Un compte-rendu récemment révélé donne un aperçu précieux de ce qui a formé la vision du monde de Shimon Peres jusqu’à la fin.

Le journal israélien Haaretz a publié la semaine dernière le compte-rendu d’une rencontre secrète entre le Premier ministre israélien de l’époque , alors chef de l’opposition. Les discussions ont eu lieu le 31 août 1978, en amont des pourparlers de Begin avec le président égyptien Anouar Sadate à Camp David, la retraite présidentielle américaine.

Pour Haaretz, le procès-verbal de la rencontre « met à nu le faucon que le pacificateur Peres était à l’époque ». En fait, le document donne un aperçu précieux de ce qui a formé la vision du monde de Peres jusqu’à la fin : le racisme colonial.

Le plus instructif dans la comparaison entre le Peres de 1978 et le Peres, disons, des accords d’Oslo de 1993 n’est pas ce qui a changé – une question de stratégie – mais ce qui est demeuré constant : sa motivation globale. Examinons chaque chose à son tour.

 

Beaucoup a changé – mais pas tant que ça

Tout d’abord, ce qui a changé. Comme le montre le compte-rendu, le Shimon Peres qui a fièrement aidé à fonder les premières colonies illégales en Cisjordanie croyait « que la Jordanie est également la Palestine », ajoutant : « Je suis contre… un autre pays palestinien, contre un État Arafat ».

Pourtant, si l’on procède à une avance rapide d’à peine quinze ans, on voit Peres signer sur la ligne pointillée un accord créant ce même « État Arafat ». C’est un choix de formulation qui, avec le recul, est ironiquement prémonitoire de l’Autorité palestinienne définitivement provisoire établie avec la bénédiction d’Israël.

Pourquoi cela devrait-il être considéré comme un changement de stratégie, et non pas de cœur ? En plus de déclarer que « la Jordanie est la Palestine », Peres a dit à Begin qu’il n’y avait « pas d’autre choix qu’un compromis fonctionnel » en Cisjordanie. Pourquoi ? « Je pense vraiment que l’un de ces jours, une partition sera nécessaire parce que nous ne saurons pas quoi faire avec les Arabes. »

« Je pense vraiment que l’un de ces jours, une partition sera nécessaire parce que nous ne saurons pas quoi faire avec les Arabes. »

« Nous allons avoir 1,8 million d’Arabes, a-t-il poursuivi, et je vois notre situation devenir très difficile, ce n’est pas une question de police ou de prison… je les vois manger la Galilée et mon cœur saigne. » Notez comment en 2005, il décrivait encore les citoyens palestiniens comme une « menace démographique ».

Peres a ajouté : « Ils vivent dans des maisons à Afula et à Acre et ils prennent le contrôle de rues entières. Les moshavim [communautés collectives rurales] sont remplies de travailleurs arabes. Les juifs sont assis chez eux et jouent au tennis et les Arabes travaillent dans les champs. Cela ne me semble pas juste ».

Ainsi, Peres « le faucon » croyait déjà qu’une sorte de « partition » serait nécessaire en raison de ce problème sioniste séculaire : « que faire avec les Arabes ». Peres « la colombe » a vu le processus de paix d’Oslo comme la réponse à la question qui l’avait dérangé des années plus tôt.

Peres a également énoncé à Begin leur terrain d’entente pour tout accord. « Nous ne sommes pas d’accord pour revenir aux frontières de 1967, Jérusalem doit rester unifiée et la défense d’Israël doit commencer à partir du Jourdain avec une présence des Forces de défense israéliennes en Judée et Samarie [Cisjordanie]. »

Et qu’est-ce que Yitzhak Rabin a déclaré à la Knesset, des semaines avant son assassinat en 1995 ? Que les accords d’Oslo produiraient « une entité palestinienne… qui est moins qu’un État ». Une Jérusalem « unie ». Israël conservant les plus grandes colonies. Le fleuve Jourdain devenant une frontière de « sécurité » au « sens le plus large ».

 

Le problème pour le projet sioniste

Dommage que ce compte-rendu n’ait pas été publié avant sa mort et l’avalanche d’éloges pour cet « homme de paix » des grands de ce monde. Car le problème avec la couverture médiatique de la vie de Peres n’est pas seulement le blanchiment de ses états de service à travers l’omission d’atrocités spécifiques (bien que cela soit bien trop commun).

Non, c’est plus profond que cela. C’est la représentation de Peres comme « père fondateur », « colombe devenue faucon », défenseur infatigable de compromis pacifiques, reflétant une mythologie très répandue sur les accords d’Oslo, le « processus de paix » et plus généralement le sionisme (le sionisme libéral en particulier).

Le document déclassifié montre comment la droite et la gauche israéliennes sont unies par la question de ce qu’il faut faire avec les Palestiniens

Le document déclassifié montre comment la droite et la gauche israéliennes sont unies par la question de ce qu’il faut faire avec les Palestiniens. Certes, les réponses diffèrent. Mais que l’existence même du peuple palestinien soit un problème pour l’État juif est une croyance partagée également par ce que l’on appelle les faucons et les colombes.

Aujourd’hui, il y a des politiciens israéliens qui souhaitent annexer formellement tout, ou une partie, de la Cisjordanie. Puis il y a ceux comme l’actuelle membre de l’Union sioniste Tzipi Livni, qui a déclaré au moment de son décès : « Shimon Peres était mon professeur ». Elle a appelé vivement à la « partition » de la terre en tant que solution au problème de savoir ce qu’il faut faire avec les Palestiniens.

Le voyage que plusieurs politiciens israéliens – Yitzhak Rabin, Shimon Peres, et même Ariel Sharon – donnent l’impression d’avoir accompli concerne la stratégie, pas l’idéologie. En fin de compte, aucun n’a vu les Palestiniens comme des êtres humains égaux. Au contraire, ils ont représenté un problème pour le projet sioniste.

Ben White | 25 octobre 2016

Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy. Il est rédacteur pour le Middle East Monitor et ses articles ont été publiés par divers médias, dont Al Jazeeraal-Araby, le Huffington PostThe Electronic Intifada et dans la section « Comment is free » de The Guardian.