et la faim, j’ai combattu l’inégalité.
Je me suis lancée dans de bons combats. J’en ai perdu certains, j’en ai gagné beaucoup et en cet instant, je m’inspire de Darcy Ribeiro en disant que je n’aimerais pas me trouver à la place de ceux qui s’estiment être les vainqueurs. L’histoire sera implacable à leur égard.
À vous, les femmes brésiliennes qui m’ont couverte de fleurs et de tendresse, je demande de croire en votre pouvoir. Les générations futures de Brésiliennes sauront que la première fois qu’une femme est devenue Présidente du Brésil, le machisme et la misogynie ont dévoilé leurs horribles visages. Nous avons ouvert une voie vers l’égalité des genres qui n’a pas de retour possible. Rien ne nous fera reculer.
En cet instant, je ne vous dirai pas adieu. J’ai la certitude de pouvoir dire : « à bientôt ».
Je clos ce discours en partageant avec vous une magnifique tirade du poète russe Maïakovski :
« Nous ne sommes pas heureux, bien sûr,
Mais quelle raison aurions-nous d’être tristes ?
La mer de l’histoire est pleine de remous
Les menaces et les guerres, nous devrons les traverser,
Les briser en leur milieu,
Les couper comme le ferait une proue. »
Je salue tendrement tout le peuple brésilien, qui partage avec moi la croyance en la démocratie et le rêve de la justice.