« 2016 ne sera pas 2009 ! »
Billets d'Afrique
Alors que la diplomatie française vient de reconnaître Ali Bongo, les Gabonais multiplient les initiatives pour empêcher le scénario de 2009 de se reproduire. Au Gabon, la Cour constitutionnelle a, hélas sans surprise au regard de sa composition, validé le putsch électoral d’Ali Bongo Ondimba, à l’issue du scrutin présidentiel organisé fin août. Histoire d’enfoncer le clou (ou le poignard...), l’instance présidée par la belle-mère d’Ali a, en même temps qu’elle invalidait les recours déposés par l’opposition au sujet de résultats complètement fantasques de bureaux de vote du fief des Bongo, donné raison au dictateur-candidat qui avait également déposé des recours contre son challenger Jean Ping, derrière lequel l’opposition s’était rassemblée (cf. Billets n°260, septembre 2016). Le trucage des chiffres n’en est que plus grossier, mais cela permet d’annoncer une victoire un peu plus confortable que ce que les premiers bidouillages avaient donné. Ali Bongo a donc pu organiser rapidement son investiture, le 27 septembre. La diplomatie française, qui avait un temps appelé à un recomptage des voix, a aussitôt pris acte : l’ambassadeur de France était bien présent à cette investiture.
Interrogé sur Europe 1 (29/09) au sujet de la position française vis à vis d’Ali Bongo, le ministre Jean-Marc Ayrault a commenté sans rire : « Il y a la Cour constitutionnelle gabonaise qui s’est prononcée. Il y a eu des recours, c’est ce que nous avions recommandé. Il reste toujours un doute ; maintenant il faut une solution politique de réconciliation, et c’est ce que la France redit et répétera encore ». Et de répondre au journaliste qui lui demandait si Ali Bongo était un « interlocuteur légitime aujourd’hui » : « Il est investi. Il est installé. La France était représentée par son ambassadeur. Vous avez vu qu’il y a une certaine retenue après cette élection et en même temps, ce que nous voulons, ce n’est pas la déstabilisation du Gabon. Et pour ça il y a besoin que l’Union africaine, qui a commencé à le faire, joue son rôle pour encourager Bongo à chercher une politique de rassemblement parce que je pense que c’est l’intérêt du Gabon mais c’est aussi l’intérêt de toute l’Afrique ». Et de la France, on l’aura deviné. Ayrault ressort donc les vieilles recettes : le dogme de la stabilité (avec 49 ans cumulés au pouvoir, la famille Bongo est bonne élève...), et la main tendue vers l’opposition (qui a cette fois-ci refusé, au soulagement de la population gabonaise qui craignait une nouvelle trahison).
Rapportant les propos d’une « source au ministère des Affaires étrangères », RFI écrivait la veille de cette déclaration : « Paris répète son rejet de toute violence et affiche cette certitude : " Notre position est assez largement comprise par les Gabonais" » (28/09). Tellement bien comprise, que les Gabonais interpellent les représentants politiques français, du Parti socialiste comme de l’opposition, dès qu’ils en trouvent l’occasion. Au-delà des manifestations qui se succèdent à Paris, où fleurissent les slogans tels que « François Hollande, le tribunal de l’histoire t’attend au Gabon », certains coups d’éclat font le buzz sur les réseaux sociaux et alimentent ainsi le mouvement de contestation.
Nicolas Sarkozy, qui était au pouvoir en 2009 lorsqu’Ali Bongo a réalisé son premier coup d’État électoral avec le soutien actif de la France, a ainsi vu les images d’un de ses meetings faire le tour des téléphones portables du Gabon : alors que des jeunes Gabonais criaient depuis la salle « Sarko, viens chercher Ali ! », le candidat en quête des voix frontistes a évité de répondre, en leur lançant avec dédain « Ici c’est la France, c’est pas le Gabon. Si vous voulez parler du Gabon, retournez-y ! ». La politique africaine n’est jamais un sujet électoralement porteur, à droite comme à gauche... Une semaine après, c’était au tour d’un meeting du Parti socialiste : le 26 septembre, la ministre de l’Education Najat Vallaud Belkacem, en service commandé pour défendre le bilan de son champion François Hollande, s’est faite interrompre aux cris de « Libérez le Gabon » et « Ali assassin ». La vidéo, rapidement postée sur Facebook, a été vue plus de 10 000 fois.
Ces petits coups d’éclat ne servent pas uniquement à rappeler à nos politiques leurs responsabilités – ce qui n’est déjà pas rien. Avec la force démultiplicatrice des réseaux sociaux, ils alimentent la contestation au Gabon, en soutenant les militants qui risquent leur vie : aucun bilan précis et fiable n’est disponible, mais l’opposition recense plusieurs dizaines de morts et de disparus. A la comptabilisation des victimes de la répression sanglante des manifestations s’ajoutent désormais les témoignages d’exécutions arbitraires par des policiers cagoulés. Comme au Congo Brazzaville ou au Tchad lors des derniers coups de force électoraux, le pouvoir tente de contenir la vague de contestation en coupant régulièrement internet. Cette fois, Ali Bongo prétexte sans rire que les Gabonais ont trop de téléphones portables et que c’est l’effet de saturation qui entraîne ces coupures. L’opposition tient bon : la « journée de deuil » du 6 octobre, pour laquelle la population privée du droit de manifester était invitée à exprimer son rejet du régime en refusant d’aller travailler, a été bien suivie. Deux jours après, l’appel au boycott visait le match des « Panthères », l’équipe nationale de foot, car les joueurs n’ont pas pris position contre la répression.
Groupe de femmes lors de la manifestation du 10/09/2016 à Paris contre le "coup d’état électoral" au Gabon. Photo Régis Mazin
Quelques slogans sont déjà devenus des incontournables de ce mouvement de rejet, au pays comme chez les Gabonais expatriés. Alors qu’Omar Bongo, père d’Ali et indétrônable dictateur du pays pendant 42 ans, aimait à railler les contestations en disant que « les chiens aboient et la caravane passe », les militants utilisent le nom de l’équipe de foot et préviennent : « les chiens sont devenus des panthères », pour signifier qu’elles entendent bien dévorer le régime d’Ali Bongo Ondimba. Ce dernier, ABO, est désormais raillé en l’appelant Bongo Ondimba Ali, alias BOA : au Gabon, ce mot ne sert pas uniquement à désigner un serpent dangereux, mais aussi un idiot. En clamant aussi que « 2009 ne sera pas 2016 », les Gabonais annoncent qu’ils ne se laisseront pas faire – un message que la diplomatie et l’armée françaises refusent d’entendre, au prétexte que la stabilité est bonne pour les affaires françafricaines.
Coopération militaire dans l’angle mortEncore une fois, les médias français ont réussi le tour de force de parler de forces de l’ordre françafricaines sans évoquer leurs liens organiques avec l’armée française. Comme si les coopérants militaires français étaient occupés à trier le courrier pendant que la répression s’organisait. La presse africaine est plus bavarde sur le sujet : afriqueeducation.com (28/09) affirme en particulier que « un militaire français aurait participé au bombardement du QG de Jean Ping », le 31 août. L’article en ligne accuse : « Chef du Bureau des opérations à la Garde républicaine (présidentielle), le commandant, Stéphane Chiron, (c’est son nom) aurait fait ce sale job aux côtés du colonel Tsiba, qui, lui, est de nationalité gabonaise ». Un autre nom de français ayant des responsabilités dans la Garde républicaine circule, le « colonel Gros Jean », sans qu’on sache s’il s’agit d’un coopérant ou d’un ancien militaire qui a trouvé une occupation barbouzarde pour sa retraite... Surtout, le JDD (2/10) a révélé que les membres de la délégation d’observation électorale envoyée par l’Union européenne avaient été placés sur écoute pendant leur séjour : connaissant le chaperonnage historique des services de renseignement gabonais par leurs collègues français, est-il envisageable que ces derniers l’aient ignoré ? Et s’ils en étaient informés, ont-ils alerté l’Union européenne ou couvert ces écoutes ?