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« Bolloré et le rail au Cameroun : en finir avec l’impunité des firmes mondialisées » (Le Monde)

par Eugène Ebodé 4 Novembre 2016, 06:41 Bolloré Camrail Déraillement Train Catastrophe Cameroun Capitalisme Françafrique France néocolonialisme

« Bolloré et le rail au Cameroun : en finir avec l’impunité des firmes mondialisées »
Par Eugène Ebodé
Le Monde

 

 

Eugène Ebodé est écrivain et professeur documentaliste, en poste à Mayotte. Dernier ouvrage paru : Souveraine Magnifique, Gallimard, 2014 (Grand Prix littéraire d’Afrique noire 2014 et Prix du roman historique Jeand’Heurs 2015).

Pour l’écrivain Eugène Ebodé, la catastrophe ferroviaire qui vient de frapper son pays montre le cynisme du capitalisme et la faiblesse des gouvernants.

Des survivants au déraillement du train de la Camrail, à Eseka, le 21 octobre 2016. Crédits : STRINGER / AFP

Des survivants au déraillement du train de la Camrail, à Eseka, le 21 octobre 2016. Crédits : STRINGER / AFP

Le 21 octobre à la mi-journée, le train de voyageurs Intercity de la société Camrail, reliant Yaoundé (capitale politique) à Douala (capitale économique), a déraillé en gare d’Eseka, occasionnant de très lourdes pertes humaines. Le bilan provisoire de 79 morts et de plus de 500 blessés est accablant.

Une cause externe a été pointée, qui masque mal un chapelet d’incuries et des accusations portées tant vers le transporteur que vers les pouvoirs publics. La cause externe : l’effondrement d’un pont sur l’axe routier reliant les deux métropoles a mécaniquement poussé les voyageurs vers les gares. Cet afflux aurait lui-même conduit les opérateurs de la Camrail à doubler les wagons, faisant passer le convoi de neuf à dix-sept rames. La responsabilité du transporteur est donc ici engagée et une question se pose : une telle surcharge était-elle supportable sur un réseau décrié depuis des années pour sa fragilité, voire son délabrement ?

Lire aussi :   Déraillement au Cameroun : « C’était la désolation. Je ne pouvais pas supporter de rester sur place »

Depuis la privatisation des chemins de fer camerounais et la concession octroyée au groupe Bolloré en 1999, ce dernier est suspecté de n’avoir pour préoccupation que le profit et de négliger celui des engagements pris, notamment sur la maintenance et l’entretien des infrastructures.

Le dogme de la privatisation de Margaret Thatcher, appliqué sur les rails britanniques par John Major avec l’adoption du Railways Act le 5 novembre 1993, instituait le démantèlement de la British Railways. Ce courant libéral a inspiré les politiques publiques en matière de transport ferroviaire au Cameroun. La durée du bail consenti à Bolloré (35 ans), son statut d’opérateur du terminal du port (bail de 20 ans révisable en 2020) et ses participations croisées ou majoritaires dans d’autres secteurs comme l’agro-industrie ne lui donnent-ils pas une position disproportionnée ?

Lire l’entretien :   Vincent Bolloré : « Notre méthode, c’est plutôt du commando que de l’armée régulière »

 

Une impunité de fait ?

Plus prosaïquement, les firmes mondialisées disposant d’un pouvoir de quasi-Etat dans l’Etat ne jouissent-elles pas, du fait de l’inévitable collusion entre les sphères économiques et publiques, d’une impunité de fait ? Les morts et les blessés sur les rails auront-ils droit au Droit ? Les interférences de l’une à l’autre des sphères publique et privée donnent le sentiment d’une imbrication des acteurs qui aboutit au musellement de la justice sur l’autel de la raison économétrique.

La porosité d’un groupe à un autre est facilitée par les coalitions plaidantes (Advocacy Coalition Framework) : groupes de pression, lobbies, experts, bureaucraties affairistes dont le rôle est de briser les frontières et de renverser in fine le pouvoir de décision qui passe subrepticement du politique au payeur et de l’Etat à la firme mondialisée. Celle-ci, soucieuse de consolider ses bilans, s’affranchit dès qu’elle peut des normes locales au profit de la globalisation et de la sphère la plus éloignée possible du local...


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