ExxonMobil, Goldman Sachs et compagnie : les intérêts privés investissent l’administration américaine
Par Olivier Petitjean
Bastamag
Donald Trump vient de choisir son secrétaire d’État, l’équivalent du ministre des Affaires étrangères : ce sera Rex Tillerson, patron de la firme pétrolière ExxonMobil. Sa nomination intervient après celle du numéro deux de la banque Goldman Sachs, Gary Cohn, au poste de conseiller économique de la Maison blanche. Rex Tillerson est le troisième ancien cadre de la banque à rejoindre l’administration Trump, après Steven Mnuchin, directeur de fonds spéculatifs, nommé au Trésor, et Steve Bannon, animateur du site d’extrême-droite Breitbart, lui aussi passé par Goldman Sachs.
Parmi les ministres que s’est choisi le nouveau président américain, aux côtés de plusieurs militaires et politiques, les personnalités issues du secteur privé dominent. Presque toutes sont des milliardaires ou des multi-millionaires.
Les institutions entre les mains de ceux qui les combattent
Pire, les institutions publiques sont confiées à ceux-là même qui ont consacré leur carrière à combattre leur rôle de régulation. Les anciens de Goldman Sachs auront la main sur la régulation financière de Wall Street. Des ex dirigeants pétroliers contrôleront celle du secteur de l’énergie et la politique climatique. Cela ne s’arrête pas là. Le nouveau directeur de l’Agence de protection de l’environnement, Scott Pruitt, avait engagé des dizaines de procédures judiciaires contre cette même agence, en tant que procureur de l’Oklahoma, pour défendre les intérêts de l’industrie pétrolière.
Le nouveau secrétaire au Travail, Andrew Puzder, dirige une chaîne de fast-foods qui a pris publiquement position contre les régulations fédérales du travail et la réforme du système de santé du président Barack Obama. C’est aussi un opposant déterminé de la hausse du salaire minimal. Aux États-Unis, cette revendication est portée par une campagne de plus en plus vigoureuse. La secrétaire à l’Éducation, Betsy DeVos, est une adversaire acharnée des syndicats d’enseignants et de l’école publique. Elle a proposé de remplacer celle-ci par un système de coupons distribués aux familles pour payer leur éducation dans des écoles privées. Le secrétaire à la Santé, Tom Price, est un opposant de longue date du droit à l’avortement et de la contraception.
Des conflits d’intérêts à tous les échelons
Dans l’administration Trump, le conflit d’intérêt pourrait devenir la règle. Rex Tillerson est déjà épinglé pour ses liens étroits avec la Russie : ExxonMobil souhaite la levée des sanctions contre la Russie pour relancer ses projets de forage dans l’Arctique. Cette question pourrait donner lieu à de vigoureuses batailles au Sénat. Celui-ci doit valider les nominations de Trump. Les Démocrates y gardent une minorité de blocage et pourraient être rejoints par certains Républicains. Le phénomène s’étend jusqu’aux échelons inférieurs des administrations fédérales : la révélation d’un questionnaire interrogeant les employés du Département de l’énergie sur leur implication dans les questions de changement climatique est perçue comme le signe avant-coureur d’une future chasse aux sorcières.
Le rôle de l’équipe de transition choisie par Trump est d’identifier les dizaines de cadres dirigeants qui prendront les rênes des agences fédérales sur le plan opérationnel. Or, cette équipe compte 70% de lobbyistes souvent chargés de défendre des intérêts privés contre ces mêmes agences, révèle l’organisation indépendante Public Citizen, reprise par The Nation. On y retrouve ainsi un ancien lobbyiste de PepsiCo et du géant de l’agrochimie DuPont : il sera chargé de sélectionner les futurs cadres du département de l’Agriculture.
Et qui choisira les responsables du ministère de la Justice ? Majoritairement des avocats chargés de défendre leurs clients contre les procédures initiées par... le département de la Justice. Enfin, Myron Ebell, lobbyiste acharné du climato-scepticisme, est chargé de la transition au sein de l’Agence de protection de l’environnement. Si Donald Trump a remporté les élections en faisant campagne sur la haine de l’establishment et des élites de Washington, il risque surtout de présider à une prise de pouvoir sans précédent des intérêts privés sur l’appareil d’État.
Olivier Petitjean