L’offensive sur Mossoul menace d’enflammer les conflits sectaires en Irak et en Syrie
Par Jordan Shilton
WSWS
L’offensive de la coalition menée par les États-Unis qui vise à reprendre Mossoul a continué mardi tandis que les principaux participants ont reconnu que les combats pourraient prendre des mois. Les organismes d’aide ont émis de graves avertissements quant à l’impact de cette offensive sur plus d'un million de civils vivant dans la deuxième plus importante ville d’Irak.
Depuis que les opérations au sol ont été lancées lundi à l’aube par l’armée irakienne, les combattants peshmergas kurdes sous le contrôle du gouvernement régional du Kurdistan (GRK) et diverses milices ethniques, les troupes ont capturé 20 villages de l’État islamique (aussi connu sous le nom de Daech). Des forces peshmergas ont capturé une partie de la route reliant Erbil, la capitale de la région autonome du Kurdistan (RAK), à Mossoul mardi.
L’opération militaire menée par les États-Unis prépare le terrain pour un crime de guerre aux proportions énormes. Une agression doit être menée sur une ville avec une population estimée à 1,3 million, dont 600.000 enfants, par une force de 30.000 au sol, appuyée par des avions des États-Unis et d’autres puissances impérialistes, dont la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Canada. Pour ceux qui ont eu la chance de survivre à l’assaut initial, pratiquement aucun plan n’a été préparé pour faire face au million de personnes qui deviendront des réfugiées, et encore moins comment Mossoul et ses environs d’origines ethniques diverses seront régis après sa récupération des mains de Daech.
Le président américain Barack Obama a fait ses premiers commentaires publics sur l’offensive de Mossoul mardi, reconnaissant lors d’une conférence de presse conjointe avec le premier ministre italien Matteo Renzi que «Mossoul sera un combat difficile et il y aura des avancées et des reculs». Évitant de parler de la destruction causée par les précédentes opérations anti-Daech, telles que les sièges de Ramadi et Falloujah, qui ont laissé les deux villes en grande partie en ruines, il a fait remarquer benoîtement l’impact sur les civils: «L’exécution sera difficile et sans doute il y aura des circonstances déchirantes... C'est difficile de quitter sa maison.»
La couverture complète et continue dans les médias occidentaux sur l’utilisation par Daech de civils comme des boucliers humains dissimule le fait que la crise humanitaire qui se développe à Mossoul est la création des puissances impérialistes. L’invasion américaine de 2003 et la fomentation subséquente par Washington des divisions ethniques entre chiites et sunnites ont coûté la vie à des centaines de milliers de personnes et ont créé les conditions dans lesquelles Daech pourrait prospérer et prétendre être le libérateur les zones sunnites de l’ouest de l’Irak. Les États-Unis et leurs alliés de la coalition lâchent maintenant des tracts sur Mossoul, exhortant les civils à fuir dans des conditions où le gouvernement irakien soupçonnerait tout garçon ou homme âgé de 14 ans ou plus quittant la ville d'être un partisan potentiel de Daech.
Au-delà de l’Irak, l’intervention américaine en Syrie et les opérations militaires dirigées par l’Arabie saoudite au Yémen que Washington a soutenues ont aggravé les conflits régionaux et plongé le Moyen-Orient dans un bain de sang qui menace d’entraîner les grandes puissances dans une guerre plus large.
Ces conflits sont exacerbés par l’offensive de Mossoul. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et des sources de l’armée syrienne ont accusé la coalition menée par les États-Unis de vouloir permettre à des milliers de combattants de Daech basé à Mossoul de fuir à travers la frontière vers la Syrie. Notant que l’ouest de la ville est resté sans surveillance, Lavrov a averti que la Russie serait forcée d’adopter des mesures «politiques et militaires» si cette éventualité survient. «Pour autant que je sache, la ville n’est pas complètement encerclée», a déclaré Lavrov. «J’espère que c’est tout simplement parce qu’ils ne pouvaient pas le faire, et non pas parce qu’ils ne le voulaient pas. Mais ce corridor pose le risque que les combattants de l’État islamique puissent fuir Mossoul et aller en Syrie.»
Alors que d’autres sources ont signalé que les milices chiites tenues à l’écart de l’offensive en raison de la crainte de représailles sectaires ont été déployées à l’ouest de Mossoul pour couper la voie de la fuite, il ne peut en aucun cas être exclu que les États-Unis aient conclu un tel arrangement. Washington a travaillé en étroite collaboration avec des extrémistes islamistes en 2011 pour renverser le régime de Kadhafi en Libye, et beaucoup de ces éléments ont ensuite été transportés vers la Syrie avec l’aide de la CIA avant de former Daech. En outre, l’administration Obama a montré qu’elle était prête à collaborer avec les forces djihadistes dans la guerre civile de cinq ans pour renverser le régime Assad à Damas.
En plus de risquer d'aggraver la guerre en Syrie, la reprise de Mossoul menace d’approfondir les divisions ethniques, régionales et religieuses déjà amères en Irak même.
La plupart des milices ethniques qui ont été armées et entraînées par les puissances occidentales se sont engagées dans des combats sectaires sanglants dans le sillage de l’invasion américaine de 2003 et poursuivent des intérêts antagonistes qui pourraient bien aboutir à la partition ethnique de l’Irak, ce qui aurait des conséquences dévastatrices pour la population déjà désespérée.
Même les commentateurs dans les médias bourgeois ont été contraints de constater que la reprise de Mossoul ne résoudra aucun des problèmes qui ont conduit essentiellement à la partition de l’Irak en enclaves kurdes, chiites et sunnites et pourrait, en fait, préparer une nouvelle effusion de sang.
David Gardner écrivant dans le Financial Times a observé que l’espoir du premier ministre irakien, Haider al-Abadi, que les Irakiens s’unissent autour de la capture de Mossoul était «optimiste». Il a écrit que les diverses milices impliquées dans l’offensive «s'entre-déchiraient» et il a averti que la bataille pour le contrôle de la région, qui est riche en réserves énergétiques et abrite une population ethniquement diversifiée, y compris les sunnites, les chiites, les Kurdes et les chrétiens, pourrait être «explosive».
Les combattants peshmergas, qui ont déjà été accusés d’atrocités contre les villageois sunnites, seront gardés à l’extérieur de Mossoul, dans le but d’éviter la violence ethnique, mais le GRK est déterminé à utiliser leur participation à l’offensive pour renforcer sa position avec le gouvernement central à Bagdad. Tel est le message contenu dans une interview publiée mardi par Al-Jazeera avec le ministre des Affaires étrangères du GRK, Falah Mustafa Bakir. Interrogé sur le rôle du GRK après la reconquête de la ville: «Nous avons des intérêts dans Mossoul», a-t-il déclaré. «Mossoul est important et a un impact direct sur Erbil et Dohouk, et le GRK dans son ensemble en termes de sécurité, d’économie et d'impact social. Par conséquent, il faut que nous y soyons.»
Il n’a également laissé aucun doute que le GRK n’aurait que très peu de pitié pour des civils fuyant les combats parce que tous seraient soupçonnés d'être des sympathisants de Daech. «Sur la question des personnes déplacées internes [des personnes forcées de fuir leur maison] qui se présentent à nous, nous avons un problème de sécurité», a déclaré Bakir al-Jazeera. «Ceux qui ont vécu sous Daech ont une histoire. Certains ont été recrutés. Par conséquent, nous devons être en mesure de faire la distinction entre les personnes déplacées authentiques et celles qui font semblant d'être des personnes déplacées.»
Des divisions très nettes existent également entre Bagdad et Ankara. Le gouvernement turc a déployé environ 700 soldats au nord-est de Mossoul et a également formé une milice locale turkmène pour le soutenir. Le gouvernement irakien dominé par les chiites a dénoncé la présence d’Ankara, et une démonstration de plusieurs milliers de partisans de l’ecclésiastique chiite Moqtada al-Sadr a eu lieu en face de l’ambassade de Turquie à Bagdad mardi. Certaines des milices chiites, qui sont fortement soutenues par l’Iran, ont juré de se battre contre une intervention turque.
La Turquie a refusé de reculer, clamant qu’elle avait le droit de participer aux opérations de Mossoul et aux discussions ultérieures sur son statut final. Ce faisant, elle vise à restreindre les activités du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le nord de l’Irak et à étendre l’influence d’Ankara dans les zones sunnites. Mentionnant la frontière de 350 kilomètres entre la Turquie et l’Irak, le président Recep Tayyip Erdogan a déclaré lundi: «Nous ne serons pas responsables des conséquences négatives résultant de toute opération menée sans la Turquie. Nous serons impliqués à la fois dans l’opération et à la table [de négociation] après. C’est impossible pour nous d'être exclus.»
L'impérialisme américain, qui a dévasté l'Irak dans sa quête effrénée de l’hégémonie régionale et mondiale, est le principal responsable de l’état désastreux de la situation dans ce pays.
Mais l’implication de toutes les grandes puissances impérialistes dans la région ne fera qu’aggraver les conflits sectaires et accroître les rivalités interimpérialistes. Aux côtés d’environ 5000 soldats des forces spéciales américaines impliquées dans l’assaut sur Mossoul, des troupes de l’Australie, de la Grande-Bretagne, du Canada, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie sont également déployées en Irak. Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault, qui a été à l’avant-garde des accusations des crimes de guerre envers la Russie pour son implication à Alep au cours du dernier mois, a annoncé une réunion planifiée organisée conjointement avec le gouvernement irakien le 20 octobre pour discuter des plans pour l’avenir de Mossoul.
(Article paru d’abord en anglais le 19 octobre 2016)